En Russie, comme en Occident, les écoles sont devenues des usines anti-famille


Par Iliya Shugaev − Le 5 septembre 2019 − Source russia-insider.com

L’éducation moderne présente les mêmes défauts que ceux de l’ensemble de la civilisation européenne occidentale moderne, qui pénètre de plus en plus dans nos pays complètement différents, de civilisation orthodoxe (y compris les Slaves). L’un de ces défauts réside dans la hiérarchie des valeurs, voulant que le professionnalisme outrepasse les valeurs familiales.

Quelles sont les choses que vous modifieriez dans le fonctionnement des écoles d’aujourd’hui?

Cela signifie que si vous êtes un spécialiste hautement qualifié, vous serez une personne respectée, que vous soyez ou non dévoué à votre famille. Dans une telle société, on attend avant tout de vous que vous soyez un rouage d’un grand système qui crée des bénéfices matériels pour le bonheur général — en fin de compte, un système économique.

En matière d’éducation, cela se manifeste par le fait que l’enfant se voit évalué en premier chef sur l’échelle des performances académiques, et sur les connaissances qu’il a acquises, et pas du tout en fonction de qualités personnelles, par exemple, la capacité à aimer, à constituer un ami fidèle. Bien sûr, cela peut être pris en compte, mais ça ne l’est pas au premier chef.

La vie de l’enfant toute entière tourne autour du succès scolaire, dès la maternelle, où il est déjà préparé, et souvent entraîné, aux études scolaires.

En résultante de cette situation, l’école se transforme en convoyeuse pour la production de ces mêmes rouages, sans personnalités développées. Je ne veux pas offenser les professeurs – ils essaient de développer la personnalité des enfants – mais le système éducatif en soi est conçu comme une simple courroie de convoyage ; aussi, si les professeurs réussissent à faire quelque chose, ce n’est pas grâce au système, mais malgré lui.

Je vais exposer deux exemples illustrant le fait que l’école ne prend pas en compte les traits de personnalité de l’enfant.

Pour commencer, le genre de l’enfant n’est même pas pris en compte. Depuis les années 1950, les écoles de filles et de garçons séparées ont totalement disparu. Et les psychologues, et les parents eux-même bien souvent, savent qu’à l’école les filles ont deux années d’avance sur les garçons en matière de développement psychologique. L’Église en a toujours été consciente, et c’est pour cela que les filles se sont vues autorisées à se marier dès l’âge de 14 ans, alors que les garçons devaient attendre l’âge de 16 ans. À ces âges, les jeunes atteignaient un niveau de maturité intérieure, ainsi que la volonté de fonder une famille.

Malheureusement, par suite d’un fort infantilisme, ce n’est plus le cas de la jeunesse moderne. Par exemple, à leur septième année d’école [en classe de cinquième, NdT], toutes les filles sont entrée dans l’âge de transition, alors que la majorité des garçons ne l’atteignent qu’à la huitième année [en classe de quatrième, NdT].

Ainsi, pendant dix ans, les garçons sont assis sur les mêmes bancs que les filles, qui ont en moyenne deux années de plus qu’eux, en matière psychologique. Il n’est pas surprenant qu’au cours de l’ère soviétique, les filles aient été à la tête des Komsomol, les premières de leur classe, et les plus actives dans les diverses activités scolaires. Rien de tel que tenir en classe mixte des garçons et des filles de dix ou onze ans pour donner l’impression aux secondes que les premiers sont irresponsables, stupides, et paresseux ; que l’on ne peut leur faire confiance en aucune manière, et que les filles doivent tout réaliser par elles-mêmes. Elles y font leurs premières armes pour diriger les garçons, leur faire la morale, des remontrances et des réprimandes. Elles y assimilent un sens de supériorité sur eux.

Et pour les garçons, c’est la même histoire à l’envers. La fierté masculine suggère que tel ne devrait pas être le cas, mais ils sont vraiment plus faibles que les filles. Pour compenser, ils roulent des mécaniques encore plus ; font trébucher les filles, leur tirent les cheveux, jettent leurs sacs. Ils se laissent facilement vexer par les filles, et en signe de protestation, ils refusent de se tenir à leurs obligations. Ils voient les filles comme des arrivistes se bourrant le crâne d’informations futiles.

