Par Valérie Bugault – le 21 février 2016
Nous verrons, dans cette seconde partie, les changements juridiques à apporter à l’entreprise capitalistique pour transformer celle-ci en facteur d’organisation et de paix sociale.
Seconde sous-partie – Le renouveau du modèle d’entreprise capitalistique : un instrument de politique économique au service des peuples
L’entreprise de type capitalistique est aujourd’hui l’acteur juridique qui détient le rôle prééminent sur la scène mondiale.
Afin de remettre l’entreprise à sa bonne place, les États doivent reprendre le contrôle juridique de l’entreprise de type capitalistique. Pour ce faire, il est absolument indispensable de rendre juridiquement impossible la constitution de conglomérats, véritables empires économiques. En effet, la constitution de groupes de sociétés serait utilisée comme moyen par les principaux propriétaires de capitaux pour échapper aux contraintes juridiques de la notion d’entreprise conçue comme étant au service du bien commun. La nouvelle définition de l’entreprise doit acter que la notion de groupe de sociétés est l’ennemie des États et rendre impossible la constitution de ces groupes.
Dans ces conditions, donner une définition juridique précise du concept d’entreprise permettrait de remettre cette dernière sous le contrôle politique des États. Cela aurait pour effet de réintégrer l’entreprise dans la fonction d’organisation sociale qu’elle aurait toujours dû avoir. Le fait économique reprendrait dès lors sa juste place au sein de la collectivité humaine : celle de faciliter les échanges et de participer à la recherche d’un mieux-être collectif. Le fait économique redeviendrait soumis au fait politique.
Nous exposerons ci-dessous les conditions nécessaires, non suffisantes mais indispensables, qui permettraient au concept d’entreprise d’intégrer sa juste place dans l’organisation sociale et politique.
Il faut tout d’abord identifier clairement la forme et le rôle de l’entreprise (I). Il faut ensuite équilibrer les pouvoirs et responsabilités des différents acteurs de l’entreprise (II). Il faut enfin permettre à tous les acteurs de l’entreprise de participer à son capital et de bénéficier de ses fruits (III).
I) Une identification de la forme juridique et du rôle de l’entreprise
La détermination de la nature juridique de l’entreprise, l’identification précise de son rôle professionnel et des différents acteurs qui la composent permettra à l’entreprise de devenir un instrument de création de valeur collective ; à l’opposé de l’instrument d’enrichissement de ses seuls propriétaires qu’elle est aujourd’hui.
A) La forme et la nature juridique de l’entreprise
L’entreprise est une structure juridique dotée d’une personnalité professionnelle. Sa nature juridique est celle d’une institution.
1° Une structure juridique dotée de la personnalité professionnelle
L’entreprise n’est caractérisée ni par un bénéfice ni par une clientèle
L’entreprise peut concerner n’importe quel type d’activité humaine déployée dans le temps moyennant un financement et des moyens pour mettre en œuvre l’objectif professionnel. Peu importe que l’activité soit ou non à but lucratif car ni la notion de bénéfices ni celle de clientèle ne caractérisent l’entreprise. Bénéfices et clientèles ne sont, au mieux, que des indicateurs ou des moyens d’évaluation de la compétence de la direction.
Il existe en effet des cas, notamment en matière de recherche et développement (start-up dans les hautes technologies) où l’entreprise ne peut pas faire, temporairement ou durablement, de bénéfices. Dans d’autres cas, l’objectif professionnel recherché – matérialisé par l’objet social – n’est pas de faire des bénéfices mais de faire des économies.
Quant à la clientèle, elle est fugace, variable dans le temps et l’espace. Contrairement aux solutions juridiques françaises actuelles, la clientèle ne saurait valablement faire l’objet d’une valorisation, d’une appropriation ou d’une transmission. La clientèle peut correspondre à une localisation géographique de l’entreprise plus ou moins favorable, ou à une aptitude particulière de l’exploitant de l’entreprise, ou encore à un heureux concours de circonstances ; les trois cas de figure pouvant se combiner. La localisation géographique favorable est, par essence, fluctuante ; favorable un jour, elle peut s’avérer défavorable le lendemain en raison d’une modification du contexte économique, environnemental, etc., qui ne dépend pas du chef d’entreprise. Par ailleurs, si des techniques de fabrication ou de vente peuvent être valorisées et transmises, le talent pour les mettre en œuvre, de nature très personnelle, ne saurait en aucun cas faire l’objet d’une quelconque valorisation et transmission ; en décider autrement signifierait accepter de donner une valeur financière à l’être humain ; cette pente – actuellement prise – nous semble être, à terme, fort périlleuse.
Une clientèle est, par essence, un phénomène fluctuant qui échappe pour une très large part à la seule volonté du chef d’entreprise ; sa matérialité est trop imprécise et incertaine pour pouvoir faire l’objet d’une valorisation honnête, à des fins d’appropriation et de transmission. De la même façon qu’il ne saurait être sérieusement question d’approprier l’intensité de l’air que nous respirons même si, de fait, cet air a une valeur vitale intrinsèque évidente. La valeur vitale de notre environnement est hors de portée de l’individu, elle se différencie par nature de la valeur marchande, laquelle ne doit se fonder que sur des éléments tangibles et pérennes qui dépendent entièrement de l’individu.
En résumé, la valorisation d’une clientèle est trop dépendante de facteurs sur lesquels le chef d’entreprise n’a pas de prise pour faire sérieusement l’objet d’une appropriation ou d’une transmission. Accepter le principe d’une valorisation financière de la clientèle est en réalité la première étape de la financiarisation de l’économie, laquelle a malheureusement pris aujourd’hui une ampleur incommensurable.
Une entreprise est composée d’un animus et d’un corpus reliés par un objectif professionnel
Fondamentalement, l’entreprise est une structure juridique composée d’un animus et d’un corpus professionnels, lesquels sont réunis dans l’objectif de mettre en œuvre une activité particulière. En conséquence, cette structure est dotée de la personnalité juridique dans la limite des besoins et nécessités professionnelles.
L’animus professionnel
La notion juridique d’animus se caractérise par une intention de mettre en œuvre une activité professionnelle.
L’animus est composé d’un élément économique – les propriétaires – et d’un élément juridique – l’équipe dirigeante. Cet animus est matérialisé par la création de la structure professionnelle – individuelle ou collective ; laquelle est créée dans l’unique objectif de mettre en œuvre une activité déterminée.
Les apporteurs de capitaux : élément économique de l’animus
L’élément économique de l’animus professionnel correspond au groupe de gens qui détiennent l’entreprise, les apporteurs de capitaux. Cet élément économique se décompose en un élément actif, les propriétaires majoritaires, et en un élément passif, les propriétaires minoritaires.
Alors que les propriétaires majoritaires agissent de façon précise et permanente sur la façon dont la structure va fonctionner, les propriétaires minoritaires se comportent comme de simples investisseurs sans réel droit de regard sur la structure de l’entreprise. La seule possibilité pour des minoritaires d’agir sur la structure professionnelle est de se retirer de celle-ci en récupérant ou en cédant les capitaux qu’ils y avaient investi.
Les dirigeants : élément juridique de l’animus
L’autre partie de l’animus professionnel, son élément juridique, est l’équipe dirigeante.
Le ou les dirigeants de l’entreprise sont l’interface de l’entreprise vis-à-vis, d’une part des tiers et, d’autre part des différents groupes de personnes composants l’entreprise. On dit que les dirigeants de l’entreprise représentent celle-ci, au sens juridique du terme.
Les dirigeants sont chargés de mettre concrètement en œuvre l’objet social, ce qui suppose, en particulier, de choisir les moyens qui permettront à l’entreprise de fonctionner. Autrement dit, les dirigeants ont la charge de choisir et d’organiser le corpus de l’entreprise.
Le corpus professionnel
Le corpus professionnel est l’élément matériel de l’entreprise, celui qui va concrètement permettre la mise en œuvre de l’objectif professionnel.
Le corpus professionnel est composé à la fois de moyens humains – les apporteurs de travail – et d’investissements, qui sont tous les biens matériels ou immatériels, corporels ou incorporels, nécessaires à l’accomplissement de l’objet social.
Les apporteurs de travail : élément humain du corpus
Les apporteurs de travail correspondent au groupe de personnes qui, par leur travail régulier, vont permettre la réalisation concrète de l’objet social.
