Par Konstantin Sivkov – Le 29 avril 2015 – Source thesaker.is
Un avertissement du Saker original: C’est avec beaucoup d’hésitations que je publie cet article. Mais je pense que son contenu doit être porté à la connaissance des Occidentaux. Je dois vous dire tout de suite mon dégoût à l’idée que la Russie pourrait tout simplement détruire la totalité des États-Unis, que ce soit par des frappes nucléaires classiques, par une frappe sur le super-volcan de Yellowstone ou par le déclenchement d’un tsunami.
Pendant mes années d’étude aux États-Unis (à Washington DC), j’ai réalisé un grand nombre de simulations d’échanges nucléaires lors d’un cours de planification des forces stratégiques. En mon for intérieur, j’ai toujours pensé que si j’étais le Secrétaire général du PCUS [Parti Communiste d’Union soviétique, NdT] (c’était l’époque de la Guerre Froide), je n’exercerais pas de représailles semblables à la suite d’une frappe américaine. La Russie disparaîtrait, mais elle laisserait ce cadeau à l’humanité toute entière : la vie. La Russie choisirait de se sacrifier et accepterait d’être détruite, comme les Saints Boris et Gleb [les fils de Vladimir, le premier tsar baptisé de la Rus’ de Kiev], au début de l’Histoire russe, comme les Nouveaux Martyrs de la Russie [persécutés sous l’Union soviétique], récemment. Sans esprit de représailles, comme le Christ à Gethsemani. Mais j’ai préféré me taire, sachant bien que cette idée n’était guère compatible avec le cours de planification des forces stratégiques…
J’en ai parlé avec Eugenia, qui a traduit cet article. Elle m’a répondu : «Je pense pareil. Mais j’imagine que les armes nucléaires ne seront bientôt plus dissuasives… » Elle a tout à fait raison. Les armes nucléaires n’effraient plus suffisamment. N’est-ce pas terrible? Il semble bien que les Anglo-sionistes ont besoin d’être encore plus effrayés, avec des perspectives encore plus horribles. C’est vrai, je préfère montrer des visions cauchemardesques plutôt que de laisser notre civilisation s’embourber dans une guerre nucléaire.
C’est là où cet article est utile : il pourrait montrer à ceux qui aux États-Unis pensent sérieusement qu’ils peuvent battre la Russie que la Russie peut tout simplement effacer les États-Unis de la carte du monde, littéralement. N’oubliez pas que les plans résumés ici sont déjà anciens; il n’y a rien de nouveau dans ces lignes. Ils ont été étudiés par le GQG soviétique durant la Guerre Froide et, autant que je sache, refusés parce que trop épouvantables.
Que fera la Russie, en cas de guerre? Je ne sais pas. Comme vous l’avez sans doute deviné, je suis profondément pacifiste. C’est l’étude de la guerre qui m’a convaincu. Je ne veux pas que la Russie riposte de cette manière. Mais comme j’ai voulu vous faire réfléchir, en publiant cet article, laissez-moi vous le dire : je ne suis pas du tout certain que les gars du Kremlin, du GQG et des Forces stratégiques partagent mon pacifisme. En fait, ils n’ont pas seulement été choisis parce que c’étaient des durs, ils ont en plus régulièrement appuyé sur le bouton rouge (on ne dit jamais aux hommes de permanence si l’alerte nucléaire en cours est un exercice, ou si elle est réelle, donc ils ont réellement tourné la clé un grand nombre de fois!)
Alors, maintenant, plongez-vous dans votre cauchemar!
Le Saker original
La Russie pourrait avoir une méga-arme asymétrique à l’horizon 2015. Cela exclurait toute possibilité d’une guerre totale contre ce pays, même si l’adversaire jouissait de la supériorité absolue dans tous les systèmes d’armes conventionnels.
Une nouvelle Guerre Froide a été lancée contre la Russie. Pour être précis, cela ne s’est jamais arrêté. L’Occident tente de consolider ses acquis des précédentes étapes du conflit et veut maintenant conclure.
Une solution asymétrique
Comme au milieu du XXe siècle, l’Occident construit un rideau de fer et conduit une politique d’alliances militaires, augmentant la taille des forces de l’Otan et les rapprochant encore des frontières de la Russie. Mais, cette fois, pour les Russes la situation est bien plus mauvaise qu’il y a cinquante ans. La base industrielle a été considérablement réduite; la dépendance envers les hautes technologies occidentales, nuisible pour la sécurité nationale, s’est développée; nous avons perdu la force morale – autrefois, l’idéologie communiste; nous n’avons plus une forte communauté d’alliés en Europe, comme du temps du Pacte de Varsovie; les oligarques pro-occidentaux, alliés à la haute administration, dominent l’industrie et la finance. La Russie ne peut tout simplement pas se mesurer avec l’Otan et ses alliés en termes de technologie militaire.
