Par Justin Mikulka – Le 12 mars 2019 – Source DeSmog
Il y a deux ans, l’industrie américaine de la fracturation tentait de se remettre de l’effondrement du prix du pétrole. Les compagnies de schistes faisaient la promotion de l’idée que la fracturation était viable même à bas prix du pétrole (malgré des pertes financières lorsque les prix du pétrole étaient élevés). À l’époque, personne ne gagnait de l’argent avec l’approche du statu quo, mais le Wall Street Journal a ensuite publié un article affirmant que tout cela était sur le point de changer parce que l’industrie avait un atout – et c’était la technologie.
Aujourd’hui, les frackers comptent à nouveau sur la technologie comme sauveur financier, mais cette fois-ci, ils se tournent vers Microsoft.
Alors qu’ExxonMobil s’engage dans un projet ambitieux de fracturation des champs pétroliers permiens de l’ouest du Texas, elle a annoncé un partenariat avec Microsoft pour utiliser la technologie du cloud pour analyser les données des champs pétroliers et optimiser les opérations. Exxon prétend que ce saut technologique pourrait générer des « milliards en cash flow net ».
Le temps nous dira si le cloud de Microsoft fera faire une pluie de profits à Exxon dans le Permien.
Fracking 2.0
En mars 2017, le Wall Street Journal a publié un article intitulé « Fracking 2.0 : Les pionniers de la fracturation hydraulique face à des jours meilleurs concernant les profits dans le domaine du pétrole bon marché », qui décrivait en détail la façon dont l’industrie du schiste s’attendait à ce que la technologie l’aide enfin à réaliser des profits. L’article mentionnait « des puits plus longs et plus grands » et disait : « La promesse de cette nouvelle phase est potentiellement aussi importante que la révolution originale ».
L’article mettait l’accent sur EOG Resources (comme dans Enron Oil and Gas), une entreprise souvent présentée comme l’« Apple du pétrole », et citait le directeur de l’information de l’entreprise en disant que les progrès technologiques permettent à ses employés de travailler à la « vitesse de la pensée ».
Elle a également indiqué que Chesapeake Energy pariait sur ces nouveaux puits géants dans le cadre de sa « stratégie de redressement ». Chesapeake avait besoin de « se redresser » pour ne plus perdre de l’argent et s’orienter vers les profits.
En juin 2017, le site d’investissement Seeking Alpha trompétait « L’arrivée des Super-Latéraux » comme une réalisation technologique pour l’industrie du schiste bitumineux. (« Latéraux » est le terme utilisé dans l’industrie pour désigner les puits horizontaux utilisés dans la fracturation du pétrole et du gaz de schistes). Cet article présentait les nouvelles réalisations de Chesapeake Energy en matière de forage de puits latéraux plus longs.
Mais les puits surdimensionnés n’étaient pas la seule solution pour empêcher les foreurs de schistes de perdre plus d’argent. Il y avait aussi un plus grand nombre de puits par plateforme de forage. Il y a un an, la société de schistes Encana a annoncé des plans pour le « développement de cubes », dans lesquels elle forerait 64 puits sur un site de forage gargantuesque dans les champs pétroliers du bassin permien dans l’ouest du Texas.
La même chose se produisait dans le schiste argileux de Marcellus, en Pennsylvanie, où le principal producteur de gaz naturel, EQT Corporation, prévoyait de forer 40 puits par plateforme. La société s’est souvenue des premiers temps de la fracturation où le forage de trois puits par plateforme était considéré comme une percée importante. Comme l’indiquait le Pittsburgh Post-Gazette de l’époque, le nombre plus élevé de puits par plateforme nécessitait une « géométrie créative », ce qui « assure que les puits ne se mélangent pas sous terre ».
Le journal Post-Gazette a également cité Dave Elkin, vice-président principal de l’optimisation des actifs chez EQT, vantant les longueurs sans cesse croissantes des puits horizontaux, en disant que la « limite économique et technologique » pour ceux du schiste de Marcellus était de 6 400 mètres.
