Intrusion des US en Thaïlande
Retour de flamme

Par Tony Cartalucci – Le 6 février 2015 – Source Vineyardsakerinoceania

Les observations faites dans le sillage de la chute du régime fantoche soutenu par les USA en Thaïlande discréditent encore davantage la superpuissance en déclin.

D’abord à Hong Kong, maintenant en Thaïlande, le projet américain ininterrompu d’installer des régimes fantoches, afin d’étendre son hégémonie à travers l’Asie-Pacifique, a encore échoué.

La dernière tentative vient après que le secrétaire d’Etat adjoint américain pour l’Asie de Est et le Pacifique Daniel Russel a fait des commentaires condamnant le récent coup d’Etat qui a déposé, puis mis en accusation l’ex-Premier ministre thaïlandais Yingluck Shinawatra pour corruption aggravée et abus de pouvoir.

Russel a été cité par une note officielle du Département d’État des États-Unis à propos du discours qu’il a prononcé en Thaïlande, disant:

… Un processus étroit et restreint porte le risque de laisser à de nombreux citoyens thaïlandais le sentiment qu’ils ont été exclus du processus politique.

C’est la raison pour laquelle nous continuons à plaider pour un processus politique plus large et plus inclusif qui permette à tous les secteurs de la société de se sentir représentés, de sentir que leurs voix sont entendues. J’ajouterais que la notion d’équité est aussi extrêmement importante et, bien que ce que je dis soit plutôt abrupt, quand un dirigeant élu est démis de ses fonctions, est déposé, puis mis en accusation par les autorités – les mêmes autorités qui ont mené le coup d’État –, puis quand un leader politique est ciblé avec des accusations criminelles à un moment où les processus et les institutions démocratiques de base dans le pays sont interrompues, la communauté internationale va se retrouver avec l’impression que ces mesures pourraient en effet être politiquement motivées.

Les commentaires de Russel sur les citoyens thaïlandais ayant le sentiment qu’ils ont été exclus est l’argument que le propre front politique de Shinawatra utilise souvent pour justifier des actes de terrorisme et l’insurrection armée qui a fait des centaines de morts. C’est aussi une tactique familière utilisée pour justifier la violence fabriquée soutenue par les USA dans d’autres pays visant à un changement de régime [cf. Irak, Libye, Syrie, et plus récemment Ukraine, NdT].

Les revendications de Russel selon lesquelles les accusations criminelles contre Shinawatra ont été politiquement motivées sont destinées aux naïfs. Accuser les Etats-Unis de défendre un premier ministre, servant ouvertement d’homme de paille pour un criminel [son frère, NdT] qui se cache à l’étranger, et qui a présidé un régime ayant détruit sans vergogne l’économie en assassinant littéralement ses adversaires politiques dans les rues, est une violation claire du protocole diplomatique, et inconvenante pour qualifier les buts du Département d’État des États-Unis.

En effet [selon la doxa, NdT], le Département d’État américain est là pour représenter la volonté du peuple américain à l’étranger, et non pour l’imposer aux autres.

Le gouvernement thaïlandais a rapidement condamné les commentaires, et une grande réaction du public a suivi, visant ce qui est maintenant vu comme une ingérence dans les affaires intérieures de la Thaïlande.

Ce que que les Etats-Unis voient dans les Shinawatras

Yingluck Shinawatra est arrivé au pouvoir en 2011, se présentant ouvertement comme un homme de paille de son frère, Thaksin Shinawatra, un criminel reconnu coupable qui a fui à l’étranger pour échapper à une peine d’emprisonnement de deux ans ainsi qu’à une myriade d’autres affaires pénales. La devise de l’élection pour Peua Thai, nom du parti politique de Thaksin Shinawatra, était littéralement «Ce que Thaksin pense, Peua Thai le fait», un aveu manifeste qu’un criminel condamné essaie encore de gouverner le pays.

Pour expliquer pourquoi les États-Unis ont violé le protocole diplomatique, et visé la souveraineté nationale de la Thaïlande en se mêlant de ses affaires intérieures, il faut noter que Thaksin Shinawatra lui-même est un ami de longue date de la dynastie politique Bush. Il était un membre du fonds de pension américain Carlyle Group, et depuis qu’il a été chassé du pouvoir lui-même dans un coup d’État militaire semblable en 2006, a été ouvertement représenté par certains des plus grands cabinets de lobbying d’entreprise sur la terre, y compris, Kenneth Adelman du cabinet Edelman PR (Freedom House, international Crisis Group, PNAC), James Baker de Baker Botts (CFR, Carlyle Group), Robert Blackwill (CFR) de Barbour Griffith & amp; Rogers (BGR), Kobre & amp; Kim, Bell Pottinger (et ici) et actuellement Robert Amsterdam  d’Amsterdam & amp; Partenaires (Chatham House).