Les garçons en retirent finalement une expérience complètement différente — l’expérience de l’évitement du devoir, l’expérience de protester par l’intimidation.

Et si nous ajoutons au tableau le fait que la grande majorité des professeurs sont des femmes, et que, par conséquent, le style d’enseignement et d’exigences prodigués aux élèves est plutôt féminin, nous nous trouvons dans une situation de production de masse d’une éducation anti-famille. En théorie, tous les professeurs veulent aider les enfants à grandir et à bâtir une belle famille à l’avenir, mais le système fait exactement le contraire.

Je vais illustrer mon propos par un second exemple, démontrant que les facettes de la personnalité de chacun ne sont pas prises en compte dans l’école contemporaine.

J’ai eu par le passé l’opportunité de rencontrer un garçon de treize ans dont les parents sont alcooliques. Lui ne boit pas, ni ne fume. Il s’inquiète beaucoup de ce défaut de ses parents, et les professeurs disent clairement que le garçon se montre très gentil et coopératif. Mais toutefois, il n’est pas adapté à la vie dans ce monde.

Il ne parvient pas à apprendre : il a souvent de mauvaises notes, et fait l’école buissonnière. Non qu’il soit stupide, mais parce que son esprit reste habité d’une idée, parce que sa force mentale est confrontée au fait que tous les autres ont des parents normaux, alors que les siens sont des buveurs. Après tout, il est astreint à aimer des personnes dégénérées, ce qui n’est pas chose aisée!

De ce fait, il se comporte mal en classe, il parle beaucoup et fait preuve de distraction. Les professeurs sont contraints de le faire asseoir là où il ne dérangera pas la classe, et sont parfois amenés à l’exclure de la salle de cours. Graduellement, une persécution se fait jour : « Tu es un perdant, tu es stupide, tu n’es qu’un fils d’alcoolique et tu finiras toi-même comme tel. Ton chemin te destine à finir en prison ou à te vautrer dans la saleté comme un poivrot toute ta vie. »

Et les adultes ne sont pas les seuls à exprimer ce message. Ses camarades le considèrent également comme stupide, insolent, et dans l’ensemble, insensé.

Je suis certain que si rien ne change, deux années vont passer, il aura quinze ans, et il se détachera et sera pris de nombreux maux, du fait que ce monde ne l’accepte pas. Il n’est pas bien à la maison, c’est dur pour lui à l’école, et cela lui facilite la tâche de briser les règles : « C’est vous qui me considérez comme un tyran et un sale type. Pourquoi devrais-je m’en tenir aux règles d’un monde qui n’a pas de place pour moi? Je ne suis pas de ce monde, et je n’ai pas à reconnaître ses règles! »

Et c’est bien le système, qui positionne le niveau d’éducation avant la gentillesse et la serviabilité dans la définition de qui est une bonne personne, qui est responsable de la chose. Si nul n’avait tourmenté ce garçon du fait d’une éducation secondaire obligatoire, mais qu’au lieu de cela on l’avait sans faire de bruit envoyé travailler, il serait devenu un bon ouvrier ou un bon fermier, et nul n’estimerait qu’il est stupide pour n’avoir pas obtenu le bac.

À de tels enfants, le système éducatif moderne, en pratique, ne propose aucun chemin relevant de la normalité. Et tel est le cas chaque fois que le système défigure un enfant qui ne s’assimile pas à la norme.

Je n’essayerai pas d’en tirer de conclusion. Ce que je changerais dans le système éducatif contemporain? L’école doit être plus orientée sur la personnalité de chacun. L’idée semble belle, mais elle est très difficile à mettre en œuvre. En premier lieu, nous devrions au moins introduire des classes séparées pour les garçons et les filles dans les écoles d’une certaine taille, et les enseignants des classes d’écoles primaires devraient suivre des cours de psychologie par genre et par âge.