Ce groupe, composé du personnel de l’entreprise, est beaucoup plus large que les seuls salariés de l’entreprise, c’est-à-dire les seuls titulaires d’un contrat de travail. Le groupe des apporteurs de travail correspond à toutes les personnes qui agissent régulièrement sur une certaine durée pour la mise en œuvre de l’objet social d’une entreprise. À contrario, ce groupe ne comprend pas les individus qui, de façon ponctuelle, peuvent être amenés à participer à la mise en œuvre de l’objet social.
Selon les cas – c’est-à-dire en fonction de la définition de l’objet social – les apporteurs de travail peuvent inclure les sous-traitants, les commissionnaires, et plus globalement toute personne formellement indépendante – tel un prestataire de service – qui agit de façon récurrente pendant une durée certaine pour la mise en œuvre de l’objet social d’une entreprise. La notion d’apporteur de travail est donc indépendante du cadre légal actuel qui lie une personne à une entreprise.
Cette notion nouvelle d’apporteur de travail opère une forme de révolution dans l’actuelle conception française, de type maquisarde, des relations de travail. Le terme de maquis juridique des relations de travail doit être compris ici, par analogie avec le sens propre du terme maquis, comme l’émergence d’une multitude de statuts professionnels (contrat à durée déterminée, contrat de travail temporaire, contrat de travail à temps partiel) ou pré-professionnels (formation professionnelle en alternance, stagiaire, VIE 1, VIA 2 et VSI 3 – CSNE, ancien service national à l’étranger dit coopé – indépendant, sous-traitant, contrat de travail à durée déterminée, commissionnaire, indépendants etc.) résultant de la dégradation du statut professionnel pérenne qu’était le contrat de travail à durée indéterminée, CDI.
Cette dégradation est consécutive à l’action des principaux propriétaires de capitaux, qui ont, suivant leurs intérêts financiers, à la fois externalisé la période de formation du personnel, précarisé le statut de salarié et externalisé certains services ou parties de l’entreprise (multipliant les petites et moyennes entreprises de sous-traitance un peu partout dans le monde), faisant dès lors peser le risque afférent à ladite activité sur des petites et moyennes entreprises juridiquement indépendantes mais économiquement dépendantes – ce qui les fragilise d’autant.
D’une façon générale, l’action des principaux propriétaires de capitaux va, lorsqu’elle n’a plus de contre-pouvoirs, de façon naturelle dans le sens d’une précarisation de l’ensemble de la vie économique – qui est le corollaire de la concentration maximale du capital. La prise en compte juridique, dans la définition de l’entreprise, de la notion d’apporteur de travail est de nature à faire échec à cette stratégie des principaux détenteurs de capitaux.
Les investissements : les biens matériels et immatériels nécessaires à la réalisation de l’objet social
Les investissements sont composés de tous les biens matériels et immatériels, corporels ou incorporels qui sont nécessaires à la réalisation de l’objet social de l’entreprise.
Ces biens matériels ou immatériels ne font partie du corpus de l’entreprise que s’ils sont utiles à la réalisation de l’objet social et qu’ils restent utiles pendant une certaine durée. Les investissements réalisés à des fins spéculatives ne peuvent, par construction, pas faire partie de l’élément matériel du corpus professionnel.
Conformément à la définition comptable actuelle des investissements, l’élément matériel – par opposition à l’élément humain que sont les apporteurs de travail – du corpus professionnel s’entend donc de l’acquisition – ou de la création – par une entreprise d’un bien durable destiné à rester au moins un an sous la même forme. La valeur de ce bien doit être au moins égale à 500 euros. Ces biens peuvent êtres corporels – terrain, bâtiment, usine, machine-outil etc. –, incorporels – brevet, licence etc – ou financiers mais limités dans ce cas aux seules obligations.
A la différence des investissements comptables actuels, l’élément matériel du corpus professionnel ne saurait comprendre, en matière d’investissements financiers, que les obligations, à l’exclusion des actions.
En effet, la détention d’actions d’entreprises tierces signifie la prise de participation, autrement dit l’appropriation d’une partie d’une ou de plusieurs entreprises tierces. Elle a donc pour effet mécanique de créer des groupes de sociétés, ce que notre présente analyse veut précisément éviter et interdire.
A contrario, la détention d’obligations d’entreprises tierces s’analyse comme de simples prêts octroyés dont les remboursements se font moyennant un taux d’intérêt préétabli qui ne dépend pas des résultats de l’entreprise tierce bénéficiaire du prêt. La détention d’obligations ne réalise aucune participation dans une entreprise tierce, elle n’accroît pas le pouvoir des actionnaires de la société qui investit ; elle n’est pour l’entreprise qui octroie le prêt qu’un investissement financier, plus ou moins risqué selon les cas.
Actuellement, la constitution de groupes de sociétés est le moyen qui permet aux grands capitalistes d’échapper au contrôle politique minimum que les États exercent sur la société commerciale de type capitalistique. L’entreprise en tant que partie d’un groupe économique a pris le pouvoir économique, politique puis géopolitique. Or, derrière les groupes économiques se cachent les principaux détenteurs de capitaux de la planète.
Notre proposition de modèle d’entreprise a précisément pour objet de rendre impossible toute nouvelle tentative de domination au moyen d’empires économiques.
Un objectif professionnel : l’objet social
L’animus et le corpus professionnels sont réunis au sein d’une structure professionnelle dans le seul but de mettre en œuvre un objectif professionnel – qui se traduit juridiquement par la notion d’objet social.
Autrement dit, l’objectif professionnel, c’est-à-dire l’objet social, est le lien entre l’animus et le corpus qui permet à l’entreprise d’exister juridiquement, c’est-à-dire d’avoir une personnalité professionnelle.
Cet objectif professionnel a deux faces. La première face est qu’il est formellement et juridiquement déterminé par l’objet social de l’entreprise. La seconde face est l’existence d’un intérêt propre de l’entreprise – l’intérêt social –, distinct de l’intérêt des différentes composantes de l’entreprise.
Ce sont les dirigeants de l’entreprise – élément juridique de l’animus professionnel – qui sont les garants du respect de l’objet social et de l’intérêt social dans la conduite et la direction de l’entreprise.
En d’autres termes, les dirigeants sont responsables devant les associés (propriétaires majoritaires), devant les apporteurs de travail et devant les tiers – y compris administrations publiques – du respect de ces deux aspects de l’objectif professionnel. Les personnes intéressées – au sens juridique du terme – peuvent attraire les dirigeants devant le juge en cas de non-respect potentiel de l’objectif professionnel.
Conclusion : l’entreprise a une personnalité juridique de nature professionnelle
Sur le fond, l’entreprise est composée d’un animus et d’un corpus professionnel reliés par la réalisation d’un objectif professionnel.
Sur la forme, l’entreprise est formalisée par une structure professionnelle dotée d’un intérêt propre, indépendant de celui de ses membres qui justifie l’octroi d’une personnalité juridique à vocation professionnelle.
Selon notre théorie, l’existence de la personnalité juridique est liée à l’existence des trois conditions de l’entreprise (animus, corpus, objet social) et ne dépend pas d’un quelconque acte déclaratif. Ainsi, dès que les critères de fond des entreprises sont remplis, celle-ci dispose de plein droit de la personnalité juridique.
Selon le juriste français Léon Michoud, les deux conditions nécessaires à l’octroi de la personnalité morale sont d’une part l’existence d’un intérêt distinct de l’intérêt individuel de ses membres et d’autre part une volonté.
L’animus professionnel réalise parfaitement l’élément volontariste de la personnalité morale, et l’intérêt social est garanti par les dirigeants. La personnalité juridique doit donc être accordée à l’entreprise ainsi définie.
Toutefois, la personnalité juridique de l’entreprise est une personnalité à seule vocation professionnelle. Dans ce contexte, il est souhaitable d’abandonner le terme de personnalité morale – jusqu’alors utilisé. Le terme moral, qui devait se comprendre par opposition au terme physique, est ambigu et n’a pas de sens précis. La personnalité professionnelle ne s’oppose pas à la personnalité physique, elle la complète en quelque sorte. Cela permet d’affirmer qu’il existe, à côté des personnes physiques et des personnes de droit public (États, etc.), une catégorie nouvelle – l’entreprise – dotée de la plénitude des pouvoirs juridiques dans la seule limite de la réalisation d’un objectif professionnel précis.
