À cause des mouches…


Beaucoup d’infos bidons ont accusé Cuba, la Russie et la Chine « d’attaques soniques » contre des diplomates étasuniens.

Les coupables étaient en réalité des crickets…


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 7 janvier 2019

À l’automne 2016, des diplomates américains stationnés à Cuba ont commencé à se plaindre d’être affectés par un bruit mystérieux. Vingt-quatre membres du personnel de l’ambassade et leur famille ont fait état d’une liste bizarre de symptômes ; des maux de tête, des étourdissements, des troubles du sommeil, des problèmes d’équilibre, de vision et d’audition. Les médecins n’étaient pas sûrs de ce qui pouvait affecter ces personnes. Il y a eu toutes sortes de spéculations à propos d’une mystérieuse « arme sonique » avec laquelle les diplomates auraient été « attaqués », mais aucune preuve convaincante n’a été trouvée.

Cuba a pleinement coopéré à une enquête du FBI sur ce mystère. Les scientifiques ont repoussé l’idée d’une attaque à l’arme sonique. Les preuves médicales se sont avérées douteuses. Néanmoins, les politiciens anti-cubains aux États-Unis ont réussi à utiliser l’affaire avec succès pour faire pression sur la Maison-Blanche afin qu’elle pénalise le pays. L’administration Trump a rappelé 60% du personnel de son ambassade à La Havane et a expulsé des diplomates cubains de l’ambassade à Washington. Elle a adressé un avertissement à ses citoyens qui se rendaient à Cuba et a cessé de délivrer des visas aux Cubains à La Havane.

L’enquête s’est poursuivie. Quelques enregistrements du bruit mystérieux ont été faits et les médecins les ont fait entendre à plusieurs personnes affectées. Celles-ci ont confirmé que le son était le même que celui qui les avait dérangées. Le 17 octobre 2017, ces fichiers sonores ont été remis à l’Associated Press et publiés (vid). Dans son rapport sur les dossiers, l’AP faisait remarquer :

On dirait une colonie de grillons.

Le gouvernement cubain et ses scientifiques ont analysé ces fichiers sonores et les ont comparés aux sources sonores connues à Cuba. Le 27 octobre 2017, ils ont publié leurs conclusions. Les résultats ont également été remis aux enquêteurs américains. L’AP a rapporté les résultats de l’enquête cubaine :

Jeudi dernier, Cuba a présenté sa défense la plus détaillée à ce jour contre les accusations américaines selon lesquelles des diplomates américains à La Havane ont été soumis à de mystérieuses attaques sonores qui leur ont causé des maux de tête, des problèmes auditifs et des commotions cérébrales.

Dans une émission spéciale d’une demi-heure, diffusée aux heures de grande écoute et intitulée « Attaques soniques présumées », des responsables cubains ont tenté de saper l’affirmation de l’administration Trump selon laquelle 24 responsables américains ou leurs proches avaient été victimes d’attaques délibérées par un coupable encore indéterminé…

Des responsables du ministère cubain de l’Intérieur ont déclaré que les enquêteurs américains leur avaient présenté trois enregistrements réalisés par des victimes présumées d’attaques sonores et que l’analyse de ces sons montrait qu’ils étaient extrêmement similaires à ceux des grillons et des cigales qui vivent le long de la côte nord de Cuba.

« C’est la même longueur d’onde et c’est auditivement très similaire », a déclaré le lieutenant-colonel Juan Carlos Molina, spécialiste des télécommunications au ministère de l’Intérieur. « Nous avons comparé les spectres des sons et il est évident que ce son est commun et très similaire à celui d’une cigale. »

Basé sur le rapport de l’AP, ce site s’est moqué des diplomates américains pour avoir battu en retraite devant un bruit de cigale.

L’incident de La Havane était probablement basé sur la peur réelle d’une arme. Ou peut-être s’agissait-il d’un stratagème des forces anti-cubaines pour saboter les relations avec Cuba. Très probablement, il s’est agi d’une psychose collective à cause d’un bruit naturel inconnu – les grillons.

Le reportage d’AP a été publié sur de nombreux sites d’information, mais peu d’entre eux se sont penchés plus avant sur la question. Le rapport aurait dû clore la question et elle a vite été oubliée.

Même après que les scientifiques cubains ont donné une explication très plausible, la peur du gouvernement américain face à une « attaque sonore » n’a pas faibli. Seule la cible a changé.

En mai 2018, les États-Unis ont soudainement accusé la Chine d’une « attaque » similaire à celle qui aurait eu lieu à Cuba :

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo dénonçait mercredi un incident impliquant un employé du gouvernement américain en poste en Chine qui a signalé des « sensations anormales de bruit et de pression » suggérant une lésion cérébrale légère dont les indications médicales sont « très similaires » et « entièrement cohérentes » avec celles des diplomates américains affectés à la Havane.

Mais au milieu de l’année 2018, un groupe de travail spécial mis sur pied par le département d’État ne connaissait toujours pas les causes de la maladie des diplomates affectés à Cuba et, plus tard, en Chine. On peut même se demander si les « dommages cérébraux » que le son a prétendûment causé existent bien. Aucun des diplomates n’a été examiné avant les incidents. Les « dommages » mineurs que certains médecins ont vus sur les images de certains de leurs patients sur les scanners cérébraux étaient peut-être là bien avant leur arrivée au département d’État.

La piste chinoise n’a mené nulle part. Mais en septembre 2018, la Russie a été soudainement accusée d’être la cause d’un bruit menaçant. NBC News rapportait :

Les services de renseignement enquêtant sur les mystérieuses « attaques » qui ont conduit à des lésions cérébrales touchant du personnel américain à Cuba et en Chine considèrent la Russie comme le principal suspect, trois responsables américains et deux autres informés de l’enquête ont déclaré à NBC News.

