Par James George Jatras – Le 9 décembre 2017 – Source Strategic Culture
Il était une fois, avant que la France n’abolisse la peine de mort, trois terroristes condamnés à être guillotinés. Un Japonais, un Allemand et un Américain.
Le Japonais passe en premier. Pour montrer sa bravoure, il exige d’être couché sur le dos, son regard en direction de la lame suspendue. La machine est lancée, la lame tombe, l’homme condamné crie « Banzai ! », par défi. . .
Mais le mécanisme n’a pas bien fonctionné. Juste avant le cou de l’homme, la lame s’est arrêtée.
Les Français sont tellement impressionnés par la bravoure du terroriste japonais qu’ils le gracient sur-le-champ. Il est remis sur pieds, embrassé sur les deux joues à la manière gauloise, et renvoyé sur son joyeux chemin.
Ensuite vient l’Allemand. Pour ne pas paraitre plus faible que son camarade, il exige lui aussi de regarder audacieusement la mort en face. La machine est lancée, la lame tombe, l’homme condamné crie « Sieg Heil ! »… et la lame s’arrête à nouveau. Comme le Japonais, l’Allemand est gracié. Un baiser sur les deux joues et il s’en va.
Le dernier est l’Américain. Comme ses prédécesseurs, il se tourne lui aussi vers la lame, l’examinant de près.
Mais juste un instant avant le lancement de la machine, l’Américain s’écrie :
« Hé, attendez ! Je vois le problème. Laisse-moi me lever, je peux arranger ça ! »
Pour le meilleur ou pour le pire, c’est ainsi que les Américains ont tendance à voir le monde. Rien ne peut simplement être, tout est un problème. Et comme la nuit suit le jour, nous sommes sûrs que tous les problèmes ont des solutions. Quelle que soit le problème, on peut le résoudre !
Ce qui nous amène à Jérusalem. C’est le problème central d’un problème plus vaste, le conflit israélo-palestinien.
Les Américains sont certains qu’il y a une solution. Cette certitude ne tient pas compte de deux facteurs :
- Les Israéliens ;
- Les Palestiniens.
Du point de vue israélien, il n’y a pas de problème concernant Jérusalem. Ils l’ont, tout entière, et ils vont la garder.
Pour les Palestiniens, il y a définitivement un problème concernant Jérusalem. Ils ne l’ont pas, mais ils la veulent – ou au moins une partie de celle-ci – comme la capitale d’un État palestinien. Ce qui mène à leur prochain problème : il n’y a pas d’État palestinien, et il est peu probable qu’il y en aura un.
Pas un vrai État, en tout cas. Les Israéliens ne prendront jamais le risque. Comme l’explique Srdja Trifkovic :
Le problème structurel du conflit israélo-arabe, qui reste négligé par les médias – la racine de tous les problèmes – n’est pas la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël. C’est de savoir si les Arabes palestiniens peuvent un jour reconnaître Israël comme étant une entité légitime.
Du point de vue orthodoxe musulman, la lutte contre Israël est plus qu’une ‘guerre de libération nationale’ : c’est un acte d’adoration pour lequel Dieu récompense un guerrier sous forme de victoire dans cette vie et d’éternité dans l’au-delà. Dans le droit fil de cet enseignement, l’aile militaire du Hamas, les Brigades of Martyr’Izziddin Al-Qassam, qualifient leurs attaques d’‘amaliyyyat Istish-Hadiyah’, ou ‘actions de martyr’. Le contexte religieux du différend arabo-israélien rend son règlement structurellement impossible. Le conflit n’est plus exprimé dans les termes séculiers et ‘rationnels‘ de pouvoir, de territoire, de ressources et de garanties. Le Hamas, le Hezbollah et d’autres groupes islamiques ont apporté un changement qualitatif au discours sur le Moyen-Orient : de leur point de vue, aucune paix permanente n’est possible parce que cela serait contraire à la volonté d’Allah de concéder à des infidèles non musulmans n’importe quelle parcelle de terre autrefois contrôlée par les fidèles.
Bref, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par le président Donald Trump est la fin d’un long double jeu. En tenant un engagement pris durant sa campagne électorale auprès des circonscriptions nationales, il a visiblement changé le rôle des États-Unis dans la dynamique israélo-palestinienne. De l’avis de Marc Ginsberg, ancien ambassadeur des États-Unis au Maroc et conseiller de la Maison-Blanche pour le Moyen-Orient, la déclaration de Trump est :
. . . l’aboutissement d’un effort concerté de la part de juifs et d’évangéliques chrétiens américains extrémistes pour mettre un terme à la façade étasunienne qui se présente comme un ‘entremetteur neutre’ de la paix au Moyen-Orient. Une façade que les diplomates américains successifs ont essayé de vendre aux Palestiniens et aux nations arabes comme on vend une voiture d’occasion. [. . .]
Pendant des décennies, les présidents américains successifs se sont engagés à rétablir la paix, donnant naissance à un complexe industriel diplomatique voué à la mise en place d’une paix entre Israël et les Palestiniens. Tous ceux qui ont participé à cet effort ont échoué, et les échecs se sont accumulés comme des couches de pierres à Jérusalem. (…) Car quoi qu’il advienne des actions de Trump, il se peut au moins qu’il envoie enfin aux Palestiniens le message que la longue et douloureuse ère de l’Amérique agissant en tant qu’intermédiaire ‘impartial’ avec Israël est révolue.
Prenons un moment pour reprendre notre souffle après avoir cessé de rire de cette idée – vraiment digne d’un vendeur de voitures d’occasion ! – que les États-Unis aient pu être considérés comme un « entremetteur neutre » ou « impartial » dans n’importe quel problème international de nos jours, et encore moins dans celui-ci. Mais Ginsberg a raison. Quelles que soient les illusions que l’on peut avoir sur le fait que les États-Unis feraient pression sur les deux parties pour obtenir un accord viable entre deux États, oubliez-les. Les Palestiniens n’obtiendront que ce que les Israéliens sont prêts à leur donner et rien d’autre.
On a laissé entendre que Trump aurait saboté un plan de paix super-secret et super-génial concocté par son gendre, Jared Kushner. De même, que l’Arabe préféré du Premier ministre israélien Netanyahou, le Prince héritier saoudien Mohammad bin Salman, n’était pas tout à fait d’accord. L’absurdité patente de telles affirmations ne vaut pas la peine d’être réfutée. Mohammad, tout comme Netanyahou, ne se soucie guère des Palestiniens. Il se préoccupe surtout d’entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran.
Trump « a reconnu » Jérusalem comme étant la capitale d’Israël – ce qui, par ailleurs, est la position des États-Unis telle que codifiée dans une loi qui date déjà de 1995 – mais n’a pas immédiatement déplacé l’ambassade des États-Unis vers Jérusalem. (Malgré le non-sens de prétendre que c’est un processus qui prend des mois, voire des années, les formalités pourraient être accomplies instantanément en déménageant simplement les panneaux de l’ambassade de Tel-Aviv vers le consulat général des États-Unis à Jérusalem). Cette approche prétendant « couper la poire en deux » présente une similitude frappante avec l’action de Trump sur l’accord nucléaire iranien, où il a symboliquement tenu une autre promesse de campagne en « décertifiant » l’accord, mais sans en retirer complètement les États-Unis.
Tout autant pour Jérusalem que pour l’accord sur l’Iran, l’indignation dans le monde entier a été assourdissante, mais rien ne s’est finalement produit. La terre continue à tourner sur son axe.
Pendant ce temps, les problèmes s’aggravent, sans solution en vue.
James George Jatras
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
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