2° L’entreprise a la nature juridique d’une institution
L’entreprise est un animus et un corpus reliés par un objectif professionnel, le tout formalisé par une structure dotée d’un intérêt propre indépendant de celui de ses membres.
Si l’on s’en tient à la définition juridique de l’institution donnée par le juriste Maurice Hauriou 4, l’entreprise ainsi conçue a sans aucun doute possible, la nature juridique d’une institution.
L’incertitude juridique actuelle qui règne en droit français sur la nature de l’entreprise – contrat ou institution – n’a plus aucune raison d’être. Cette incertitude était au surplus, comme évoqué dans la première partie de cet article, un nid d’insécurité juridique et fiscale ; les choix juridiques et fiscaux faits par le ou les dirigeants dans la conduite de l’entreprise étaient à tout moment menacés d’être contestés par les diverses administrations publiques.
B) L’entreprise est identifiée par son objet social et sa nationalité
L’entreprise telle qu’ici conçue a un rôle d’organisation sociale qui sera un facteur de restauration tout à la fois de la paix sociale et de la nature politique du concept d’État.
Afin de remplir son nouveau rôle, l’entreprise doit avoir un objet social parfaitement clair et délimité, elle doit aussi être attachée de façon permanente à un État.
1° L’objet social doit être précisément identifié
La fonction de l’entreprise se traduit techniquement en droit par la notion d’objet social. Pour devenir un acteur reconnu par le corps social, l’entreprise doit avoir un objectif professionnel, c’est-à-dire un objet social précisément défini, identifié et non extensible. Cette affirmation, qui semble simple, ne l’est pas tant que ça.
D’une part, nous avons vu, dans la première partie de cet article, qu’actuellement l’objet social des entreprises est le plus souvent rédigé de manière suffisamment large pour permettre à l’entreprise, au gré des changements de conjoncture et de propriétaires, d’englober la plupart des activités. La nécessaire souplesse de l’objet social ne doit cependant pas dépasser une limite, celle qui rendrait l’objet si vague qu’il permettrait toute sorte d’activité.
D’autre part, il faut également considérer l’existence des groupes de sociétés qui tendent à devenir, plus ou moins formellement, en particulier en droit fiscal, des entités juridiques à part entière ; ces groupes détenant par ailleurs une véritable force économique. Au travers du groupe, l’exigence légale d’un objet social est dévoyée dans la mesure où cette notion devient plurielle, déclinée en autant d’entité qu’il y a d’entreprises dans le groupe. Du point de vue du groupe, les objets sociaux peuvent-être tellement variés qu’ils peuvent en réalité recouvrir la quasi-totalité des activités disponibles aux humains. La nécessité d’identification précise et circonscrite de l’objet social interdit, par construction, la constitution de groupe de sociétés.
La disparition de la possibilité de groupe de sociétés sera très profitable au corps social dans son ensemble, elle fera disparaître définitivement du même coup deux outils de prédation économique : la concentration des activités en quelques mains et l’anonymat de ces mains.
Afin de rendre à l’État un contrôle plénier sur le concept d’entreprise, il faut nécessairement que cette dernière soit, au moment de sa création, attachée à un État qui aura la charge à la fois de la contrôler et de la défendre pendant toute la durée de sa vie.
2° La nationalité fixe, au moment de sa constitution, l’appartenance pérenne de l’entreprise à un État
Le siège social est un élément constitutif fondamental de l’entreprise qui conditionne sa nationalité, c’est-à-dire la législation qui lui sera applicable, le lieu où elle devra payer ses impôts, l’application des conditions juridiques et financières de la rémunération des apporteurs de travail et des apporteurs de capitaux, la teneur précise des règles régissant les relations entre les différents groupes composant l’entreprise etc…
Afin de conserver un droit de regard sur l’activité de l’entreprise, le législateur doit imposer la fixité statutaire du siège social. Par ailleurs, aucune distorsion entre siège social statutaire et siège social réel ne doit exister. Le siège social réel doit être identique au siège social statutaire, ce qui aura pour avantage d’éviter de multiples complications juridiques et jurisprudentielles. Toute distorsion entre siège social réel et siège social statutaire devra être sanctionné par la disparition de la société.
Il faut préciser que la fixité du siège social n’interdit pas, par nature, l’implantation multiple des entreprises – sous forme de succursales ou d’établissement –, cette dernière devant néanmoins être limitée à deux ou trois. Les implantations multiples doivent même pouvoir être faites sur des territoires étrangers, sous réserve que les États intéressés en aient accepté le principe. A cet égard, il serait de bonne politique pour les États d’exclure la possibilité d’implantation dans un paradis fiscal.
La détermination ab initio d’un siège social fixe est de nature à assurer un complet contrôle de l’État sur l’entreprise mais aussi à procurer à cette dernière une protection d’ordre économique et diplomatique contre des tiers, entreprises ou États. L’État est garant de l’intégrité des entreprises situées sur son territoire, lesquelles lui procurent, en contrepartie, des rentrées fiscales qui contribuent à son fonctionnement ; un échange de bons procédés.
C) Précisions sur les différents groupes composants l’entreprise
Nous avons vu que l’entreprise est principalement composée de trois groupes de personnes : les apporteurs de capitaux, les dirigeants et les apporteurs de travail. Ces trois groupes ne sont pas homogènes car parmi les apporteurs de capitaux, le sous-groupe des majoritaires se distingue radicalement de celui des minoritaires. Seul le groupe de apporteurs majoritaires détient un réel droit de regard sur l’entreprise. De la même façon, les apporteurs de travail ne sont pas juridiquement liés à l’entreprise de façon identique, certains sont salariés, d’autres encore sous-traitants ou indépendants.
Mais il n’en demeure pas moins que ces trois catégories, les propriétaires majoritaires, les dirigeants et les apporteurs de travail – agents économiques de l’entreprise –, sont absolument nécessaires au fonctionnement concret de l’entreprise.
Nous allons analyser les caractéristiques propres à chacun de ces trois groupes.
1° Des propriétaires majoritaires identifiables
L’identification claire des différents participants à l’entreprise suppose que les apporteurs de capitaux soient nommément identifiés et non anonymes.
Actuellement, l’anonymat des apporteurs de capitaux – au premier rang desquels figurent les majoritaires – est organisé selon plusieurs modalités.
Il peut se faire que la forme sociale elle-même, telle que les trusts anonymes, organise l’opacité juridique des propriétaires. Ces structures sont particulièrement présentes dans les paradis fiscaux.
Il peut aussi se faire que l’anonymat découle d’une organisation en groupe de sociétés, les participations croisées et les formes que revêtent le groupe rendant finalement extrêmement difficile l’identification précise des principaux actionnaires cachés derrière ; ce phénomène sera d’autant plus accentué que le groupe est implanté sur le territoire de différents États, paradis fiscaux y compris.
L’anonymisation des détenteurs de capitaux facilite les marges de manœuvre de ces derniers et favorise la concentration des capitaux ; phénomène qui engendre, par voie de conséquence, une très forte pression sur les États. Le rétablissement du contrôle juridique des États sur les entreprises doit donc nécessairement entraîner la suppression de toute possibilité d’anonymisation des propriétaires de capitaux.
D’une part, les structures sociales opaques que sont les trusts anonymes ne doivent pas avoir de reconnaissance légale. D’autre part, la notion de groupe de société doit disparaître du vocabulaire économique, juridique et politique ; comme doit disparaître la réalité des groupes économiques. Les entreprises ne doivent plus pouvoir s’organiser en groupes, toute participation les unes dans les autres étant dorénavant interdite.
Un État digne de ce nom ne doit autoriser et reconnaître sur son territoire l’existence ni de structures juridiques opaques, ni de groupes de sociétés, qui ne font qu’une seule chose : lui faire concurrence.
2° Les apporteurs de travail élevés au même rang statutaire que les propriétaires majoritaires
L’aspect de la présente théorie qui s’inscrit le plus dans une ligne de rupture par rapport au concept actuel de société capitalistique est sans aucun doute la reconnaissance statutaire, au même niveau que les propriétaires majoritaires, des apporteurs de travail – c’est-à-dire des gens qui, par leur travail régulier, participent à la réalisation de l’objet social de l’entreprise.
La légitimité d’une telle reconnaissance statutaire est simple : elle provient du constat que la mise en œuvre de l’objet social repose essentiellement sur les personnes qui travaillent à cet objectif : fabriquer ou transformer des marchandises, réaliser un ou des services etc.
