Une pandémie d’autoritarisme, alors que les Grains Rouges dégringolent


Ce que nous voyons, c’est une tentative d’imposer un managérialisme technique idéalisé à une réalité complexe et critique, plutôt que de rechercher de véritables solutions aux problèmes.


Par Alastair Crooke – Le 13 septembre 2021 – Source Strategic Culture

Le changement se produit rapidement et souvent de manière imprévisible. Pourtant, la partie imprévisible semble relever de la physique. Imaginez que vous laissiez tomber un grain de sable après l’autre sur une table. Un tas se forme rapidement. Finalement, un seul grain déclenche une avalanche. La plupart du temps, il s’agit d’une petite avalanche. Mais parfois, le tas s’effondre et se désintègre entièrement.

Eh bien, en 1987, trois physiciens ont commencé à jouer au jeu du tas de sable dans leur laboratoire, cherchant une réponse à la question de savoir ce qui déclenche l’avalanche typique. Après un très grand nombre de tests, ils ont découvert qu’il n’y a pas de nombre spécifique de grains qui la déclenche.

Pour comprendre pourquoi une telle imprévisibilité devait apparaître dans leur jeu de tas de sable, les physiciens l’ont ensuite coloré en fonction de sa pente. Lorsqu’il était relativement plat et stable, ils l’ont coloré en vert ; lorsqu’il était abrupt et, autrement dit, “prêt à partir”, en cas d’avalanche, ils l’ont coloré en rouge.

Ils ont constaté qu’au départ, la pile avait surtout l’air verte, mais qu’au fur et à mesure qu’elle grandissait, le vert était infiltré par de plus en plus de rouge. Avec plus de grains, la dispersion des faisceaux de danger rouges augmentait jusqu’à ce qu’un squelette dense d’instabilité rouge traverse le tas. C’est là que se trouve l’indice de son comportement particulier : un grain tombant sur une zone rouge peut, par effet domino, provoquer un glissement sur d’autres zones rouges voisines.

L’Afghanistan devait être une vitrine du managérialisme technique occidental – une boîte de Petri empirique dans laquelle prouver l’inévitabilité historique de la technocratie. Selon sa doctrine, les marchés libres rendaient en quelque sorte inutile la politique ; le big data et le managérialisme “expert” sur les marchés (c’est-à-dire sur les marchés étendus à “tout”) étaient la clé pour redéfinir le monde d’une meilleure manière (soit le mème Build Back Better). Il s’agissait, en un mot, de postuler la prévisibilité des données.

Les questions politiques et sociales existentielles de cette doctrine devaient toutefois être nuancées par le Third Wayism” (c’est-à-dire laissées sans solution – ou traitées avec des réponses faciles et de l’argent facile).

Ou … “régulées” pour être conformes. La réponse aux problèmes sociaux a été l’informatique en nuage des données de masse. Avec suffisamment d’informations sur les choix humains passés, on pense que les experts peuvent prédire avec précision le comportement humain, qui peut alors être “poussé” dans la direction souhaitée par nos élites. La psychologie comportementale du “nudge” [influencer quelqu’un sans qu’il en soit conscient, NdT], bien sûr, est une question de contrôle, et non de réflexion active.

Pourtant, de manière imprévisible, cette équipe de management de “niveau mondial” à Kaboul, tellement absorbée par la notion de technocratie et de gestion des données de masse, a produit un projet tellement pourri et corrompu (en jouant avec le système) qu’il s’est effondré en onze jours. De nombreux Américains et Européens se sont à peine remis du choc et restent dans le déni.

Donc, retour au tas de sable : les physiciens ont découvert que lorsque les zones rouges viennent perturber le tas de sable, l’impact du prochain grain devient diaboliquement imprévisible. Il peut ne déclencher que quelques chutes, ou au contraire déclencher une réaction en chaîne cataclysmique impliquant des millions de grains. Le tas de sable semble s’être configuré dans un état hypersensible et particulièrement instable, dans lequel le prochain grain qui tombe peut déclencher une réaction de n’importe quelle taille.

La physique dit que nous avons une instabilité systémique à un certain niveau d’accumulation. Nos technocrates le nient, et seront donc incapables de prévoir une telle possibilité. Leur credo est le modèle.

Il y a beaucoup de subtilités et de rebondissements dans cette histoire, mais le message de base est simple : l’organisation particulière et exceptionnellement instable de l’état critique semble en effet expliquer pourquoi notre monde hautement complexe, dans son ensemble, semble si sensible aux bouleversements imprévisibles. Rien à voir avec les prédictions de l’IA et du big data, en fin de compte, c’est l’atterrissage du “grain rouge” des talibans qui a déclenché une cascade fulgurante et imprévue.

La question qui se pose est la suivante : cela va-t-il déclencher une réaction en chaîne ? Peut-être pas, mais il y a plusieurs autres “faisceaux d’instabilité” dans le tas de sable occidental qui devraient être colorés en “grain rouge” et qui pourraient être sur le point de déclencher une avalanche.

L’un d’entre eux est la “vaccination” (ou thérapie génique) : le “vaccin” à ARNm n’empêche pas l’infection, ni la propagation du virus. Une personne entièrement vaccinée peut attraper le virus et le transmettre à d’autres. De nouvelles preuves montrent que les personnes doublement vaccinées accumulent d’énormes charges virales dans leur nez et leurs sinus, ce qui fait d’elles des super-transmetteurs et les rend capables d’infecter d’autres personnes. Les personnes non vaccinées ont donc autant à craindre d’attraper la maladie des personnes vaccinées que l’inverse.

Israël fournit une étude de cas utile sur l’efficacité – ou le manque d’efficacité – des vaccins. Israël est l’un des pays les plus vaccinés au monde, avec près de 80 % de la population entièrement vaccinée et près de 100 % des personnes âgées. Mais aujourd’hui, Israël connaît une augmentation massive des infections (et des cas graves), principalement parmi les personnes entièrement vaccinées.

Il existe de nombreuses raisons de ne pas recevoir des millions d’ARNm de la protéine spike – notamment le fait d’être guéri du Covid et d’avoir une protection par anticorps plus forte que les vaccinés. Pourtant, ces derniers sont traités comme des lépreux. Et les gouvernements, comme celui du Premier ministre Draghi en Italie, continuent d’essayer d’imposer des obligations vaccinales toujours plus strictes et d’autres formes de contrôle autoritaire. L’“autoritarisme pandémique” ne fera rien pour ralentir la propagation de la maladie. Il pourrait même avoir des répercussions négatives – comme cela a été le cas en Israël – et créer un problème plus grave. Ce qu’il fera, en revanche, c’est déchirer une société déjà tendue – en particulier dans le contexte de la détérioration des économies.

Tout cela rappelle les efforts de contrôle managérialiste d’une “guerre” antérieure, la Grande Guerre contre le Terrorisme (tout aussi ratée), lancée dans le sillage du 11 septembre, lorsqu’une forme différente, mais prétendument “moralement justifiée” , de contrôle et de surveillance publics de masse a été instituée ; les faits plus vastes et gênants de la politique antiterroriste étant simplement dissimulés à un public déjà angoissé et insensibilisé.

Aujourd’hui, la question de savoir si nous allons “battre” le Covid de la manière dont le grand public le conçoit fait l’objet d’un débat permanent. Les scientifiques – pas ceux que vous entendez le plus – ont toujours précisé que les vaccins n’arrêteraient pas le Covid dans son élan si, comme d’autres virus similaires, ce dernier mutait en quelque chose de plus dangereux et de plus transmissible.

Ce dernier constituerait un variant que la vaccination pourrait en fait accélérer, dans un processus connu sous le nom de “facilitation de l’infection par des anticorps” (ADE) (à propos duquel le verdict n’a pas encore été rendu). Il existe une idée fausse et répandue selon laquelle, à partir d’un certain seuil critique de vaccination, le Covid “disparaît”. La science, cependant, (Draghi mis à part) suggère qu’un résultat heureux ne se produira que si les nouveaux variants deviennent plus faibles, comme une grippe.

En Afghanistan, où un Pentagone “managérialiste” a fait répéter pendant 20 ans, jusqu’à la toute dernière minute, par tous les généraux successifs, le mantra mensonger selon lequel tout allait bien : les “progrès” sont nombreux et évidents en Afghanistan. Le “progrès” a toujours été là – jusqu’à ce qu’il ne le soit plus. Jusqu’à l’effondrement de l’État. C’était essentiellement une défaite due à l’addiction aux données, au détriment du “réel”.

Ainsi, dans cet autre “domaine” du Covid, nous trouvons une approche similaire : le “progrès” des vaccins sera atteint, si ce n’est avec deux, puis trois, et maintenant quatre injections (en Israël) – jusqu’à ce que le virus disparaisse. Et avec cela, un autre “grain” se déposera sur un faisceau rouge d’instabilité.