Avec une technologie plus avancée qui permet d’obtenir des puits horizontaux plus longs et une géométrie créative qui les compriment dans des zones plus petites, les profits semblent être la prochaine étape logique.
Mais Fracking 2.0 a été un désastre financier, et les tentatives désespérées des foreurs de schistes de gagner de l’argent de toutes les façons possibles reviennent les hanter dans les grandes largeurs.
Erreurs de fracturation et limites technologiques
EQT a en effet foré les puits les plus longs, mais a aussi perdu beaucoup d’argent dans ce processus. Selon le Wall Street Journal, « la décision de forer certains des plus longs puits horizontaux jamais construits dans des roches de schiste s’est transformée en un faux pas coûteux qui a coûté des centaines de millions de dollars ».
EQT a commencé l’année 2019 par une série de licenciements. En 2018, les puits surdimensionnés de la compagnie Chesapeake ont fait en sorte qu’elle a dépensé 600 millions de dollars de plus que pour produire du pétrole et du gaz.
Mais ce n’était pas la vrai mauvaise nouvelle pour l’industrie de la fracturation, qui apprenait que sa « géométrie créative » créait surtout des pertes. Encana – la société qui possède un super bloc de 64 puits – a également annoncé des licenciements. Dans une lettre adressée à la Texas Workforce Commission, Encana a déclaré : « L’entreprise a l’intention de se séparer graduellement de ses employés d’ici le 31 mai 2019 », passant de la géométrie créative à des façons créatives de décrire les licenciements.
Et bien qu’il ne s’agisse là que de trois entreprises qui ont tenté de repousser les limites de la technologie de fracturation, le fait de percer trop de puits ensemble sur la même plateforme pourrait grandement alterer l’économie de l’industrie de la fracturation. Comme je l’écrivais en août 2018, lorsque les puits de pétrole et de gaz sont trop proches l’un de l’autre, le processus de fracturation peut endommager les puits voisins – un processus connu sous le nom d’« erreurs de fracturation ». Le résultat peut coûter de l’argent aux foreurs et réduire considérablement la quantité de pétrole qu’ils peuvent pomper de ces puits.
Deux ans après son article Fracking 2.0, le Wall Street Journal a publié un article intitulé « Compagnies du schiste : Ajout de toujours plus de puits, menace future sur le boom US du pétrole ». L’article explique comment le fait de placer trop de puits sur une plateforme de forage « s’avère être un fiasco ».
The Wall Street Journal @WSJ
Les problèmes posés par la stratégie consistant à regrouper les puits les uns à côté des autres signifient que certaines des projections les plus optimistes pour la production de pétrole dans les régions de schiste argileux pourraient devoir être revues à la baisse.
Selon le Journal, cette réalité pourrait mener à une « réduction de valeur à l’échelle de l’industrie si elle est forcée de réduire les estimations des sites de forage qu’elle a présenté aux investisseurs ». Pour une industrie à fort effet de levier dans une période de perte d’argent qui dure depuis dix ans, ce n’est pas une bonne nouvelle.
Les analystes de l’industrie de Wood MacKenzie ont commencé à mettre en garde contre les limites de la capacité de la technologie à livrer plus de pétrole dans le Permien en 2017. Dans The Wall Street Journal, Robert Clarke, directeur de recherche chez Wood Mackenzie, a déclaré : « À moins d’une percée technologique massive, ces puits enfants seront plus petits. ‘Puits enfant’ est le terme utilisé dans l’industrie pour désigner les puits multiples forés sur une plate-forme autour du premier ‘puits parent’ ».
Encore une fois, à moins que la technologie ne puisse changer l’équation financière, l’industrie de la fracturation est en difficulté.
Ce qui nous amène à Fracking 3.0 ….
Fracking 3.0 : Exxon mise sur Microsoft pour résoudre le problème
Malgré les désastres financiers du passé et l’échec de la nouvelle technologie à générer des profits pour l’industrie de la fracturation, les plus gros joueurs de l’industrie pétrolière entrent maintenant dans le jeu dans les champs pétrolifères prolifiques du Permien. Et la solution au problème de profit de l’industrie de la fracturation, selon des entreprises comme ExxonMobil, c’est Microsoft. Apparemment, la technologie du cloud est l’ingrédient manquant dans le Permien.