Au surplus, si l’on pousse la logique à son terme, l’entreprise pourrait se passer de ses principaux actionnaires tandis qu’elle ne pourrait pas se passer des gens qui agissent concrètement pour mettre en œuvre son objet social. Les gens qui travaillent à réaliser l’objet social de l’entreprise – peu importe par ailleurs la nature juridique du lien qui les lie à l’entreprise – sont absolument indispensables au concept d’entreprise qui, sans eux, n’aurait aucun sens.
Il est donc doublement logique de considérer que l’actuelle prédominance politique et juridique des principaux apporteurs de capitaux constitue, de façon fondamentale, une dérive de ce qu’est réellement l’entreprise.
Par voie de conséquence, la théorie juridique de l’entreprise que nous proposons suppose la reconnaissance juridique nouvelle en tant qu’entité autonome et prépondérante des apporteurs de travail – agents économiques – de l’entreprise.
De cette façon, la définition et la mise en œuvre de l’objet social, lesquels passent notamment par la désignation des dirigeants, ne dépendront plus des seuls actionnaires majoritaires mais seront librement déterminés par des groupes ayant des intérêts particuliers différents. Il s’agit, ni plus ni moins, que d’établir au niveau de l’entreprise le programme de séparation et d’équilibre des pouvoirs théorisé par Montesquieu et matérialisé dans la Constitution des USA sous le nom de checks and balances.
Le rééquilibrage des forces au sein de l’entreprise aura pour conséquence un rééquilibrage des forces au sein de la société politique.
3° Une co-désignation des dirigeants
Nous avons vu que l’ensemble du personnel de l’entreprise qui participe par son travail régulier à la réalisation de l’objet social doit dorénavant être doté, au même titre que les propriétaires majoritaires, d’un statut juridique autonome.
Les directives de mise en œuvre de l’objet social de l’entreprise reposent concrètement sur les dirigeants. Il est donc logique de considérer que la reconnaissance statutaire des apporteurs de travail, agents économiques de l’entreprise, ait pour corollaire la possibilité de désignation des dirigeants de l’entreprise, à égalité avec les propriétaires majoritaires. La désignation de l’équipe dirigeante de l’entreprise doit appartenir conjointement aux propriétaires majoritaires et aux apporteurs de travail.
Concrètement, les dirigeants seront désignés, en alternance, par l’un ou l’autre des deux groupes, avec un droit de veto, dont la mise en œuvre devra être limités à des cas particuliers et relevant d’une certaine gravité, pour le groupe non désignant.
Il résultera de l’avènement juridique statutaire des apporteurs de travail que la façon et les moyens de mettre en œuvre l’objet social par les dirigeants – tels que nouvellement désignés – seront déterminés par la confrontation des vues et intérêts des deux groupes distincts que sont d’une part les propriétaires majoritaires, et d’autre part les apporteurs de travail – agents économiques de l’entreprise. Dès lors, les propriétaires majoritaires ne seront plus les seuls concernés par le fonctionnement de l’entreprise qui prendra enfin sa véritable dimension collective, a contrario de la dimension strictement privée qu’elle revêt aujourd’hui.
Rappelons que les actionnaires majoritaires sont aujourd’hui tout puissants pour désigner les dirigeants de l’entreprise, lesquels deviennent de facto des agents – sous influence – chargés de veiller à l’intérêt du groupe – actionnaires majoritaires – qui les met en place.
Cette conception de l’entreprise fait l’impasse sur le fait que l’entreprise, de par la reconnaissance juridique que le droit lui accorde, est un acteur de la Société – entendu au sens politique du terme – à part entière ; l’entreprise remplis donc de facto un rôle social qui est supérieur à l’intérêt strictement privé des seuls actionnaires, fussent-ils majoritaires. La personnalité juridique de l’entreprise, conçue comme courroie de transmission ou une simple interface des intérêts des principaux détenteurs de l’entreprise, est détournée de sa fonction officielle : alors que le rôle des dirigeants doit être d’agir pour mettre en œuvre l’objet social dans l’intérêt exclusif de la personne morale, ce rôle est détourné au profit des principaux apporteurs de capitaux. Il s’agit là, très objectivement, d’un abus systématique et généralisé de personne morale. La co-désignation des dirigeants par les actionnaires majoritaires et par les apporteurs de travail est le remède à cette dérive.
II) Équilibrage entre pouvoir et responsabilité des différents acteurs de l’entreprise
La mise en perspective des rapports de force qui régissent les entreprises est fondamentale pour comprendre la nécessité politique pour les États – pour ceux d’entre eux qui veulent récupérer des marges de manœuvres économiques et politiques et retrouver ainsi le statut politique qui leur appartient de droit –, de remettre de l’ordre et des contre-pouvoirs dans le concept d’entreprise.
Le concept juridique nouveau d’entreprise ici décrit propose une détermination claire des pouvoirs et responsabilités de chacune des entités composants l’entreprise. Il propose également un certain type d’organisation des relations entre ces différentes entités.
A) Détermination des pouvoirs et responsabilités de chaque groupe participant à l’entreprise
Une fois les acteurs de l’entreprise identifiés ; chaque groupe doit être doté de façon permanente et officielle de pouvoirs et de responsabilités corrélatives. La paix sociale suppose qu’il ne peut y avoir de pouvoir sans responsabilité ni, à l’inverse, de responsabilité sans pouvoir.
1° Pouvoir et responsabilité des dirigeants
Les dirigeants ont, dans la mise en œuvre de leur mission, une liberté totale d’action qui est néanmoins limitée par des sanctions en cas d’outre-passement ou de non-respect de leur mission.
Nous allons voir en quoi consiste précisément leur mission avant de considérer les sanctions susceptibles d’intervenir.
Pouvoir des dirigeants dans la mise en œuvre de l’objet social
Les dirigeants ont deux missions principales, la première concerne la détermination de la politique de l’entreprise et la seconde concerne l’organisation interne du travail dans l’entreprise, aussi appelé du terme anglophone de management.
Détermination de la politique de l’entreprise
Les dirigeants, alternativement nommés par les propriétaires majoritaires et par les apporteurs de travail, doivent pouvoir en toute liberté et indépendance décider de la politique professionnelle suivie par l’entreprise.
La seule limite à la liberté d’action des dirigeants tient au respect de leur mission, qui est également la raison d’être de l’octroi de la personnalité juridique à l’entreprise. Ils doivent en conséquence respecter l’objet social et l’intérêt propre de l’entreprise, qu’ils ont la charge de respectivement mettre en œuvre et garantir.
Organisation des relations internes de travail : la cogestion de l’entreprise libérée
Dans la mise en œuvre des relations internes de travail, qui concernent en premier lieu le groupe des apporteurs de travail, les dirigeants doivent respecter le principe de la cogestion. En d’autres termes, la liberté de manœuvre des dirigeants n’est pas complète, elle ne s’opère qu’à l’intérieur du cadre de la codécision.
Concrètement, l’équipe dirigeante doit par principe intégrer les gens qui travaillent dans l’entreprise aux décisions concernant l’organisation de ce travail et les interactions entre les individus participant à la réalisation de l’objet social. Cette méthode, mise en œuvre par les partisans de l’entreprise libérée a d’ores et déjà largement fait ses preuves en termes d’efficacité. Des gens comme Jean-François Zobrist ont ainsi, en France, rendu ses lettres de noblesse à la notion d’entreprise grâce précisément à cette méthode de management 5.
Une fois l’organisation du travail ainsi établie en interne, il appartient au (aux) dirigeant(s) de faire respecter cette organisation.
Intégrer le principe de cogestion en matière d’organisation du travail est une autre grande nouveauté de la théorie juridique de l’entreprise. Elle s’inscrit dans une ligne de rupture avec la conception ancienne de l’entreprise où le dirigeant – émanation directe des principaux propriétaires – était le chef militaire hiérarchique tout puissant et indiscuté.
La conception ancienne de l’entreprise s’appuyait sur une organisation pyramidale des rapports sociaux, avec les propriétaires majoritaires en haut de la pyramide. Cette conception reposait sur le postulat implicite que les hommes et leur travail n’étaient que des moyens de réaliser les intérêts des propriétaires majoritaires.