Il faut donc absolument trouver une approche originale pour nous assurer une sécurité militaire, spécialement dans la zone d’encerclement stratégique. La tâche prioritaire est de maintenir le niveau des forces nucléaires. Il y a cependant des inconvénients à cela. En dépit de leur taille modeste (comparée à celle de nos autres forces militaires), les armes nucléaires exigent d’importantes ressources. En raison de la dégradation de l’économie, due aux sanctions et à la baisse des cours du pétrole, le pays pourrait tout simplement manquer des ressources nécessaires pour maintenir ses forces nucléaires au niveau souhaité. Les Forces stratégiques (les missiles intercontinentaux, les sous-marins lanceurs d’engins, les bombardiers à long rayon d’action), qui comptent plus de 100 000 hommes, pourraient être partiellement neutralisées par des actions de guerre informationnelle : propagande et guerre psychologique. Dans un futur proche, le système américain d’attaque globale préemptive pourrait être capable de neutraliser tout ou partie des forces nucléaires russes, en combinant des frappes de décapitation (visant les centres de commandement) et des frappes incapacitantes (visant les vecteurs des armes nucléaires). Il est essentiel pour notre pays de trouver des moyens asymétriques pour contenir ces menaces. C’est ce qu’a voulu dire M. Poutine quand il a dit que nous ne nous engagerions pas dans une course aux armements, mais que nous adopterions des mesures asymétriques. Clairement, cela suppose de nouvelles armes, basées sur des idées radicalement différentes de celles qui existent aujourd’hui.
Les conditions techniques pour la méga-arme
A partir de cette analyse de la situation concernant les forces nucléaires stratégiques, ces nouvelles armes doivent remplir certaines conditions. Tout d’abord, elles doivent garantir la défaite de l’ennemi. Le système doit pouvoir frapper l’adversaire avec une certitude de 100%, et la puissance de l’attaque doit être suffisante pour le mettre hors de combat. De plus, le système doit posséder les capacités d’attaque qui le mettront à l’abri de sa neutralisation, par quelque moyen que ce soit, non seulement ceux qui existent aujourd’hui mais aussi les armes de contre-mesures les plus sophistiquées qui pourront être développées demain.
La caractéristique la plus importante est la capacité d’emploi assurée, quand le pouvoir politique du pays le décidera et quand les conditions objectives d’emploi seront réunies. Ceci est particulièrement important, quand on sait que les positions des partisans pro-occidentaux en Russie sont toujours très fortes, particulièrement aux plus hauts niveaux du gouvernement, y compris au sein du haut commandement militaire. En cas de pression informationnelle et psychologique intense, on ne peut affirmer qu’ils obéiront à l’ordre de lancer les armes stratégiques. Bien plus, le nombre d’hommes servant dans les Forces stratégiques est trop élevé pour qu’on puisse être absolument certain qu’ils soient à leur poste, surtout si la société se divise.
Ces considérations nous poussent à réduire au minimum le nombre d’hommes servant ce système d’arme asymétrique et défensive. Ce nombre doit être suffisamment petit pour qu’on puisse être sûr, d’une manière absolue ou presque, de la loyauté de ces hommes envers le pouvoir politique et de leur degré de préparation à exécuter l’ordre d’employer ce système, quel que soient l’état de la société et leur état d’esprit personnel. Cela signifie que le personnel servant ce système d’arme asymétrique ne peut dépasser quelques milliers d’hommes.
Si nous comparons la puissance que la science et la technologie actuelles peuvent délivrer avec les dégâts que nous souhaitons provoquer, nous en arrivons à la conclusion que nous ne pouvons obtenir ce résultat sans l’aide de forces de destruction d’appoint. Ce qui vient en premier à l’esprit sont les catastrophes géologiques. Dépassant plusieurs fois en puissance les ogives nucléaires les plus fortes, les catastrophes géologiques peuvent être délibérément déclenchées par des forces relativement faibles. C’est pourquoi nous basons notre arme de riposte asymétrique sur l’idée de provoquer les processus géologiques les plus destructeurs.
Une dernière condition est le caractère asymétrique de la menace. Un tel système devrait ravager la partie qui l’emploie incomparablement moins que l’ennemi. Et c’est possible, quand on regarde la géographie de la Russie et celle des États-Unis.
Demain, un monde sans l’Amérique
Constat important, la Russie est située sur le continent eurasien, et la majorité de sa population est concentrée loin des côtes. En outre, le niveau moyen du territoire au-dessus de la mer met les Russes à l’abri des flots, même dans le d’une énorme catastrophe et d’un méga-tsunami.