Qu’y a-t-il de bon dans le système éducatif actuel? Qu’est ce qu’il n’enseigne pas?

L’aspect positif est que nous sommes les héritiers d’une civilisation européenne non-occidentale, orientée vers le succès et la qualité. Notre valeur réside dans nos enseignants, qui pour la plupart sont non seulement des personnes formidables qui aiment les enfants, mais également ne considèrent pas ceux-ci comme des numéros, résistant en quelque sorte à ce que l’école s’assimile à un tapis roulant. Mais je le répète : cela, ils le font en opposition au système éducatif moderne, pas grâce à lui.

Le système éducatif moderne n’enseigne pas l’indépendance, n’enseigne pas les fondamentaux de la vie de famille. Je pense que pour enseigner l’indépendance à l’école, il faudra revoir l’ensemble du système éducatif. Si la classe compte 30 élèves, la principale qualité de ceux-ci devient l’obéissance et l’assiduité. Mais il n’en sortira pas de personnalités matures et indépendantes. L’apprentissage de l’indépendance est une tâche « privée », pour laquelle 10 élèves constitueraient déjà une surcharge.

Et pour ce qui concerne les fondamentaux de la vie en famille, il reste beaucoup à faire : je ne peux même pas imaginer à quoi ressemblerait le concept laïque de la vie de famille.

Ces deux écarts en matière d’éducation relèvent de la nature même de l’école contemporaine. Après tout, l’école a été conçue comme une usine à élever les enfants, qui devait prendre la place de l’éducation artisanale réalisée par les familles. L’impression qui en résulte sur l’élève (qui est comme une feuille de papier vierge) et la séparation de l’enfant de sa famille sont donc inévitables.

Le travail éducatif consiste à enseigner comment trouver les informations.

Comment pouvons nous rendre plus efficace le système éducatif contemporain?

J’ai deux points à noter. Voici le premier : à un homme qui a faim, il vaut mieux lui procurer une canne à pêche et lui enseigner à pêcher, plutôt que de lui donner à manger. La première solution l’amènera à travailler dur et à rester bien nourri, alors que la seconde l’amènera à rester paresseux tout en étant bien nourri.

On peut appliquer ce précepte à l’enseignement. Le travail d’enseignement ne consiste pas à bourrer des informations dans le cerveau de l’enfant, mais de lui apprendre à acquérir et traiter les informations. À mon avis, il est possible de réduire sans fracas le volume des enseignements, mais d’apprendre à l’enfant à travailler avec des sources d’informations, et à en extraire des connaissances. La connaissance qui en sortira sera moins quantitative, mais plus durable. Ce que l’on reçoit facilement, on l’oublie également facilement. Le savoir recueilli avec difficulté n’ira pas s’échouer sur les rives de l’oubli : il restera actif.

Et le second point est le suivant : l’éducation constitue également une très bonne occasion d’appliquer les connaissances. Si un lycéen connaît le « fonctionnement d’une vrille », mais n’a jamais fait un seul trou de sa vie, mon avis est qu’en pratique son éducation est fort ténue.

Le travail développe une personne bien au delà de la connaissance théorique. J’ai commencé à le comprendre à l’âge de 15 ans, quand ma mère m’a chargé de fabriquer des toilettes à la campagne. Au début, j’ai cru que c’était la chose la plus simple au monde, et que je m’en sortirais facilement. Mais dès que je m’y suis mis concrètement, j’ai compris que j’avais à faire face à certaines complications. Je n’ai jamais tant progressé en mathématiques, dans la résolution de problèmes trigonométriques, qu’en réussissant à fabriquer des toilettes « primitives ».

Dans un manuel scolaire, toutes les tâches sont déjà clairement écrites : les conditions sont exposées, la question est posée. Mais là, je me retrouvais dans l’indécision pendant longtemps : il me fallait définir moi-même ce que j’avais à faire, choisir les conditions. J’avais 33 possibilités en tête sur la manière de fabriquer ces toilettes : elles pouvaient être triangulaires, rectangulaires, je pouvais faire telle sorte de porte, ou telle autre, et une fenêtre d’un certain type, ou encore une autre.