La conception nouvelle de l’entreprise s’inscrit au contraire dans une organisation largement horizontale des rapports sociaux. Elle repose sur le postulat que les hommes qui travaillent dans l’entreprise sont au cœur nucléaire du système. En d’autres termes, le postulat est que l’efficacité de la mise en œuvre de l’objet social repose en premier lieu sur le bien-être et la considération apportée aux gens qui travaillent à cette mise en œuvre. Établir le principe de cogestion dans l’organisation du travail au sein de l’entreprise rétablit l’équilibre dans la mise en œuvre de l’objet social puisque les apporteurs de travail – sur qui repose concrètement la réalisation de l’objet social – seront enfin intéressés à la bonne marche de l’entreprise.
Ainsi, selon la conception nouvelle de l’entreprise, l’humain est réintégré au cœur du processus économique, alors que selon la conception ancienne il n’était qu’une variable d’ajustement dans la mise en œuvre des intérêts économiques des propriétaires majoritaires de l’entreprise. Il s’agit, ici encore, de mettre en œuvre au niveau de l’entreprise les principes de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs.
Limites au pouvoir des dirigeants
Le rôle des dirigeants peut être contesté au niveau de la détermination de la ligne de conduite politique de l’entreprise, ou au niveau de l’organisation interne du travail.
Non-respect de l’intérêt social par la direction
En cas de contestation par les actionnaires majoritaires ou par les apporteurs de travail de la mise en œuvre de la ligne politique de l’entreprise décidée par la direction, le juge sera chargé de trancher le différend. Dans ce cas, le juge sera amené à vérifier le respect par les dirigeants de l’intérêt social propre de l’entreprise.
Dans les grandes lignes de telles contestations peut provenir des constats que les dirigeants confondent l’intérêt de l’entreprise avec l’intérêt particulier d’un groupe constituant l’entreprise ; qu’ils opèrent des choix de financement manifestement excessifs ou inadaptés à un développement de long terme – tel par exemple le recours excessif à l’endettement, en particulier de court terme – ; qu’ils prennent des décisions incohérentes dans le temps ou dans l’espace etc. Le juge pourra également être amené à décider si le ou les dirigeants sont en situation d’incapacité manifeste de remplir leur mission.
Il appartiendra à la jurisprudence de pourvoir au détail d’une part de ce que recouvre le respect de l’intérêt social de l’entreprise et d’autre part de la notion d’incapacité manifeste à diriger l’entreprise.
L’intérêt juridique à agir, c’est-à-dire la possibilité de saisine du juge, appartient aux deux groupes que sont les propriétaires majoritaires et les apporteurs de travail.
Non-respect du principe de cogestion
Les apporteurs de travail ont un droit légal à la cogestion dans la mise en œuvre des relations de travail ; relations de groupes ou relations interindividuelles.
Les dirigeants sont gardiens du respect des relations de travail établies sur le principe de la cogestion.
Le juge sera le cas échéant amené à se prononcer sur le respect ou non par le dirigeant de ce principe de cogestion.
Toute personne appartenant aux apporteurs de travail pourra saisir le juge à des fins de vérification du respect du principe de cogestion.
2° Pouvoir et responsabilité des apporteurs de travail
Les apporteurs de travail sont, au premier chef, intéressés à la mise en œuvre de l’objet social.
Ils participent à ce titre au processus de désignation de l’équipe dirigeante, et à l’organisation interne du travail dans l’entreprise.
Prérogatives
Pouvoir de désignation des dirigeants
Rappelons que l’entreprise est une structure à vocation professionnelle qui bénéficie à ce titre de la personnalité juridique. La structure juridique qu’est l’entreprise est composée, principalement, de trois éléments essentiels : les propriétaires majoritaires qui sont des apporteurs de capitaux, les apporteurs de travail et les dirigeants. La troisième composante est désignée par les deux premières. Ainsi, en tant que composante essentielle de l’entreprise, le groupe des apporteurs de travail participe, de la même façon que les propriétaires majoritaires, à la désignation des dirigeants de l’entreprise, lesquels sont chargés de mettre en œuvre l’objet social.
Les apporteurs de travail sont d’autant plus légitimes à désigner le dirigeant qui leur convient que le rôle de ce dernier consiste, outre la prise des décisions politiques stratégiques, également à organiser, dans le respect du principe de cogestion, les relations professionnelles internes à l’entreprise – c’est-à-dire les relations entre les différents apporteurs de travail de l’entreprise.
Participation à la cogestion
Le groupe des apporteurs de travail participe, en partenariat avec l’équipe dirigeante, à la mise en place et à l’évolution de l’organisation du travail et des relations d’équipes et interindividuelles au sein de l’entreprise.
Limites de ces prérogatives
Limite à la participation à la cogestion
Une fois l’organisation du travail établie dans le respect du principe de cogestion par les apporteur de travail et les dirigeants, ces derniers ont la charge de faire respecter cette organisation.
Dans ce cadre, chaque apporteur de travail doit participer loyalement à la réalisation de l’objet social. C’est-à-dire qu’il doit accepter les conditions de l’organisation du travail telles que co-définies par l’équipe dirigeante et par le groupe des apporteurs de travail. Chacun d’eux doit aussi respecter la ligne politique de l’entreprise telle que définie par les dirigeants.
Tout écart vis à vis du principe de loyauté dans la réalisation de l’objet social doit être sanctionné par l’équipe dirigeante ; la sanction doit être proportionnée à la faute commise, elle est plus lourde en cas de faute intentionnelle qu’en cas de faute non intentionnelle. En cas de contestation par l’apporteur de travail de la sanction imposée par le ou les dirigeants, le juge sera chargé de trancher le litige.
Toute action judiciaire abusive de la part d’un apporteur de travail sera sanctionnée par l’octroi de dommages-intérêts au profit de l’entreprise ; c’est en effet en l’entreprise elle-même qui serait la première victime d’une mauvaise qualité des relations internes dues à une action en justice intempestive.
Limite au pouvoir de désignation des dirigeants
Au moment de la désignation de l’équipe dirigeante par le groupe des apporteurs de travail, les propriétaires majoritaires conservent un droit de veto, applicable dans les cas graves ou les dirigeants ainsi désignés seraient manifestement inaptes à remplir ces fonctions. Cette inaptitude pourrait découler de l’existence de condamnations civiles (privation des droits civiques) ou pénales antérieures, d’incapacité juridique ou de tout autre cas particulièrement grave.
Le juge aura à déterminer au cas par cas le contenu de cette inaptitude manifeste du dirigeant à exercer ses fonctions.
Si les dirigeants en place, désignés par le groupe des apporteurs de travail étaient au cours d’exercice relevés de leur mission par le juge, alors le groupe des apporteurs de travail perdrait, à titre de sanction, son tour dans la prochaine désignation des dirigeants.
3° Les propriétaires majoritaires
Comme tout élément composant l’entreprise, les propriétaires majoritaires ont des prérogatives qui sont limitées par le respect de l’intérêt social propre de l’entreprise.
Prérogatives
Les propriétaires de l’entreprise, qui participent à la désignation des dirigeants et subséquemment à la détermination de l’objet social, sont aussi des sortes d’agents financiers de cette dernière.
Désignation des dirigeants et détermination de l’objet social
En tant que composante statutaire essentielle de l’entreprise, le groupe formé par les propriétaires majoritaires participe à la désignation de l’équipe dirigeante. Cette désignation se fait à tour de rôle avec les apporteurs de travail.
Si l’on veut bien se souvenir que le respect de l’objet social par l’entreprise relève d’une prérogative des dirigeants, alors il résulte de leur nouveau processus de désignation que ces derniers ne sont mécaniquement plus les seuls commanditaires des propriétaires majoritaires.
En d’autres termes, la détermination de l’objet social relève dorénavant d’un compromis entre le groupe des propriétaires majoritaires et celui des apporteurs de travail. Compromis garanti par les dirigeants dans l’exercice de leurs fonctions.
Prérogatives financières
En participant activement au financement des entreprises, les propriétaires majoritaires sont aussi des sortes d’agents financiers de l’entreprise.
Un peu comme des banquiers externes, ils investissent de l’argent afin de permettre la mise en œuvre, par les dirigeants, de l’objet social. Mais à la différence de banquiers externes, les propriétaires majoritaires de l’entreprise sont copropriétaires d’une partie de celle-ci ; ils sont en conséquence rémunérés en fonction des résultats de l’entreprise par les bénéfices distribués par les dirigeants. Les propriétaires majoritaires sont ainsi, de façon structurelle, intéressés à la bonne marche de l’entreprise.