Cette question est doublement pertinente, car si le Covid n’est pas “résolu”, l’économie ne l’est pas non plus. Toute personne ayant quelques notions d’économie aurait également pu voir à l’avance que l’assouplissement quantitatif n’atteindrait jamais ses principaux objectifs. C’est la quintessence du managérialisme (financier) de la haute technologie. Les banques centrales peuvent continuer à dire qu’elles ont atteint leurs objectifs (comme les généraux parlent de “progrès” en Afghanistan), mais l’effondrement de la productivité, l’augmentation de l’inflation et le passage à une économie de petits boulots montrent clairement que ce sont des vœux pieux. Il semble que l’on nous dise maintenant que seuls des milliards de dollars de dépenses fiscales peuvent arrêter la pourriture… Ou, comme les vaccins, potentiellement avec de plus en plus de piqûres, bien qu’une possible ADE fasse augmenter les infections. Une fois encore, les vraies solutions sont écartées.

Le rédacteur en chef des affaires internationales du Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard, voit un autre faisceau d’instabilité de grains rouges qui traverse le tas de sable :

La colère de l’Allemagne, qui couve depuis longtemps, à l’égard de la Banque centrale européenne (BCE) est de nouveau en train de se manifester. Il est difficile de justifier la pérennité de l’assouplissement quantitatif et des taux d’intérêt négatifs lorsque l’inflation allemande est proche de 4 % et qu’elle augmente. Les réalités politiques obligent la BCE … à se préparer plus tôt qu’elle ne le souhaite à la réduction des taux d’intérêt obligataires … afin d’éviter un conflit avec le pilier de l’Europe [l’Allemagne].

Cela signifie qu’elle devra commencer à retirer le bouclier qui a protégé les États du Club Med très endettés contre les forces du marché pendant près de sept ans, et qui a commodément couvert tous leurs besoins d’emprunt sous le couvert de la “politique monétaire”. C’est ce resserrement monétaire, associé aux mesures parallèles prises par la Réserve fédérale américaine, qui constitue le principal risque de surchauffe des marchés mondiaux des actifs, et non le variant Delta du virus.

Ce qui est différent cette fois-ci [par rapport aux précédentes plaintes allemandes], c’est que l’inflation peut être ressentie partout – gefühlte Inflation – et que certains pans de l’économie allemande sont manifestement en surchauffe … L’irritation allemande ne doit pas être sous-estimée : le Centre allemand pour la recherche économique européenne (ZEW) a publié cette semaine un document extraordinaire, alléguant plus ou moins que les gouverneurs de la BCE des États très endettés profitent de l’assouplissement quantitatif pour renflouer leurs propres gouvernements insolvables, et ce en violation des traités de l’UE.

Les événements approchent du point où l’Allemagne doit soit contester ce processus, soit accepter qu’elle a perdu le contrôle de l’euro et en sortir avec les autres Euro-États “frugaux” du Nord.

Les ramifications découlant du coup paradigmatique porté par les talibans à la vision technocratique occidentale, la découverte soudaine par l’Europe que l’Amérique ne la soutient pas, l’inflation ressentie partout, l’impasse de l’assouplissement quantitatif (des taux d’intérêt supérieurs à 2 % tueraient l’économie occidentale), le rejet géopolitique du modèle libéral occidental – on peut dire que tout cela imprègne le contexte post-Covid et le recours massif à l’imposition d’un autoritarisme “vertueux”.

En fin de compte, il n’y a rien de plus qu’un seul fil conducteur commun à tous ces faisceaux d’instabilité : il s’agit de la tentative d’imposer une gestion technique idéalisée à une réalité complexe et critique, plutôt que de rechercher des solutions réelles aux problèmes ; et de recourir à la psychologie du contrôle comportemental pour dissimuler la pourriture sous-jacente et forcer la conformité.

Nous nous trouvons donc aujourd’hui dans un état critique que Paul McCulley appelle un “déséquilibre stable”, où tous les acteurs s’efforcent de maximiser leurs résultats personnels et de réduire leur exposition aux risques d’instabilité. Mais plus le jeu se prolonge, dit Paul McCulley, plus il risque de se terminer par une violente avalanche, car les faisceaux d’instabilité ont plus de temps pour se développer et, finalement, l’état de déséquilibre stable devient critique.

Quel faisceau s’effondrera en premier ? Encore une fois, c’est imprévisible : tout grain tombant sur une zone rouge peut, par un effet domino, provoquer un glissement sur d’autres zones rouges voisines.

Alastair Crooke

Note du Saker Francophone
Retrouvez ci dessous les travaux de Francois Roddier

La théorie des équilibres ponctués

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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