Ethnogenèse : La carte et les données


Par Dmitry Orlov – Le 23 mai 2019 – Source Club Orlov

OrlovAvant d’aborder les implications contemporaines très importantes de la théorie de l’ethnogenèse de Gumilëv, j’aimerais présenter, sous forme condensée et sommaire, les données sur lesquelles repose cette théorie. Selon cette théorie, le phénomène biogénétique qui sous-tend toute l’histoire humaine est déclenché deux ou trois fois par millénaire, apparemment de façon aléatoire, et toujours le long d’une bande de quelques centaines de kilomètres de large qui ne couvre qu’un côté de la planète et suit le grand cercle (qui est le plus court chemin entre deux points sur une sphère). Ces bandes sont orientées différemment et se trouvent à l’extérieur du plan du système solaire, ce qui suggère que les rafales de rayonnement mutagène proviennent de l’extérieur du système solaire. Après le bombardement par ce rayonnement d’une population humaine qui se trouve dans la bande étroite, il s’ensuit une période d’incubation de plus d’un siècle au cours de laquelle le gène mutant se répand dans la population ; c’est alors seulement que le spectacle commence.

Tout cela rend le sujet très difficile. Un vulcanologue pourrait être satisfait de la fréquence de deux ou trois événements majeurs par millénaire, mais ne serait pas aussi satisfait de l’absence totale de preuves géologiques ; tout ce qui reste, c’est de l’histoire et de l’archéologie. Un biologiste de l’évolution dirait que quelques milliers d’années, c’est trop peu de temps pour travailler (toute l’histoire de l’humanité tient à peine sur 40 siècles). Et comment un généticien chercherait-il des marqueurs dans le chromosome Y d’hommes morts depuis de nombreux siècles qui sont en corrélation avec le trait de « volonté de mourir pour une cause abstraite » ? Mais ce n’est pas parce qu’une théorie ne peut être attestée sur la base de preuves physiques qu’elle est automatiquement invalidée. Il y a une autre méthode, celle de la prépondérance des preuves circonstancielles, et c’est là que Gumilëv brille vraiment. Il a rassemblé 40 siècles de données historiques et archéologiques en une seule carte qui montre qui a été bombardé par les rayons spatiaux, où et quand, et a discuté des résultats de chacun de ces événements en détail.

Voici donc la carte.

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C’est assez ouvertement centré sur l’Eurasie, mais pour une bonne raison. Bien qu’il soit traditionnel de séparer la Terre en deux hémisphères, l’hémisphère Est et l’hémisphère Ouest, c’est plutôt artificiel et inutile pour l’analyse de Gumilëv. En regardant un globe, il est immédiatement évident que si la Terre doit être divisée en deux hémisphères, l’un d’eux est l’océan Pacifique et l’autre contient tout le reste. Et comme l’océan Pacifique est constitué à 99,9 % d’eau, avec de minuscules morceaux de terre dispersés au hasard ici et là, l’hémisphère Pacifique n’est pas intéressant pour détecter les effets mutagènes des bandes étroites de rayons spatiaux : la probabilité qu’ils ratent un bout de terre habité est proche de 100 %. L’hémisphère hors océan Pacifique est beaucoup plus productif, bien que la majeure partie de l’hémisphère – l’Afrique subsaharienne et l’Australie – puisse être rejetée parce que rien ne s’y est jamais produit. Quelques événements se sont produits sur le continent américain – les Aztèques, les Mayas, les Incas, les Cahokia – mais l’histoire humaine sur le continent américain étant plus courte et le continent lui-même plus petit, il est logique de regarder l’Eurasie.

La carte est en russe mais les chiffres romains et arabes ne le sont pas, pas plus que les formes des côtes, rivières et montagnes. Voici donc la liste complète des neuf occasions où des humains en Eurasie ont été poussés par les rayonnements venant de l’espace à faire des choses historiquement importantes.