Je commençai la fabrication. La première erreur que je commis fut de ne pas tenir compte de la pente du terrain, et j’ai dû refaire certaines pièces. Je poursuivis, et de nouveau, je réalisai que j’avais fait des erreurs de calculs. Il fallait ajuster le toit à la taille des morceaux de métal, faute de quoi je devais le raccourcir et perdre en surface.

Pour la première fois, je compris la difficulté qu’il y a à tout penser du début à la fin, jusqu’aux moindres détails, et de tout réaliser jusqu’à la fin, afin que toutes les poignées, couvercles, crochets et œillets soient en place, et que chacun y trouve son confort. Ce fut la première tâche que je réalisai de ma vie de manière indépendante. Et le plus important fut que toutes les cinq minutes, j’eus des décisions à réaliser, parmi une myriade d’options, et des ajustements à définir quand quelque chose ne s’emboîtait pas comme prévu. Ça ne ressemblait pas du tout à la résolution des problèmes des manuels scolaires.

Le travail nous apprend à définir une tâche, et nous apprend à corriger les erreurs si la tâche est mal définie. Pour améliorer l’efficacité du système éducatif, il faut accroître la part de l’exposition au travail manuel.

Avez-vous reçu une éducation meilleure que celle qui est pratiquée de nos jours?

Il me semble qu’une des caractéristiques qui différencient le système éducatif actuel de celui de l’ère soviétique réside dans un excès de contenu informationnel.

Ils commencent par dire que le monde évolue rapidement, puis que l’enfant doit en savoir plus pour être à niveau. Le résultat, c’est que l’enfant reçoit une avalanche d’informations qu’il n’est pas en mesure de digérer ; tout simplement parce qu’il faut commencer par laisser se former une vision du monde dans les représentations dont dispose l’enfant.

Pour faire cela, il n’est pas nécessaire de disposer de grandes connaissances : il faut donner à l’enfant un système de valeurs, c’est à dire, en premier lieu, une hiérarchie de valeurs (ce qui est important, ce qui ne l’est pas), puis une conscience morale (ce qui est bien, ce qui est mal).

Il apprendra à partir de là à comprendre les nouvelles informations.

Il disposera d’une image holistique du monde, et il sera en mesure de classer chaque nouvelle connaissance dans son système de savoir ; il sera capable de l’évaluer.

En matière de connaissance, je ne peux pas comparer les éducations moderne et soviétique. Quant à la vision du monde, je suis certain d’avoir reçu une meilleure éducation que celle que nos enfants se voient dispenser.

Ils nous avaient donné un système de vision du monde, même si, bien entendu, celui-là n’était pas fondé sur des bases profondément ontologiques.

Par exemple, on nous disait à chacun qu’il fallait se montrer conciliant et honnête, mais seulement dans l’idée de ne pas faire à autrui ce qu’on n’aimerait pas qu’il nous fît. Mais alors, pourquoi ne pourrais-je pas m’enfermer à clé, tirer les rideaux, et regarder un film dépravé, ou me saouler sans bruit? Nul ne me voit, je n’offense personne – pourquoi ne pourrais-je pas agir ainsi? Seul un croyant comprend pourquoi cela n’est pas possible – j’offenserais la présence de Dieu.

L’archiprêtre Iliya Shugaev

Bien entendu, la vision du monde soviétique était faible dès qu’on touchait aux détails ; c’est pour cela qu’elle s’est peu à peu érodée et a fini par s’effondrer. Mais disposer d’une vision du monde, même imparfaite comme celle-là l’était, vaut mieux qu’avoir une tête emplie d’informations, sans avoir les idées claires quant à distinguer le bien du mal.

L’archiprêtre Iliya Shugaev, recteur de l’église de l’archange St Michel de la ville de Taldom (dans la région de Moscou), auteur de divers ouvrages traitant des problèmes des adolescents, livre ses pensées sur le système éducatif contemporain de la Russie.

 

Traduit par Vincent, relu par San pour le Saker Francophone

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