Les dirigeants sont seuls habilités à déterminer le montant des bénéfices qui seront distribués aux actionnaires majoritaires. Toutefois, les propriétaires majoritaires peuvent contester devant le juge la décision – dans son principe et dans son montant – prise par les dirigeants de distribuer ou non des bénéfices.
Une contestation de ce montant ne pourra se faire que dans le cadre de la contestation du respect de l’intérêt social par le dirigeant lors de l’affectation des fonds disponibles – c’est-à-dire du bénéfice de l’entreprise.
Limites aux prérogatives
Le rôle consistant, pour les propriétaires majoritaires, à désigner les dirigeants est partagé avec les apporteurs de travail. Ces derniers agissent à la façon d’un contre-pouvoir, empêchant de façon structurelle la confusion entre l’intérêt social et l’intérêt propre du groupe des propriétaires majoritaires.
En tant qu’agents financiers, les propriétaires majoritaires sont également tenus de respecter l’intérêt social tel que défini par les dirigeants.
Limite au pouvoir de désignation des dirigeants
Afin de pallier le risque – ce risque est dans le contexte actuel une réalité juridique et non un risque – de confusion entre intérêt des propriétaires majoritaires et intérêt propre de l’entreprise, le concept nouveau d’entreprise impose le partage de la désignation des dirigeants avec le groupe des apporteurs de travail.
Au moment de la désignation de l’équipe dirigeante par le groupe des propriétaires majoritaires, les apporteurs de travail conservent un droit de veto, applicable dans les cas graves ou les dirigeants ainsi désignés seraient manifestement inaptes à remplir ces fonctions. Cette inaptitude pourrait découler de l’existence de condamnations civiles (privation des droits civiques) ou pénales antérieures, d’incapacité juridique ou de tout autre cas particulièrement grave.
Le juge aura à déterminer au cas par cas le contenu de cette inaptitude manifeste du dirigeant à exercer ses fonctions.
Si les dirigeants mis en place, par les actionnaires majoritaires étaient, en cours d’exercice, relevés de leur fonction par le juge, alors les propriétaires majoritaires perdraient, à titre de sanction, leur tour dans la prochaine désignation des dirigeants.
Limites aux prérogatives financières
Toute contestation par les propriétaires majoritaires du bénéfice distribué alloué par les dirigeants qui serait jugée abusive ou intempestive donnera lieu au paiement de dommages et intérêts à l’entreprise. En effet, l’entreprise serait la principale victime d’une contestation du rôle de ses dirigeants ; contestation qui aurait pour effet d’instaurer, pendant au moins toute la durée de la procédure, une suspicion sur les dirigeants préjudiciable au bon fonctionnement quotidien des relations de travail.
4° Les propriétaires minoritaires, simples investisseurs
Les propriétaires minoritaires ont un simple rôle d’apporteurs de capitaux, ils ne participent pas directement à la réalisation de l’objet social.
Prérogatives
Les propriétaires minoritaires de l’entreprise sont l’élément économique passif de l’animus professionnel. Ils ont, dans l’entreprise, un rôle de simple investisseur. Un peu comme une banque externe qui octroie un prêt, ils investissent de l’argent dans l’entreprise. Mais, à la différence des banquiers, ils détiennent, de la même façon que les propriétaires majoritaires, une partie de l’entreprise.
A la différence des banquiers, les propriétaires minoritaires ne sont pas rémunérés par un intérêt mais par un bénéfice distribué par le chef d’entreprise.
Limites aux prérogatives
Contrairement aux propriétaires majoritaires, les propriétaires minoritaires ne sont, par essence, pas impliqués dans les conditions de réalisation de l’objet social. En conséquence, il ne leur appartient pas de choisir les dirigeants chargés de mettre en œuvre cet objet social.
N’ayant pas la prérogative de nommer les dirigeants, ils ne peuvent, par un parallélisme des formes, pas avoir celle de les démettre de leurs fonctions.
Par ailleurs, en tant que simples apporteurs de capitaux, ils ne sont pas habilités à contester en justice les décisions d’affectation des bénéfices de l’entreprise prise par les dirigeants.
En cas de mécontentement concernant la politique de distribution des bénéfices, la seule chose que puissent faire les propriétaires minoritaires est de retirer leurs apports financiers de l’entreprise et d’aller investir leur argent ailleurs. Ce qui, ne le cachons pas, reste un moyen de pression financier éventuellement très important. Il s’agit d’un moyen d’action indirect qui oblige, d’une façon ou d’une autre, les dirigeants à prendre en compte l’intérêt des propriétaires minoritaires dans la mise en œuvre de l’objet social.
B) Organisation des relations entre les différents acteurs de l’entreprise
Les relations entre les divers groupes qui composent l’entreprise doivent être analysées et encadrées de façon permanente par le droit. A défaut, le risque serait l’installation de sempiternels conflits, plus ou moins latents, qui empêcheraient le fonctionnement correct de l’entreprise. Aucune théorie juridique de l’entreprise ne résisterait à l’instauration à titre permanent de tels nids de chicanes.
1° Relation bilatérales entre propriétaires majoritaires et apporteurs de travail
Depuis l’œuvre de Montesquieu, il n’est un secret pour personne qu’organiser un équilibre entre les forces en présence est le seul moyen d’éviter une prise de contrôle des unes sur les autres. Décliné en matière d’entreprise, ce principe suppose un équilibre des forces entre les apporteurs de capitaux et les apporteurs de travail.
Toutefois, cet équilibre ne doit pas aboutir à l’immobilisme, écueil résultant de la confrontation de deux pouvoirs identiques. L’équilibre des forces doit donc être aménagé, les relations entre les différents pouvoirs entretenues et organisées, afin de ne pas aboutir à des conflits ineptes et sans issues. Le rôle du droit est de pacifier les relations, pas de les rendre conflictuelles. D’où la nécessité pour le législateur de gérer les relations entre les deux types d’apporteurs qui participent à l’entreprise de façon prépondérante.
Dans ce contexte, une réponse juridique équilibrée consiste à donner le pouvoir de nomination des dirigeants alternativement aux apporteurs de capitaux et aux apporteurs de travail, sauf à sanctionner un groupe qui aurait failli à la désignation du précédent dirigeant en lui retirant temporairement son droit de nomination.
Il serait également judicieux de donner aux apporteurs non concernés par la nomination du dirigeant un droit de veto. Ce dernier devant toutefois être limité au cas extrême où le dirigeant proposé serait manifestement inapte à exercer ses fonctions : pour des causes judiciaires (condamnation civique ou pénale antérieure), en raison d’échecs précédents répétés à ce type de fonction ou pour toute autre raison impossibles à détailler in abstracto. La jurisprudence pourvoira au détail de ce qui rend un dirigeant manifestement inapte à exercer ses fonctions.
2° Relations bilatérales entre propriétaires majoritaires et minoritaires
L’élément économique de l’animus professionnel se décompose en un élément actif dans la réalisation de l’objet social – les propriétaires majoritaires – et un élément passif dans la réalisation de l’objet social – les propriétaires minoritaires.
Ces deux groupes ont pour fonction d’apporter des capitaux à l’entreprise afin de pourvoir à un moment donné, totalement ou partiellement, au financement de ses activités. Mais ces deux groupes n’entretiennent pas de réel rapport l’un avec l’autre.
Les dirigeants décident du montant des bénéfices éventuels qu’il convient de distribuer.
L’enveloppe du bénéfice qui sera distribué est répartie par parts égales entre d’une part les apporteurs de capitaux – majoritaires et minoritaires confondus – et d’autre part les apporteurs de travail.
Les bénéfices distribués affectés au groupe des apporteurs de capitaux seront répartis entre eux au prorata de la participation respective de chacun d’eux au financement de l’entreprise.
Les propriétaires majoritaires sont habilités à contester en justice le bénéfice distribué au titre du non-respect par le dirigeant de l’intérêt social.
A contrario, les minoritaires n’ont pas la possibilité de contester en justice la part de bénéfices distribués qui leur est attribuée par les dirigeants. Ils conservent néanmoins un moyen de pression essentiel : celui de retirer leurs avoirs de l’entreprise, obligeant les dirigeants à trouver des capitaux de remplacement.
