Sous-marins australiens : une démarche immature et potentiellement dévastatrice


Par Jean-Luc Baslé – 22 septembre 2021

France & Australia Reaffirm Commitment to the Attack-class Submarine Program - Naval News

Dans une interview accordée le 20 septembre au journal Ouest-France, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian explique que le contrat des sous-marins australiens s’inscrit dans la stratégie indo-pacifique de la France – une stratégie qui inclut l’Inde1 et dont l’objectif est d’assurer la stabilité dans une région d’une importance cruciale pour la paix et la prospérité du monde et, accessoirement, où vivent deux millions de Français. Cette initiative tripartite de type gaullien de la France dans une zone que les États-Unis considèrent comme leur réserve privée depuis la fin du 19ème siècle, ne pouvait être tolérée. Washington DC devait y mettre un terme. Il l’a fait de manière plutôt abrupte et inamicale, la France étant son plus ancien allié.

Concrètement, que sortira-t-il de cette nouvelle alliance AUKUS ? Rien, si l’on en croit Scott Ritter, ancien officier de renseignement du corps des Marines américains qui la considère comme une « blague dangereuse ». Pourquoi une blague ? Parce que l’Australie n’a ni les moyens industriels ni les moyens financiers, sans parler du personnel nécessaire pour construire (partiellement) et gérer entièrement une flotte de sous-marins nucléaires. Pourquoi dangereuse ? Parce que les dirigeants chinois considèrent l’AUKUS comme une menace dirigée contre la Chine, et aussi parce que d’autres pays pourraient suivre l’exemple de l’Australie.

Notant qu’« un allié des États-Unis pourrait être armé d’armes nucléaires à tout moment » et que la communauté internationale a des raisons de douter de la sincérité de Joe Biden lorsqu’il déclare que les sous-marins australiens ne seront pas équipés d’armes nucléaires, Yang Sheng observe que : « un sous-marin nucléaire est un sous-marin chargé de lancer une frappe nucléaire de second tour dans une guerre nucléaire ». En outre, les dirigeants chinois considèrent le contrat de sous-marins comme une violation du traité de non-prolifération et une légalisation de facto de « l’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire par tous les pays ». Dans un article plutôt corrosif, le Bulletin of American Scientists stigmatise les membres de l’Alliance AUKUS, en particulier les États-Unis, pour avoir facilité « la prolifération de technologies nucléaires militaires très sensibles dans les années à venir ». Il note en outre que l’Agence internationale de l’énergie atomique ne peut pas faire grand-chose pour empêcher l’Iran d’acquérir « de l’uranium enrichi à des niveaux d’uranium fortement enrichi2 pour poursuivre un programme sous-marin ».

Cela conduira-t-il à une nouvelle course aux armements entre les États-Unis et la Chine, comme certains le craignent ? Espérons que non. La Chine sait qu’elle est en train de gagner sa compétition avec les États-Unis. Pourquoi gaspiller des ressources utiles dans une telle course ? Les Chinois sont des gens patients – une vertu qui fait défaut aux Occidentaux.

Dans sa vidéo bihebdomadaire sur la politique étrangère, l’analyste géopolitique Alexander Mercouris voit dans AUKUS une preuve supplémentaire de l’amateurisme de la politique étrangère américaine. Amateurisme, certes, mais potentiellement dévastateur pour la paix mondiale, après l’annulation du traité sur les missiles antibalistiques par George W. Bush et la décision de Donald Trump de se retirer du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Dans son bulletin de janvier 2020, le conseil d’administration du Bulletin of Atomic Scientists déplace l’horloge de l’apocalypse à 100 secondes de minuit – le plus proche de minuit qu’elle ait jamais été en 75 ans. Dans son bulletin de janvier 2021, le conseil l’a laissée là. Où sera-t-elle en janvier 2022 ? L’initiative française, malgré tous ses défauts et ses défis, avait l’avantage de ne pas bouleverser la donne mondiale. Brutalement laissés dans le froid par ses amis anglo-saxons, les Français ne devraient pas perdre de temps pour offrir leurs sous-marins nucléaires Barracuda à l’Inde en remplacement des sous-marins nucléaires que la marine indienne loue à la Russie. Ce serait une belle victoire.

Jean-Luc Baslé est un ancien vice-président de Citigroup, et diplômé de l’Université de Columbia et de l’Université de Princeton. Il est l’auteur de « Le système monétaire international : Enjeux et perspectives ».

Notes

  1. L’Inde est un client de longue date de l’industrie française de l’armement
  2. Uranium hautement enrichi
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