Flight to quality

«...Bien sûr, on vous expliquera qu’il faut une monnaie faible pour favoriser l’économie. Même si ça veut dire payer les américains pour qu’ils achètent nos produits plutôt que de les consommer nous même.» Hocine

Par Hocine – Le 6 Février 2016 pour le Saker francophone

La valeur d’un actif financier n’est pas liée à sa valeur intrinsèque, sa valeur comptable. Sa valeur est fixée par sa valeur d’échange. Sa valeur d’échange est fixé par le jeu de l’offre et la demande sur les marchés financiers (financial exchange). Les capitaux financiers sont, donc, constitués d’actifs financiers échangés en permanence contre d’autres actifs financiers.

Sur quelle base ? Les gestionnaires de capitaux analysent les fondamentaux (la valeur intrinsèque) et, sur la base de leurs analyses, choisissent les actifs fournissant le meilleur rendement par rapport au risque qu’ils sont prêts à prendre. Les analyses des différends gestionnaires finissant par se recouper, il se crée un flux de capitaux d’un actif vers un autre. C’est se qu’on appelle la tendance. Évidemment, comme les prix s’adaptent à l’offre et la demande, les premiers à bouger (first movers) bénéficient à la fois d’un meilleur rendement, mais aussi d’une plus-value dans les termes de l’échange. Plus-value payée par les derniers arrivés sur l’actif.

Maintenant que nous avons mis en évidence l’importance des flux, pourquoi ne pas les utiliser comme base de notre analyse à la place des fondamentaux ? Je rappelle que ce qui est recherché c’est d’être le premier à bouger (à cause de la plus-value réalisée sur la valeur d’échange).

Les flux, c’est à dire les tendances, sont faciles à percevoir à travers l’évolution des prix et des stocks (d’actifs financiers chez les différends acteurs financiers). Une fois identifiés, nous en rechercherons la ou les causes. Il suffit ensuite de surveiller l’évolution de ces causes pour prédire un changement de tendance.

Voici un exemple caricatural comme illustration :

Pendant la bulle internet (1999), une holding détenait un grand nombre de part dans des sociétés internet. A cause de l’évaluation vertigineuse des actions internet, le portefeuille de la holding valait nettement plus que la capitalisation de la holding elle-même. Un gestionnaire guidé par les fondamentaux aurait attendu des mois pour réaliser une plus-value. Un jour, un article publié sur un site financier pour non-professionnel mit en avant cette société et en deux jours le cours de l’action doubla. Ensuite, pendant près d’un an, il baissa lentement. Un an plus tard, le même genre d’article fut publié avec le même résultat.

Une analyse basée sur les fondamentaux aurait, certes, généré une plus-value, mais n’aurait pas généré un rendement élevé à une époque où les actions internet doublaient tous les trois mois.

Une analyse basée sur les flux aurait identifié la cause de ce flux comme étant la publication d’un article et non les fondamentaux.

Un autre exemple très à la mode aujourd’hui : l’or.

Depuis que la création monétaire s’est emballée (1997), les fondamentaux sont très favorables pour l’or. L’augmentation exponentielle du prix en dollar de 2000 à 2011 en est la preuve. Et ensuite ? Ensuite l’EUR/USD a plongé à cause de la crise des dettes souveraines (quand le dollar monte, l’or descend) et la narrative du redressement de l’économie (recovery) s’est installée. Oui, mais pour qu’elle soit crédible, il fallait que le prix de l’or baisse. En effet, l’or est un actif sans contre-partie. Il est particulièrement intéressant quand les défauts sur la dette augmentent et à ce titre il mesure également le niveau de stress dans les marchés financiers et implicitement dans l’économie. Les Maîtres de l’Univers ont donc créé un flux contraire à coup de papier-or. Aujourd’hui, il y a 542 onces de papier-or pour 1 once d’or physique sur le COMEX. Quand est-ce que l’or remontera ? Pas à partir d’une analyse sur la base des fondamentaux (qui n’ont pas changé), mais sur la base d’une analyse des flux. Il remontera lorsque le mensonge de la reprise sera éventé. Lorsqu’il ne sera plus utile ou plus possible de faire semblant.