  1. 18 siècle av. J.-C. : 1-Egyptiens, 2-Hyksos, 3-Hittites, 4-Proto-Khazars
  2. 11 siècle av. J.-C. : 1-Zhōu Cháo (周朝), 2-Scythes
  3. 8 siècle av. J.-C. : 1-Romains, 2-Samnites, 3-Èques, 4-Gaulois, 5-Grecs, 6-Medes, 7-Ciliciens, 8-Perses
  4. 3 siècle av. J.-C. : 1-Sarmates, 2-Koushans, Sogdiens, 3-Huns, 4-Xiānbēi (鮮卑), 5-Puyŏ (부여)
  5. 1 siècle après J.-C. : 1-Goths, 2-Slaves, 3-Daces, 4-Chrétiens, 5-Juifs, 6-Aksumites
  6. 6 siècle après J.-C. : 1-Musulmans, 2-Rajputs, 3-Bhutiens, 4-Tuòbá (拓拔), 5-Chinois, 6-Coréens, 7-Japonais.
  7. 8 siècle après J.-C. : 1-Espagnols, 2-Français, 3-Saxons, 4-Vikings
  8. XIe siècle après J.-C. : 1-Mongols, 2-Jurchen (女真)
  9. XIIIe siècle après J.-C. : 1-Lituaniens, 2-Russes, 3-Turcs, 4-Ethiopiens

Il y a probablement eu des impulsions depuis, mais comme la période d’incubation est de 100 à 150 ans et qu’il nous faut examiner les stades les plus avancés de l’ethnogenèse pour les détecter, nous ne sommes peut-être pas encore en mesure de les repérer. Gumilëv n’étant plus parmi nous, c’est à nous de les surveiller de près et d’essayer d’identifier des candidats potentiels.

Noter l’extrême inégalité des résultats de l’ethnogenèse. D’une part, il y a les grandes réussites. Vous lisez ceci en caractères romains qui a commencé au 6ème siècle avant J.-C. Est-ce parce que l’écriture romaine est exceptionnellement intelligente ou parce que les Romains étaient exceptionnellement brillants comme linguistes ? Non, c’est parce qu’ils ont massacré tous ceux qu’ils n’aimaient pas et qu’ils se moquaient que certains d’entre eux soient tués en retour.

Juifs et chrétiens (comme super ethnos), qui ont débuté au Ier siècle après J.-C., sont encore très présents dans l’actualité. (Les Juifs ont commencé au 1er siècle avant J.-C. ? Oui, avant cela, c’était une petite tribu entièrement indescriptible, inoffensive et facile à asservir, et toute leur histoire pseudo-héroïque antérieure est une imposture).

Les musulmans (un autre super ethnos) qui ont débuté au 6ème siècle aprés  J.-C. sont encore plus au centre de l’actualité.  Et puis il y a ces échecs qui ont fait beaucoup de bruit pendant un certain temps, puis qui ont disparu ? Où sont les Khazars, les Sarmatiens ou les Huns ? Ils sont sortis de l’Histoire !

Même lorsqu’une ethnie persiste, les résultats varient. Comparez les Russes et les Lituaniens (qui sont voisins et ont été bombardés en même temps). Les premiers contrôlent un sixième de la surface sèche de la Terre, font payer les Américains pour des vols spatiaux et construisent des centrales nucléaires partout sur la planète ; les seconds faisaient partie d’un grand empire polono-lituanien pendant un certain temps mais contrôlent maintenant 0,0005% de la planète et beaucoup d’entre eux sont partis nettoyer les toilettes des Allemands afin d’acheter à manger. N’oubliez pas qu’il s’agit là d’exemples de réussite. Nous n’avons aucun moyen de savoir combien de cas d’ethnogenèse ont été de véritables échecs.

Certains ont réussi contre vents et marées. Par exemple, lorsque les Scandinaves se sont fait bombarder au VIIIe siècle, ils n’étaient pas du tout passionnés. Ils ont jugé bon d’exiler tous les hommes qui manifestaient des tendances extrémistes (comme manger des champignons hallucinogènes et ravager des contrées). Ceux-ci sont connus comme les Vikings. Heureusement, ils ont su assembler des bateaux avec des bordages à clin en bon état de navigabilité et ont réussi à envahir et à piller de nombreuses zones côtières, violant toutes les femmes qu’ils ont pu trouver et diffusant leurs chromosomes Y mutants partout dans le monde. Certains des moins fous ont fini au service de l’empereur byzantin. Leurs gènes se sont mêles à ceux des Normands, qui envahirent alors l’Angleterre et avec les Écossais-Irlandais, ils furent les principales troupes de choc de l’Empire britannique, puis de l’Empire américain.

Ce n’est là qu’un petit aperçu ; les textes de Gumilëv en regorgent positivement. L’ethnogenèse, associée à l’évolution de la technosphère, est peut-être l’événement le plus important et le plus notable que la biosphère de la Terre (avec un peu d’aide de rayonnement spatial) ait jamais connu, autre que la vie elle-même.

Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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