3° Relations bilatérales entre minoritaires et dirigeants
Comme indiqué ci-dessus, les dirigeants de l’entreprise – élément juridique de l’animus professionnel – décident librement de la partie du bénéfice réalisé par l’entreprise qu’il conviendra de distribuer.
Ce bénéfice distribué est ensuite réparti à parts égales entre d’une part l’élément économique de l’animus professionnel – composé des apporteurs majoritaires et minoritaires de capitaux – et d’autre part l’élément humain du corpus professionnel – les apporteurs de travail.
Une fois cette première répartition établie, la partie des bénéfices distribuée réservée aux apporteurs de capitaux sera divisée entre les majoritaires et les minoritaires au prorata de la participation de chacun de ces deux groupes dans le financement de l’entreprise – participation actée au passif du bilan de l’entreprise.
Les propriétaires minoritaires n’ont pas d’action directe contre les décisions du dirigeant. Ils conservent néanmoins un moyen de pression, qui est une sorte d’action indirecte sur eux car ils peuvent à tout moment retirer leurs apports de l’entreprise, imposant à cette dernière – c’est à dire à ses dirigeants – de trouver une source de financement de remplacement.
4° Relations trilatérales entre majoritaires, apporteurs de travail et dirigeants
Les interactions entre les dirigeants, les propriétaires majoritaires et les apporteurs de travail sont de deux ordres. Elles relèvent d’une part de la désignation et de la révocation des dirigeants par les apporteurs de travail et les majoritaires et d’autre part du rôle d’arbitre des dirigeants entre les intérêts des apporteurs de travail et ceux des propriétaires majoritaires dans la conduite de l’intérêt social.
Désignation et révocation du dirigeant
Les propriétaires majoritaires participent à égalité avec les apporteurs de travail à la désignation de l’équipe chargée de diriger l’entreprise.
La désignation du dirigeant doit se faire, alternativement par l’un ou l’autre de ces deux groupes. S’il arrivait que le dirigeant désigné par l’un des deux groupes soit reconnu inapte à ce rôle par les juges, alors le groupe qui aurait procédé à la désignation perdrait son tour lors de la prochaine désignation ; le droit de désignation des dirigeants lui serait temporairement retiré à titre de sanction.
Les apporteurs – de capitaux ou de travail – qui n’ont pas procédé à la désignation du dirigeant conservent un droit de veto sur ladite désignation. Toutefois ce droit de veto ne s’appliquera que dans des cas extrêmes où la compétence, la loyauté, l’intégrité ou la capacité personnelle du dirigeant pourront être mises en cause de façon manifeste. Il s’agit des cas où le dirigeant serait manifestement inapte à exercer les fonctions de direction. La liste des cas dans lesquels le dirigeant serait considéré comme manifestement inapte à exercer ses fonctions doit être laissée à l’appréciation du juge au moyen d’une estimation au cas par cas.
Par ce que l’on nomme en droit le parallélisme des formes, le ou les dirigeants peuvent être révoqués, à tout moment pour justes et/ou graves motifs, à la fois par les apporteurs de travail et par les propriétaires majoritaires. Une telle révocation sera bien sûre susceptible d’être contestée en justice par une personne justifiant d’un intérêt pour agir.
Toute action en révocation jugée abusive doit donner lieu à des dommages et intérêts au profit de l’entreprise.
De cette façon le juge étatique apparaît être, en dernier recours, l’arbitre ultime des intérêts particuliers au sein de l’entreprise.
Le dirigeant arbitre entre les intérêts des apporteurs de travail et ceux des propriétaires majoritaires dans la conduite de l’entreprise et la détermination de l’intérêt social
De son côté, le ou les dirigeants de l’entreprise agissent comme un élément modérateur, un médiateur, entre les intérêts des propriétaires majoritaires et ceux des apporteurs de travail.
Autrement dit, les dirigeants apprécient la façon dont l’objet social doit être mis en œuvre en tenant compte du point de vue de ces deux groupes – les propriétaires majoritaires et les apporteurs de travail.
La liberté d’appréciation du dirigeant dans la conduite de l’entreprise est donc encadrée par les intérêts, éventuellement antagonistes, des apporteurs de travail et des propriétaires majoritaires. De telle sorte que l’appréciation de l’objet social résulte de la confrontation du point de vue de ces deux groupes.
Cette méthode entraîne, mécaniquement, l’existence d’un intérêt social propre et indépendant de celui des différents groupes constituant l’entreprise.
Le dirigeant est garant de l’intérêt social
Le dirigeant est le garant du respect de l’intérêt social de l’entreprise, tel que ci-dessus défini.
Il devra, éventuellement, rendre compte de son impartialité dans la détermination de l’intérêt social devant des tribunaux. Les propriétaires majoritaires et les apporteurs de travail peuvent en effet attraire en justice le dirigeant s’ils estiment que l’intérêt social reflète plus l’intérêt particulier de l’un des deux groupes, voire d’un tiers, que l’intérêt propre de l’entreprise.
III) Tous les acteurs de l’entreprise doivent pouvoir participer à son capital et bénéficier de ses fruits
Une bonne politique, celle qui est source de paix, doit organiser la fluidité des relations sociales et ne pas cristalliser les rôles des uns et des autres ad vitam aeternam. Il s’agit donc de prévoir et d’organiser ce que l’on appelle, en langage courant, un ascenseur social.
Appliqué à l’entreprise, cette maxime suppose que les groupes des apporteurs de capitaux et des apporteurs de travail ne soient pas figés de façon immuable. En d’autres termes, ces derniers doivent pouvoir devenir apporteurs de capitaux. Il n’est en effet pas logique que les apporteurs de travail, qui participent au premier chef par leur travail régulier et récurrent à la réalisation du bénéfice de l’entreprise, ne puissent pas devenir également apporteurs de capitaux. Permettre juridiquement aux apporteurs de travail de devenir à leur tour apporteurs de capitaux représente une juste émulation sociale, par la récompense des efforts qu’ils ont fournis.
La participation au capital de leur entreprise n’est pas nécessairement possible a priori pour tous les apporteurs de travail, celle-ci doit donc être facilitée par la possibilité juridique de participer aux bénéfices distribués par l’entreprise – qui sont, juridiquement, les fruits de l’entreprise.
Nous évoquerons dans un premier temps l’attribution de parts de l’entreprise au titre de récompense en nature aux dirigeants et aux apporteurs de travail. Nous évoquerons dans un second temps la participation des actionnaires et des apporteurs de travail aux bénéfices distribués. Nous mentionnerons enfin le droit prioritaire de rachat de l’entreprise qui doit être donné aux apporteurs de travail en cas de difficulté de celle-ci.
A) Attribution de parts de l’entreprise aux dirigeants et aux apporteurs de travail
Les dirigeants et les apporteurs de travail sont dans une situation très similaires : les uns et les autres passent la plus grande partie de leur temps à mettre en œuvre l’objet social de l’entreprise. Ils doivent donc logiquement pouvoir être ponctuellement récompensé en nature de la même manière par l’octroi de parts sociales (actions) de l’entreprise.
1° Fonctionnement du nouveau système de récompense en nature par l’attribution de parts de l’entreprise
Le montant total des parts de l’entreprise qui seront distribuées ainsi que leur répartition entre les bénéficiaires relève d’une décision de la direction de l’entreprise. Ces parts devront s’accompagner d’une augmentation corrélative de capital, ce qui rend par nécessité l’opération assez exceptionnelle.
Les montants distribués ne doivent pas être différenciés en fonction du statut professionnel des bénéficiaires mais doivent être attribués en fonction du mérite propre de chacun d’eux, c’est-à-dire en fonction de leur participation effective, dont l’appréciation peut être annuelle ou pluriannuelle, à la réalisation de l’objet social.
Le cas échéant, tout apporteur de travail et tout propriétaire majoritaire peut demander au juge de vérifier que l’augmentation de capital et la répartition des parts sociales ont été faites par les dirigeants dans le strict respect de l’intérêt propre de l’entreprise. En cas de contestation de l’opération, l’attribution des parts de l’entreprise contestée est gelée jusqu’à l’intervention de la décision du juge.
Toute contestation jugée abusive donnera lieu à des dommages et intérêts à l’entreprise.
Cette mesure de distribution de parts de l’entreprise aux apporteurs de travail et aux dirigeants, qui s’analyse juridiquement en une récompense en nature, est dictée par l’équité, source de paix sociale.