La suspicion que la Russie est probablement à l’origine des attaques présumées est étayée par des preuves provenant d’interceptions de communications, connues dans le monde de l’espionnage sous le nom de renseignement électromagnétique, recueillies au cours d’une enquête longue et continue impliquant le FBI, la CIA et d’autres agences des États-Unis. Les fonctionnaires ont refusé de donner plus de détails sur la nature des renseignements.

Toutefois, les preuves ne sont pas encore assez concluantes pour que les États-Unis attribuent officiellement à Moscou la responsabilité des incidents qui ont commencé fin 2016 et se sont poursuivis en 2018, causant une rupture majeure dans les relations entre les États-Unis et Cuba.

L’histoire de NBC était accompagnée d’un carton rouge. L’un de ses auteurs s’avère être Ken Dilanian, un propagandiste de la CIA, qui laisse la CIA réécrire ses articles avant qu’ils ne soient publiés. Chaque fois que l’on voit le nom de cet auteur, il faut savoir qu’on lit de la désinformation.

Mais cela n’a pas d’importance. Basé sur le vague reportage de NBC, le Daily Beast a imprimé en une de ses journaux : « La Russie est le suspect numéro 1 dans les attaques cérébrales mystérieuses à Cuba et en Chine : Reportage ». Le Guardian s’est joint au concert : « La Russie est le principal suspect derrière les maladies ayant atteint du personnel américain à Cuba et en Chine – reportage ». La chaîne russophobe MSNBC a diffusé tout un reportage sur la question.

Aucun des reportages n’a mentionné le résultat de l’enquête cubaine, vieille d’un an, à propos d’un bruit de cigale que l’AP avait pourtant déjà publié.

Vendredi dernier, le New York Times rapportait que des scientifiques américains avaient découvert que le bruit mystérieux identifié par les diplomates provenait effectivement de grillons :

Alexander Stubbs de l’Université de Californie, Berkeley, et Fernando Montealegre-Z de l’Université de Lincoln en Angleterre ont étudié un enregistrement des sons faits par des diplomates et publié par The Associated Press.

« Il y a eu beaucoup de débats dans la communauté médicale sur les dommages physiques, s’il y en a eu, causés à ces personnes », a déclaré M. Stubbs lors d’une entrevue téléphonique. « Tout ce que je peux dire, c’est que l’enregistrement publié par AP est celui d’un cricket, et nous pensons savoir de quelle espèce il s’agit. »…

La chanson du cricket à queue courte des Indes « correspond, dans toutes ses nuances, à l’enregistrement d’AP en termes de durée, de fréquence des impulsions, de spectre de puissance, de stabilité du rythme cardiaque et d’oscillations par impulsion », ont écrit les scientifiques dans leur analyse.

Le bruit publié est en effet extrêmement similaire au bruit du cricket à queue courte des Indes occidentales enregistré dans cette base de données scientifiques.

Le New York Times ne mentionne même pas que des scientifiques cubains étaient arrivés au même résultat que ces scientifiques américains. Il ne remet pas non plus en question l’absurdité du « La Russie l’a fait » que NBC News et d’autres avaient publié.

Le problème est probablement maintenant enterré, mais les dommages qu’il a causés ne seront jamais réparés.

Les relations diplomatiques avec Cuba sont toujours réduites. Le département d’État a toujours un avertissement aux voyageurs pour Cuba « en raison d’attaques visant des employés de l’ambassade des États-Unis à La Havane ». Dans les archives publiques, la Russie est toujours accusée d’être à l’origine de ce non-sujet dans laquelle elle n’a jamais été impliquée.

Aucun des « journalistes » impliqués dans la campagne de diabolisation ne sera puni pour avoir ignoré le précédent rapport de l’AP sur la découverte cubaine. Aucun des médias qui ont dénigré la Russie à ce sujet ne rétractera ses dires ou ne révélera les responsables qui en sont à l’origine.

Le bruit du cricket peut atteindre 100 décibels. C’est extrêmement irritant pour quiconque n’y est pas habitué. Certains diplomates nouvellement arrivés à Cuba se sont sentis touchés. D’autres les ont rejoints dans leur peur d’être attaqués par une arme mystérieuse. Mais les effets médicaux sont très mineurs. Certains médecins ont affirmé avoir trouvé des lésions cérébrales mineures, d’autres ont réfuté ces résultats comme étant trop vagues.

Les politiciens anti-cubains ont profité de l’occasion pour réclamer des sanctions et la Maison-Blanche leur a livré la marchandise. Ces forces de l’État profond qui veulent dépeindre la Chine et la Russie comme des ennemis se sont agrippées au sujet. Les médias les ont volontairement suivies en ignorant les données scientifiques qui réfutaient la thèse de l’« arme sonique » et l’explication tout à fait plausible que les scientifiques cubains en avaient donnée.

Toute l’histoire nous rappelle encore une fois de nous méfier de toutes les infos accusant telles ou telles personnes, tel groupe ou tel pays de faire quelque chose de nuisible aux « intérêts américains ». La plupart de ces histoires ne sont que des infos bidons, basées sur de fausses déclarations.

Peut-être que Poutine a effectivement utilisé ces grillons à queue courte comme armes. Selon certaines sources, son but est de créer un doute sur la véracité de l’information dans les médias occidentaux. Les responsables disent que son stratagème est très efficace. Ils demandent donc plus d’argent pour le contrer.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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