Au cours de la semaine dernière, Exxon et Chevron ont tous deux annoncé des plans d’investissements majeurs dans le schiste argileux du Permien, qui promettent d’importantes augmentations tant de la production pétrolière que des profits.
Tout comme en 2017, les manchettes actuelles vantent les plans d’Exxon et son partenariat avec Microsoft pour utiliser la technologie afin de trouver enfin comment faire de l’argent dans le Permien.
Il semble qu’il s’agisse d’une campagne de relations publiques efficace de la part d’Exxon – ce qui était vraiment nécessaire. Il y a un an, la piètre performance financière d’Exxon était liée à son incapacité à faire un grand pas vers la fracturation du schiste bitumineux. À l’époque, CNN écrivait : « ExxonMobil a raté l’invitation à la grande fête du pétrole américain. »
Bien que cette dernière promesse de profits provenant de la fracturation soit maintenant appuyée par certaines des plus grandes entreprises du monde, ces plans ne sont rien de plus qu’un communiqué de presse pour le moment. C’est donc le bon moment pour repenser au moment où Exxon a fait un grand pas vers le gaz naturel en 2010. Exxon a acheté le producteur de gaz naturel XTO pour 40 milliards de dollars, et bien que les États-Unis produisent des quantités record de gaz naturel en 2019, cet accord est considéré comme l’un des pires de l’histoire de l’industrie énergétique.
« C’est l’une des pires acquisitions de l’histoire du secteur de l’énergie. C’était exceptionnellement mal choisi », a déclaré Pavel Molchanov, analyste de l’énergie chez Raymond James, à CNN en 2018. « … essentiellement, ce furent 40 milliards de dollars de pertes sèches. »
Peut-être que le grand pas d’Exxon vers le pétrole de schiste ne répétera pas l’histoire, et le géant pétrolier dévoilera enfin le secret des profits tout en s’attaquant au pétrole de schiste avec une technologie améliorée.
D’une certaine perspective, cependant, il est utile de regarder comment EOG, le fameux « Apple du pétrole », se porte ces jours-ci.
Pour cela, nous nous tournons vers Art Berman, un analyste de premier plan de l’industrie qui a fait ses preuves sur de nombreux aspects de la fracturation du pétrole et du gaz. En février, il a publié une analyse montrant que 2015 fut la meilleure année pour la performance des puits d’EOG pour ses puits Eagle Ford au Texas et que 2018 pourrait être la pire.
Art Berman @aeberman12
2015 fut la meilleure année pour la performance des puits d’EOG pour ses puits dans l’Eagle Ford. 2018 pourrait être la pire. #OOTT #oilandgas #oil #WTI #CrudeOil #fintwit #OPEC
La technologie ne donne apparemment pas d’excellents résultats pour l’« Apple du pétrole », mais peut-être que Microsoft a les réponses.
Note du Saker Francophone Cet article est tiré d'une série : L’industrie du schiste argileux creuse plus de dettes que de bénéfices Concernant Microsoft, il s'agit de monitoring amélioré pour optimiser les ressources, rien de significatif ... « Le partenariat comprend un environnement intégré de cloud computing pour collecter des données en temps réel de manière sûre et fiable à partir d'actifs pétroliers couvrant des centaines de kilomètres dans l'ouest du Texas et le sud-est du Nouveau-Mexique. Les données pourraient permettre de prendre des décisions plus rapides et plus éclairées sur l'optimisation des forages, la complétion des puits et l'établissement des priorités en matière de déploiement du personnel. »
Traduit par Hervé pour le Saker Francophone
Ping : Vers où va-t-on ?Alors que les entreprises de fracturation font faillite, les régulateurs américains leur permettent de réduire les coûts de nettoyage – chaos
Ping : Vers où va-t-on ?Ces incidents des puits de pétrole et de gaz issus de la fracturation se produisent « à un rythme alarmant;Non QE, monétisation et inflation des actifs – chaos