Des différences sociales vieilles de plusieurs siècles influencent encore la politique contemporaine


Par Moon of Alabama – Le 27 septembre 2021

Les résultats des élections fédérales allemandes n’ont pas surpris grand monde. Ce qu’ils montrent en revanche, ce sont les effets à long terme des idiosyncrasies géographiques-démographiques-politiques.

Voici les résultats des élections générales pour chaque parti et les coalitions potentielles qu’ils pourraient former au parlement pour créer un gouvernement. Avec un bon taux de participation à 77%.

Quelques explications :

Les sociaux-démocrates (SPD) sont le parti dominant de centre gauche. Ils ont pris leurs nouveaux électeurs au centre droit ainsi qu’à la gauche (Linke). Leur candidat au poste de chancelier, le centriste Olaf Scholz, sera probablement à la tête du prochain gouvernement.

L’Union chrétienne (CDU + la CSU bavaroise) est le parti de centre droite. Ils ont perdu en raison de plusieurs scandales de corruption récents ainsi que pour avoir choisi Armin Laschet, qui accumule les gaffes, comme candidat au poste de chancelier.

Les Verts sont, eh bien, des verts de camouflage car ils sont atlantistes pro-OTAN. Il y a quelques mois, ils ont été artificiellement présentés comme un parti potentiel de premier plan, mais ils n’ont pas atteint ce niveau en raison d’exagérations inexpliquées dans le curriculum vitae de leur principal candidat et d’un programme environnemental trop irréaliste.

Le FDP est un parti économique libéral qui tend parfois vers le libertarisme.

L’AFD est un parti conservateur “alternatif” très à droite. Leurs pertes sont dues à leurs prises de position contre le confinement et les vaccins.

La gauche (Die Linke) se dit socialiste. Au cours des deux dernières années, leur direction a pourtant plus mis l’accent sur le phénomène “woke” que sur le socialisme, ce qui a entraîné la perte de leurs plus anciens partisans.

Le gouvernement précédent, dirigé par la chancelière Merkel, était une coalition rouge et noire entre les partis de l’Union et les sociaux-démocrates.

Le prochain gouvernement, dirigé par le chancelier Scholz, sera probablement une coalition rouge-noire entre les sociaux-démocrates et les partis de l’Union.

Une autre possibilité est une coalition “feux de signalisation” (Ampel) composée des sociaux-démocrates, des libéraux et des verts.

En matière de politique étrangère, la deuxième possibilité sera probablement plus atlantiste et belliciste que la précédente, et moins stable.

Voici maintenant l’observation la plus intéressante. Chaque électeur a voté deux fois. La première pour le candidat direct élu dans chaque circonscription / district électoral. Il y en a 299. Le candidat de la circonscription qui obtient le plus de voix remporte un siège au Parlement. Le deuxième vote est pour une liste de parti. Les votes de la liste de parti sont appliqués proportionnellement à chaque parti pour sélectionner les membres du Parlement à partir de leurs listes classées.

Cette carte montre les résultats des seconds votes dans chaque district. Plus la couleur est foncée, plus la part du vote est élevée.

Il est évident que l’Allemagne n’est pas un paysage politiquement uniforme. Il existe de fortes tendances régionales. L’est et le nord sont des territoires plus sociaux-démocrates. Le sud et certains districts de l’ouest sont plus noirs, couleurs de l’Union. La Saxe, dans le sud-est, est la seule région dans laquelle une majorité a voté pour l’“Alternative” de droite. Certains quartiers aisés de centre-ville ont voté pour les Verts.

Ce que je trouve étonnant, c’est qu’on retrouve ces différences des centaines d’années en arrière.

Comparez la carte ci-dessus avec celle de 1860, lorsque l’Allemagne était encore divisée en plusieurs royaumes et principautés.

(L’Allemagne a perdu les parties prussiennes situées à l’est de la ligne blanche nord-sud (que j’ai ajoutée) en raison de la deuxième guerre mondiale).

L’ancien Royaume de Prusse est maintenant un territoire social-démocrate. Le Royaume de Bavière et ses voisins occidentaux reflètent assez uniformément le noir de l’Union. Mais le plus étonnant est que l’ancien Royaume de Saxe reste, cent soixante ans plus tard, un territoire tout à fait particulier avec sa propre expression politique. Je trouve fascinant que de telles frontières politiques, qui ont été nominalement supprimées après l’unification allemande en 1871, existent encore aujourd’hui.

La religion est une autre caractéristique démographique qui explique les tendances du vote en Allemagne.

Il s’agit des taux de personnes se déclarant catholiques, protestantes et athées d’après un recensement datant de 2011. Les circonscriptions électorales noires de l’Ouest de l’Allemagne sont majoritairement catholiques, tandis que les zones plus protestantes et athées comptent davantage d’électeurs sociaux-démocrates. Les effets de la réforme protestante des années 1500 et de la guerre de Trente Ans dans les années 1600 sont toujours présents, tout comme l’effet de l’éducation non religieuse plus récente en Allemagne de l’Est.

Que pouvons-nous apprendre de tout cela ?

Que des expériences historiques très localisées qui remontent à des centaines d’années ont encore des effets politiques dans le monde globalisé d’aujourd’hui.

C’est ce que les néo-conservateurs et ceux qui veulent changer les régimes en place oublient lorsqu’ils prétendent pouvoir modifier les pays et les refaire à leur image. Cela ne fonctionnera jamais car le contexte historique local affecte tout.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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