La situation des États-Unis est différente. Plus de 80% de la population vit près des océans, dans des zones faiblement élevées. Le gros de l’industrie est également installé dans ces régions. Même un tsunami relativement faible – une vague de plusieurs douzaines de mètres de haut – pourrait entraîner des conséquences catastrophiques pour les États-Unis. L’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans est là pour le rappeler.
Une autre caractéristique de la Russie est que la majeure partie de son territoire sibérien repose sur une couche épaisse (plusieurs kilomètres) de basalte. On pense que cette plateforme basaltique s’est formée lors de l’éruption d’un super-volcan, survenue il y a 250 millions d’années. C’est pourquoi les frappes, même les plus puissantes, ne pourront pas entraîner de catastrophes géologiques majeures.
Qu’en est-il des États-Unis? Ce qui d’emblée attire notre attention est le Parc national du Yellowstone, situé dans la caldera d’un super-volcan. Ce dernier, selon les géologues, approche de sa période d’activation, qui arrive tous les 600 000 ans. Sa dernière éruption a eu lieu à peu près à cette distance temporelle. La puissance de ce volcan ne représente qu’une fraction seulement de celle de son homologue sibérien. Ce qui explique que son éruption n’a pas entraîné l’extinction de la vie sur Terre, mais a dû avoir des conséquences catastrophiques pour le continent américain. Les géologues craignent que le volcan du Yellowstone puisse entrer en éruption à tout moment; il y a d’ailleurs des signes clairs d’une montée de son activité. Aussi, même une petite impulsion, l’explosion d’une ogive mégatonique, pourrait être suffisante pour démarrer l’éruption. Cela pourrait être cataclysmique pour les États-Unis – ils pourraient carrément cesser d’exister. Leur territoire pourrait être entièrement recouvert d’une épaisse couche de cendres (plusieurs mètres et même des douzaines de mètres).
San-Andreas est une autre zone vulnérable des États-Unis. C’est une faille de 1 300 kilomètres de long, située entre les plaques pacifique et nord-américaine. Elle court le long de la côte californienne, tantôt dans les terres, tantôt sous l’eau. Les failles San-Gabriel et San-Jacinto, elles, lui sont parallèles. Cette région très instable connaît des séismes pouvant aller jusqu’à une magnitude de 8,5 sur l’échelle de Richter. Une très forte explosion nucléaire pourrait entraîner une catastrophe, provoquant de formidables tsunamis qui emporteraient l’infrastructure de toute la Côte Ouest.
Pour finir, n’oublions pas les failles transformantes de l’Atlantique et du Pacifique. Parallèles aux côtes Est et Ouest, elles pourraient être la source d’énormes tsunamis qui causeraient des ravages jusque loin à l’intérieur des terres.
Le détonateur d’une catastrophe
Les États-Unis sont donc un pays vulnérable, géologiquement parlant. Ce qui reste à faire est de déterminer comment provoquer de tels processus géologiques sur une telle échelle. Revenons dans le passé. En 1961, la plus grosse bombe thermonucléaire a été testée à 5 000 mètres au-dessus de l’extrémité nord de la Nouvelle-Zemble, dans l’Arctique. D’après les estimations connues, elle faisait 58 mégatonnes. Et pourtant, les experts occidentaux en sont venus à la conclusion que toute l’énergie n’avait pas été dépensée, parce que l’ogive ne semblait pas avoir d’enveloppe en uranium-238, enveloppe capable d’augmenter la puissance d’une explosion de 50% à 100%. C’est-à-dire que cette bombe aurait pu dépasser les 100 mégatonnes. Cette ogive tenait dans une bombe de 16 tonnes et avait été larguée d’un bombardier Tu-95 Ours. Selon les scientifiques du Centre de Sarov et l’expert russe le plus connu dans le domaine, le professeur Igor Ostretsov, une ogive actuelle de même puissance peut tenir dans une bombe de 5 à 7 tonnes. Autrement dit, elle peut être facilement embarquée, en termes de taille et de poids, sur un missile intercontinental (le Satan peut emporter 8 tonnes environ). Des satellites peuvent également l’emporter.
Les accords actuels sur la parité des arsenaux nucléaires n’imposent aucune limite sur la puissance des ogives elles-mêmes. Ils en contrôlent seulement le nombre. Or, notre méga-arme n’en exigera pas trop.
Le jour d’après
L’option la plus efficace pour déclencher à coup sûr une catastrophe géologique serait une frappe sur le super-volcan du Yellowstone. Même une seule explosion d’une ogive de 5 à 7 tonnes, en surface, provoquerait une très violente éruption. Résultat, les États-Unis cesseraient d’exister, mais les conséquences seraient également catastrophiques pour le reste du monde. La Russie serait l’un des pays qui souffriraient le moins – à cause de la distance, de la taille de son territoire et de sa situation géographique. De même, les dommages causés aux pays situés aux antipodes des États-Unis seraient limités. Néanmoins, il faut le rappeler : cette explosion serait un désastre pour l’humanité tout entière. C’est d’ailleurs la raison d’être d’une telle arme. La possibilité très réelle de son emploi devrait mettre un point final à toute idée d’agresser la Russie.
Une version alternative de cette super-frappe serait d’amorcer des tsunamis géants, une idée qui nous vient d’Andréi Sakharov. Il s’agirait de faire exploser une série de charges nucléaires sur des points bien définis le long des failles transformantes atlantique et pacifique (environ 3 à 4 pour chacune) à une profondeur de 1,5 à 2 kilomètres. D’après les calculs de Sakharov et d’autres scientifiques, cela produirait une vague qui s’élèverait à 400-500 mètres, ou plus, près des côtes américaines. En s’écrasant sur le rivage, cette vague balaierait tout jusqu’à une distance de 500 kilomètres à l’intérieur des terres. Si les explosions avaient lieu plus profondément, là où l’écorce terrestre, à la jointure des plaques, est la plus mince, alors l’écorce elle-même pourrait fondre, et le magma arrivant au contact de l’eau amplifierait et multiplierait l’intensité de l’explosion. La hauteur du tsunami pourrait alors dépasser 1 500 mètres, et la zone totalement détruite pourrait atteindre plus de 1 500 kilomètres à partir du rivage.
Ce serait une arme très propre : pas d’hiver nucléaire, pas de gigantesque nuages de poussières, par contre la vapeur d’eau retomberait très vite sur la terre déjà ravagée, sous forme de terrifiantes douches radioactives. Une telle frappe déstabiliserait la tectonique de la région, provoquant vraisemblablement l’éruption du super-volcan du Yellowstone. La vague opposée, elle, balaierait l’Europe. En d’autres termes, ce seraient tous les pays de l’Otan qui disparaîtraient. Ce cataclysme serait d’une horreur sans nom. Mais il s’agit de la menace asymétrique du dernier ressort. Une partie de la Russie serait aussi détruite, mais il ne resterait rien de toute la civilisation occidentale. Même l’explosion d’une seule forte charge près des failles de San-Andreas, San-Gabriel, ou San-Jacinto, déclencherait des cataclysmes géologiques.
Apocalypses – faciles à obtenir et avec peu de moyens
Les scénarios discutés ici démontrent que le nombre de super-charges nucléaires nécessaires pour cette arme asymétrique est plutôt limité – environ dix. Ce qui permet de rendre son emploi crédible, si les conditions exposées plus haut sont remplies.
Amener ces charges à leur destination pourrait se faire de nombreuses manières. En premier lieu : plusieurs missiles balistiques monobloc qui, lancés en même temps que de nombreuses fusées-leurres, submergeraient toute défense anti-missile, même celles développées dans un futur lointain. Un petit nombre de systèmes de lancement spéciaux, protégés dans des puits, pourrait être dissimulé, aussi bien par des forces militaires que par un secret rigoureux. On pourrait développer un tel missile pour les sous-marins lanceurs d’engins de la classe Typhon (projet 941). Leurs tubes de lancement sont conçus pour le P39 de 96 tonnes, qui pourrait facilement accueillir les fusées intercontinentales avec la charge utile exigée. Un seul de ces sous-marins serait suffisant pour cette mission.
Les super-charges pourraient être intégrées dans les futurs missiles hypersoniques pour former l’équivalent terrestre des sous-marins lanceurs d’engins. Elles pourraient aussi être secrètement positionnées à l’avance, aux points fixés et à la profondeur requise, à partir de navires de la Flotte camouflés en navires civils. Au moment voulu, un système de transmission très complexe et très sûr pourrait activer ces charges. Si la tension internationale redescend, ces charges pourraient être récupérées par des navires spécialisés.
Il faut entre 5 ou 6 et 10 à 12 ans, selon les experts, pour concevoir et produire des charges de la taille requise. Il faut autant de temps pour développer et produire un nombre suffisant de moyens de transports. Cela veut dire que la Russie peut posséder cette arme asymétrique dans les dix prochaines années. L’arrivée d’une telle arme rendra caduque toute menace d’une guerre majeure contre notre pays, même si l’ennemi jouit d’une supériorité écrasante en termes d’armes conventionnelles.
Konstantin Sivkov Président de l’Académie de géopolitique, Dr ès Sc.
Article original en russe
Texte traduit du russe à l’anglais par Eugenia
Traduit de l’anglais par Ludovic, relu par Diane pour le Saker Francophone