Après ce préliminaire, passons aux choses sérieuses.

Flight to quality ou fuite vers la qualité est une expression de trader désignant un flux des capitaux allant des actifs les plus risqués vers les moins risqués. Depuis Bretton Woods (1944), les actifs les moins risqués sont les bons du Trésor américain.

Bien sûr, il y a l’or. Mais l’or présente aussi des désavantages. L’or physique ne se déplace pas en une nanoseconde. Il offre un rendement négatif (frais de transport, de stockage et d’assurance). En plus, jusqu’en 1968 (London gold pool), le dollar était remboursable en or à un cours fixe.

Que les bons du Trésor (BdT) américains soient les actifs les moins risqués est profondément gravé dans l’esprit de tous les acteurs des marchés financiers. En particulier, celui des traders qui sont, en général, très jeunes.

Aujourd’hui, face à la déflation (pour ne pas dire dépression) et à la baisse généralisée de tous les actifs, on assiste à un flight to quality vers les bons du Trésor américain.

Il existe, cependant, un flux contraire. Tous les pays exportateurs sont vendeurs de BdT US pour des raisons de déficit budgétaire et/ou de fuite des capitaux. Lorsque le mensonge de la reprise sera éventé, lorsque les banques feront faillite à cause de prêts non-remboursés comme en 2008, le dollar chutera. Peut-être pas tout de suite à cause du flight to quality, mais dès que le gouvernement ou la Fed interviendront.

Les pays exportateurs auront toujours besoin de vendre leurs BdT US pour combler leurs déficits budgétaires aggravés par la crise.

Les baby-boomers auront toujours besoin de vendre leurs BdT US pour financer leur retraite.

Les épargnants japonais voudront récupérer leurs économies.

Le gouvernement US devra vendre encore plus de BdT pour couvrir ses déficits grandissants.

Et, finalement, les capitaux apatrides comprenant le sens du mot quality prendront leurs jambes à leur cou.

Ce jour là qui interviendra pour acheter du dollar ?

Voici quelques pistes :

Le président de la Banque centrale japonaise (BoJ) a introduit des taux d’intérêt négatif une semaine après avoir annoncé qu’il ne le ferait pas. La BoJ rachète déjà tous les emprunts émis par le gouvernement, elle ne peut faire plus.

La BCE pratique déjà les taux d’intérêt négatifs et le rachat de titre. Elle est obligée d’élargir la liste des titres éligibles faute de trouver des vendeurs.

La Banque nationale suisse (BNS) est considéré comme le plus grand hedge fund du monde tellement elle a acheté de titres (étrangers) en tous genres.

Bref, ce seront les vassaux qui seront chargés de se ruiner pour soutenir le dollar. A la fois, par des achats directs des banques centrales ce qui dévalue notre monnaie, mais aussi en pratiquant une répression financière (taux négatifs) ce qui oblige les épargnants à investir dans des actifs en dollar (et donc à empêcher le reflux).

Bien sûr, on vous expliquera qu’il faut une monnaie faible pour favoriser l’économie. Même si ça veut dire payer les américains pour qu’ils achètent nos produits plutôt que de les consommer nous même.

Hocine est un ancien trader repenti, spécialiste des marchés de devises [FX Market], il a un diplôme d’ingénieur et nous livre ses commentaires sur les dessous du trading.

NB : Ce texte n’envisage pas les mesures hétérodoxes pour soutenir le dollar. Tel que: une guerre, une hausse des prix du pétrole à cause de tensions géopolitiques (recyclage des pétrodollars), une attaque sur les CDS (Crédit Default Swap) des banques ou des dettes souveraines européennes.

https://www.sprottmoney.com/blog/big-banks-caught-using-credit-default-swaps-to-destroy-nations.html

27/08/15 : La guerre des monnaies : faites votre choix sur le marché libre des opinions

Édité par Hervé, relu par Diane pour le Saker francophone

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