Pendant son mandat, Shinawatra a pris une position nettement pro-américaine sur les plans économique et géopolitique. Malgré les protestations de l’Armée royale thaïlandaise et du peuple thaïlandais lui-même, Shinawatra a envoyé des troupes pour aider à l’invasion et à l’occupation illégale de l’Irak. Il a également autorisé la CIA américaine à utiliser le territoire thaïlandais pour mener à bien leur programme odieux de rendition [pratique courante des US pour faire torturer des prisonniers dans d’autres pays, la torture étant interdite chez eux, NdT]. Shinawatra a également tenté d’imposer à la hussarde un accord de libre-échange assez impopulaire et illégal avec des multinationales américaines.

Au cours de son mandat, Shinawatra a aussi commis une série d’atrocités contre le peuple thaïlandais lui-même. Tout d’abord, en 2003, il a lancé ce qu’il a appelé une guerre contre la drogue. Près de 3 000 personnes ont été sommairement assassinées dans les rues en seulement trois mois. Il allait plus tard s’avérer que plus de la moitié des personnes tuées n’avait rien à voir avec le commerce de la drogue. Par ce seul fait, Thaksin est devenu le pire violeur des droits humains dans l’histoire thaïlandaise. L’année suivante, il a violemment réprimé des manifestations dans les provinces méridionales en difficulté de la Thaïlande, tuant quatre-vingt cinq personnes en une seule journée. Cet événement est maintenant connu comme l’incident de Tak Bai. En plus de ces deux atrocités notoires, selon Amnesty International, dix-huit défenseurs des droits de l’homme ont été assassinés ou ont «disparu» au cours de son premier mandat. Parmi eux se trouvait le militant des droits de l’homme et avocat Somchai Neelapaijit. Il a été vu la dernière fois en 2004 au moment d’être arrêté par la police et personne ne l’a jamais revu.

Shinawatra a également mené une campagne de terreur et d’assassinats contre ses adversaires. En avril 2009, des hommes armés tiraient plus de cent projectiles contre le véhicule de l’activiste anti-Shinawatra, meneur des protestataires et magnat des médias, Sondhi Limthongkul dans une tentative d’assassinat au grand jour. Il a été blessé mais a survécu. Le 10 avril 2010, des militants professionnels lourdement armés déployés par Thaksin Shinawatra et sa bande de Chemises rouges ont  assassiné le colonel Romklao Thuwatham, qui était à l’époque commandant des opérations de contrôle de la foule près du Monument de la Démocratie à Bangkok. Les Chemises rouges de M. Thaksin sont entrées en conflit avec l’armée pendant des semaines avant de terminer leur émeute de masse par des pillages et des incendies dans toute la ville. Et, pour finir, en août 2013, l’homme d’affaires et franc adversaire de Thaksin, Ekkayuth Anchanbutr a été enlevé et assassiné.

Pour ceux qui connaissent la vraie nature de la politique étrangère des États-Unis, épauler un dictateur brutal, mais obéissant, est une réalité trop familière; réalité qui se poursuit aujourd’hui avec le Département d’État américain. Celui-ci travaille ouvertement à saper la légitimité du gouvernement thaïlandais actuel et ses efforts pour déraciner complètement le régime de Shinawatra et ses réseaux de sédition, soutenus par les US, qui l’avaient aidé à conserver la mainmise sur les leviers du pouvoir politique thaïlandais depuis plus d’une décennie.

Que cette mainmise semble avoir été relâchée indique que la capacité de l’Amérique à interférer avec impunité a diminué.

Les commentaires de Russel n’étaient pas destinés au public thaï – qui s’est félicité dans son ensemble du coup d’État militaire destituant le régime de Shinawatra. En 2011, un maigre 35% d’électeurs thaïlandais a voté pour le parti de Shinawatra. Selon un sondage de la Fondation Asie réalisé en 2010, seulement 7% des 70 millions de citoyens de la Thaïlande se sont identifiés fortement au rouge, la couleur associée au parti politique de Shinawatra.

Le mythe selon lequel les militaires ont renversé un gouvernement démocratiquement élu par le peuple ne pouvait pas être plus loin de la vérité – et ce mythe a seulement prospéré grâce à l’énorme soutien que Shinawatra a reçu de ses réseaux politiques et des grands médias monopolistiques occidentaux.

En dépit de ces monopoles, les commentaires de Russel lui ont fait gagner, à lui-même et à l’ordre du jour des États-Unis en Thaïlande, une réputation désastreuse. De nombreux thaïlandais ne voient plus la crise politique actuelle comme une simple bataille entre Thaksin Shinawatra et l’ordre politique traditionnel de la Thaïlande. Mais, au contraire, comme une bataille existentielle contre un agenda étranger qui a créé et à ce jour continue de soutenir Shinawatra et un vaste réseau visant à renverser la politique existante de la Thaïlande et sa souveraineté.

Tony Cartalucci

Tony Cartalucci est un chercheur en géopolitique basé à Bangkok et écrivain, en particulier pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Il soutient également the Land Destroyer Report, site qui peut être suivi sur Twitter ici et sur Facebook ici. Les commentaires, questions, corrections, et les soumissions d’article doivent être envoyés à cartalucci@gmail.com, ou via la page Contact LD.

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone