Gazoduc russo-pakistanais à 10 milliards de dollars : vers l’intégration eurasiatique


andrew-korybkoPar Andrew Korybko – Le 12 octobre 2018 – Source orientalreview.org

La Russie et le Pakistan ont signé un protocole d’accord fin septembre 2018, convenant de mener une étude de faisabilité dans le but de construire un gazoduc sous-marin de 10 milliards de dollars, que Moscou espère par la suite voir relier l’Iran, le Pakistan et l’Inde.

On avait commencé à parler de ce méga-projet en novembre 2017, au cours de la visite du président Poutine à Téhéran. Qu’on en arrive déjà à la signature de ce protocole d’accord témoigne des efforts qui ont été menés, et du fait que des relations stratégiques sont en cours d’établissement rapide entre Russie et Pakistan : cette évolution illustre la manière dont chacune des grandes puissances s’emploie à diversifier ses relations internationales avec des partenaires non traditionnels, pour s’adapter au mouvement perpétuel et complexe de l’ordre mondial multipolaire en cours d’émergence. Tout aussi important, on distingue bien également la volonté russe d’« équilibrer » les duos de grandes puissances rivales entre elles, avec en tête l’idée de préserver la stabilité régionale, et c’est exactement ce qu’on peut anticiper entre le Pakistan et l’Inde si le projet de gazoduc parvient à terme. Le pari que font tacitement les Russes est le suivant : les tensions entre les deux pays vont diminuer si la Russie les accompagne, au travers de ce gazoduc, dans un partenariat d’interdépendance réciproque complexe.

D’autres retombées bénéfiques de ce méga-projet sont également à prévoir.

Premièrement, ce projet se montre géopolitiquement beaucoup plus viable que le gazoduc TAPI à 10 milliards de dollars, depuis le Turkménistan, qui doit traverser l’Afghanistan ravagé par la guerre, ce qui pourrait induire des délais ou rendre le projet caduque, si Daesh en venait à établir une présence à l’Ouest du pays enclavé. De manière connexe, tant que l’Inde présentera la volonté politique de tenir tête aux menaces de sanctions des USA, le gazoduc russe tiré depuis l’Iran constituera la garantie que l’Inde restera l’un des clients principaux iraniens en énergie. Mais même si cela devait changer, et que le projet s’arrêtait au Pakistan, la Russie pourrait coopérer avec l’Arabie saoudite – qui a récemment engagé des milliards de dollars dans le CPEC [Couloir économique Chine-Pakistan, NdT] – et avec la Chine, pour monter un gazoduc parallèle au CPEC pour alimenter la république populaire. À défaut, il reste indiscutable que la Russie et le Pakistan sont encore à l’œuvre pour briser l’« isolement » de l’Iran induit par les sanctions américaines.

Signature du protocole d’accord entre Pakistan et Russie, pour la mise en œuvre d’un projet de gazoduc sous-marin reliant l’Iran au Pakistan et à l’Inde.

Cette observation, qui peut paraître simple, présente une importance probablement sous-estimée par nombre d’observateurs.

Chacune des deux grandes puissances qui s’avancent vers ce partenariat dispose d’années d’expérience de survie sous diverses manifestations de la pression américaine, même si l’Iran est sans aucune doute loin devant en la matière, et les trois pays savent qu’ils ont intérêt à mettre leurs efforts en commun pour résister aux pressions encore accrues qui vont venir des USA si ils poursuivent ces projets de gazoduc. Les intérêts qui leurs sont communs en la matière, ainsi que la position identique qu’ils prendront face à la pression américaine par suite de ces projets vont probablement contribuer à renforcer leurs relations tri-latérales, ce qui pourrait bien ébaucher un axe de stabilité important en Eurasie, et faire avancer la perspective d’un Anneau d’Or, si cette plateforme de résistance multilatérale se voyait rejointe par la Turquie et la Chine. Vu sous cet angle, le projet russe de gazoduc avec le Pakistan pourrait à terme venir redistribuer les cartes géostratégiques.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 5 octobre 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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