Par Norman Solomon – Le 16 juillet 2018 – Truthdig
La veille du sommet d’Helsinki, l’article principal de la page d’accueil du New York Times est resté le même toute la journée : « Rien que parce qu’il rencontre Trump, Poutine est déjà vainqueur ». Ce titre du Times était dans le même ton que la couverture médiatique américaine dans son ensemble. Quant aux commentaires des autres médias, le Washington Post servait le plat du jour en disant dans son éditorial que le président russe Vladimir Poutine est « un adversaire étranger implacablement hostile ».
Le mépris montré envers toute diplomatie avec la Russie est à son plus haut niveau. Les journalistes américains et les élites démocrates traitent le président Donald Trump de tous les noms. Sans doute Hillary Clinton espérait-elle susciter une série d’applaudissements par son tweet de dimanche soir : « Question pour le président Trump alors qu’il rencontre Poutine : Sais-tu au moins pour quelle équipe tu joues ? ».
Cette attitude belliqueuse à l’égard de la Russie est devenue si routinière et si répandue que nous ne la réalisons même plus, ce qui la rend d’autant plus dangereuse. Après que le président George W. Bush a déclaré « Vous êtes avec nous ou contre nous », beaucoup d’Américains se sont progressivement rendu compte que quelque chose n’allait pas avec cette vision manichéenne du monde. Une telle attitude est pourtant encore plus prononcée aujourd’hui.
Depuis le début de l’année 2017, les médias de masse américains n’y vont pas de main morte avec l’équivalent politique approximatif d’une technique de peinture connue sous le nom de chiaroscuro [clair obscur, NdT] – « l’utilisation de forts contrastes entre la lumière et l’obscurité, habituellement des contrastes audacieux affectant toute une composition », selon les termes de Wikipedia. La frénésie anti russe consiste en grande partie à créer des contrastes entre les États-Unis (angéliques et victimes) et la Russie (sinistre et agressive).
D’innombrables histoires montées à partir de faits soigneusement sélectionnés sont racontées de cette façon. Mais d’autres histoires basées sur des faits pourraient aussi être racontées pour dépeindre les États-Unis comme sinistres et agressifs et la Russie comme une victime angélique. Mais nous ne les trouverons pas au gouvernement ni dans les médias conformistes. Comme le grand journaliste I.F. Stone l’observait il y a longtemps, « Tous les gouvernements mentent, et rien de ce qu’ils disent ne doit être cru ». En d’autres termes : ne pas faire confiance, vérifier.
Souvent, les plus gros mensonges concernent ce qui n’a pas été dit. Par exemple, les médias américains mentionnent rarement des faits établis comme l’énorme expansion de l’OTAN aux frontières de la Russie depuis la chute du mur de Berlin, ou l’ingérence effrontée des États-Unis lors de l’élection présidentielle russe de 1996, ou le retrait du gouvernement américain en 2002 du Traité sur les missiles antibalistiques, ou les plus de 800 bases militaires américaines à l’étranger, qui contrastent avec les neuf bases russes.
Concernant la survie de l’homme sur cette planète, une vérité générale fut dite dans une lettre ouverte publiée, la semaine dernière, par le magazine The Nation : « Aucun avantage politique, réel ou imaginé, ne pourrait compenser les conséquences de l’utilisation d’une fraction des arsenaux américains et russes dans un échange thermonucléaire. L’assomption tacite qu’une aggravation des relations américano-russes n’entame pas les chances de survie des générations futures est profondément fausse. »
Les 26 premiers signataires de cette lettre ouverte intitulée « Terrain d’entente : Pour des élections sûres et une véritable sécurité nationale » sont Daniel Ellsberg, lanceur d’alerte sur les documents du Pentagone ; Gloria Steinem, écrivain et organisatrice féministe ; Bill Richardson, ancien ambassadeur de l’ONU ; Bill Richardson ; Noam Chomsky, analyste politique ; Valerie Plame, ancien responsable des opérations secrètes de la CIA ; le révérend William Barber II, dirigeant activiste ; le cinéaste Michael Moore ; l’ancien conseiller juridique de Nixon, John Dean ; le chercheur spécialiste de la Russie, Stephen F. Cohen ; l’ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l’URSS, Jack F. Matlock Jr. ; Les écrivains Alice Walker et Viet Thanh Nguyen ; la rédactrice en chef de The Nation, Katrina vanden Heuvel ; l’ancienne sénatrice Adlai Stevenson III et Patricia Schroeder, membre de longue date de la Commission des services armés de la Chambre. (Je suis aussi l’un des premiers signataires).
Depuis sa publication, il y a cinq jours, la lettre ouverte a obtenu l’appui d’une pétition déjà signée par 30 000 personnes. La campagne de pétition vise à amplifier l’appel à la protection de l’infrastructure numérique qui sert au processus électoral qui est maintenant « vulnérable aux pirates potentiels basés n’importe où » et à prendre « des mesures concrètes… pour apaiser les tensions entre les superpuissances nucléaires ».
Nous avons besoin d’un changement majeur dans l’approche américaine à l’égard de la Russie. Il est clair que le changement nécessaire ne sera pas initié par les dirigeants républicains ou démocrates au Congrès ; il doit venir des Américains qui feront entendre leur voix. La vie et même l’existence des générations futures sont en jeu dans les relations entre Washington et Moscou.
Bon nombre des signataires de la pétition ont affiché des commentaires en même temps que leur nom. Voici quelques-uns de mes préférés :
*Du Nevada : « Nous partageons tous la même planète ! Nous ferions mieux d’apprendre comment le faire en toute sécurité ou faire face aux conséquences de nous faire exploser ! »
* Du Nouveau-Mexique : « La terre ne survivra pas à une guerre nucléaire. Les armes dont nous disposons aujourd’hui peuvent causer beaucoup plus de destruction que celles des époques précédentes. Nous devons trouver un terrain d’entente. »
*Du Massachusetts : « Il est impératif que nous prenions des mesures pour protéger le caractère sacré de nos élections et pour prévenir la guerre nucléaire n’importe où sur la terre. »
Du Kentucky : « La sécurité des élections est un élément fondamental d’un système démocratique. Mais cela pourrait perdre tout son sens en cas de guerre thermonucléaire. »
* De Californie : « Il n’y a que folie et orgueil à parler agressivement avec les autres, surtout quand nous avons de telles armes dangereuses et que l’erreur humaine a presque conduit à notre annihilation déjà plus d’une fois au cours du dernier demi-siècle. »
Pourtant, un large éventail de médias, notamment le réseau MSNBC obsédé par le « Russiagate », continue d’inciter les progressistes à grimper vers les sommets de la propagande anti-russe. Cette attitude est pourtant en plein accord avec des faucons républicains comme les sénateurs John McCain et Lindsey Graham. Le rythme incessant du tambour est en phase avec ce que Martin Luther King Jr. appelait « la folie du militarisme ».
Entre-temps, comme le disait le Dr King, « Nous avons encore le choix aujourd’hui : coexistence non violente ou co-annihilation violente. »
Norman Solomon
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.