Elle est corrélativement un gage d’efficacité du fonctionnement de l’entreprise dans la mesure où la réalisation de l’objet social aura d’autant plus de chance d’être accomplie dans les meilleures conditions que les personnes qui y travaillent seront justement et équitablement récompensées de leurs efforts. Elle répond ainsi parfaitement à l’intérêt bien compris de l’entreprise.
2° Différence du nouveau régime juridique d’attribution de parts de l’entreprise avec l’actuel régime des stock-options
Fondamentalement, la différence entre le nouveau système proposé et celui dit des stock-options est de taille, elle s’inscrit dans la différence fondamentale de contexte qui existe entre la société de type capitalistique actuelle et le modèle d’entreprise que nous proposons.
Selon le régime actuel, les stocks-options sont une option d’achat à terme sur des parts de l’entreprise à un prix fixé à l’avance. Ce régime est supposé inciter les bénéficiaires – c’est-à-dire les dirigeants – à faire monter, à terme, le cours des actions de l’entreprise. Il s’agit en quelque sorte d’une spéculation sur le travail d’autrui. Si le cours des actions augmente, certes les détenteurs de stocks-options seront favorisés – ce qui sera une juste récompense des efforts fournis à l’occasion de leur travail – mais tous les actionnaires, en particulier les majoritaires, le seront également. Le régime dit des stock-options est une incitation faite par les principaux propriétaires de l’entreprise à leurs dirigeants pour motiver ces derniers à continuer de travailler à l’accroissement de la valeur de la société dont les majoritaires profiteront au premier chef.
Les stocks-options tels qu’actuellement conçus s’avèrent au final être un moyen juridique utilisé comme subterfuge par les principaux détenteurs de capitaux pour augmenter leurs revenus en spéculant sur le travail d’autrui.
Le régime de l’attribution de parts de l’entreprise que nous préconisons dans la présente théorie ne prétend pas, contrairement au régime dit des stock-options, spéculer sur le travail des hommes mais au contraire récompenser un travail déjà effectué par l’attribution, à titre exceptionnel et nominatif, d’une partie de l’entreprise.
B) Participation aux bénéfices distribués des actionnaires et des apporteurs de travail
La rémunération de l’élément économique de l’animus professionnel est fonction des résultats de l’entreprise ; ce qui est logique car les actionnaires, copropriétaires de l’entreprise, ne sont pas extérieurs à cette dernière. A contrario, les banques, qui peuvent également participer au financement de l’entreprise, sont extérieurs à celle-ci ; elles perçoivent des intérêts en contrepartie des prêts qu’elles peuvent fournir. Le taux d’intérêt, préalablement négocié par le dirigeant, n’est pas dépendant du résultat de l’entreprise, il réduit, en amont, le résultat de l’entreprise. Si une banque extérieure à l’entreprise intervenait, au titre de son apport de financement, dans les choix des dirigeants de l’entreprise, elle pourrait être condamnée pour immixtion dans la gestion.
Il n’existe actuellement aucune participation automatique et généralisée des apporteurs de travail aux bénéfices de l’entreprise. Toutefois, ce type de rémunération existe, en France, dans les entreprises de plus de 100 salariés. Il convient donc d’automatiser et de généraliser ce processus afin de faciliter juridiquement le passage des apporteurs de travail en apporteurs de capitaux.
Nous proposons ainsi de donner aux apporteurs de travail un droit effectif permanent à la répartition des fruits de l’entreprise. Cette mesure facilitera la possibilité, pour les apporteurs de travail, d’acheter par la suite d’autres droits dans le capital de leur entreprise.
Cette analyse, simple et logique, n’est pas dénuée de danger politique.
1° La légitimité de la participation des apporteurs de travail aux fruits de l’entreprise (bénéfice distribué)
Une fois les bénéfices réalisés – si bénéfices il y a – se pose alors au dirigeant la question de la détermination de la part qui doit être mise en réserve et de celle qui peut être distribuée.
Une partie des bénéfices doit obligatoirement être mise en réserve afin de permettre à l’entreprise d’assurer, au moins en partie, le financement de ses investissements et de son développement à venir.
Le surplus de bénéfices doit pouvoir être distribué aux personnes ayant participé, financièrement ou par leur travail, à la réalisation desdits bénéfices. Il est contre-productif d’exclure de la part du bénéfice distribuable les apporteurs de travail. alors que ce sont principalement eux qui ont positivement agi pour permettre la réalisation dudit bénéfice. C’est la raison pour laquelle la présente théorie se prononce pour une première répartition des bénéfices distribués par part égale entre d’une part le groupe des apporteurs de travail et d’autre part celui des apporteurs de capitaux.
C’est à cet objectif d’équité que répondait, de façon partielle, la démarche de Charles De Gaulle lorsqu’il a, en 1959, institué la participation des salariés aux résultats de l’entreprise – principe généralisé en 1967 à toutes les entreprises de plus de 100 salariés.
Ce principe, qui n’a structurellement pas de quoi rebuter les apporteurs de capitaux 6 a néanmoins posé un problème d’ordre politique au Général De Gaulle.
2° Le danger politique de la participation : l’exemple Gaulliste
Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette question, il faut remettre le principe de la participation dans son contexte historique.
D’une part les événements, d’ordre révolutionnaire de Mai 1968 ont suivi de très près la généralisation du principe de participation des salariés (1967). D’autre part et surtout, le Général De Gaulle a été tenu en échec en 1969 lors d’un référendum, ce qui a entraîné à son départ 7.
Il serait sans doute aventureux de faire un lien direct exclusif entre Mai 68 et le seul avènement du principe de la participation tant les décisions politiques prises par le Générale De Gaulle dans la décennie des années 1960 s’inscrivaient globalement dans une opposition frontale aux intérêts états-uniens ; lesquels intérêts ne faisaient – déjà depuis bien longtemps – que refléter les intérêts des principaux propriétaires capitalistiques occidentaux, en particulier ceux de l’oligarchie française. Il n’est qu’à songer à la décision du président français de transformer en or une partie des avoirs français détenus en dollar américain 8. Il faut également penser à la décision prise en 1966 par Charles De Gaulle de sortir du commandement intégré de l’OTAN 9, qui a eu pour effet de faire récupérer à la France, temporairement jusqu’à la décision de Nicolas Sarkozy prise en 2007 et validée en 2009 10, son autonomie militaire.
Toutefois, le lien entre le départ de De Gaulle et l’extension du principe de la participation a été expressément fait par l’historien Henri Guillemin. Ce dernier avait en effet publiquement clairement exprimé l’idée selon laquelle le rejet du référendum ayant abouti au départ de Charles De Gaulle était dû au fait que ce chef d’État commençait, avec son projet de participation, à inquiéter les banques 11. L’entreprise participative n’avait pas été bien acceptée par l’oligarchie française qui a toujours, en sous-main, commandé l’État.
Outre la participation aux fruits de l’entreprise, les apporteurs de travail doivent avoir un droit prioritaire de rachat de leur entreprise en cas de difficulté économique de celle-ci.
C) Droit prioritaire de rachat des apporteurs de travail en cas de difficulté économique de l’entreprise
Pour comprendre la raison profonde qui justifie l’établissement juridique d’un droit préférentiel de rachat des apporteurs de travail sur leur entreprise en cas de défaut de paiement de celle-ci, il importe de s’attarder un instant sur les raisons d’être des difficultés de l’entreprise.
Celles-ci peuvent être conjoncturelles et imparables, comme un brutal retournement de marché (lié par exemple à la découverte d’une nouvelle technologie), un adage populaire dirait «la faute à pas de chance».
Mais la déconfiture de l’entreprise peut aussi être la conséquence de mauvaises décisions de politique commerciale ou de gestion prises par le ou les dirigeants de l’entreprise. Dans ce cas de figure, le groupe des apporteurs de travail est la victime directe et immédiate de ses dirigeants, sur lesquels ils n’ont au surplus, en l’état actuel de la législation, que très peu – pour ne pas dire «pas» – de contrôle.
Dans ce contexte, les gens qui participent, par leur travail, à la réalisation de l’objet social doivent avoir en cas de difficulté de l’entreprise, un droit préférentiel, légalement réservé, de rachat de l’entreprise au prix officiel déprécié – ce prix pouvant être égal à zéro, ou au «franc symbolique – qui est le sien dans le contexte donné.
L’entreprise ainsi rachetée devient la propriété exclusive de ses apporteurs de travail, qui auront la charge effective de la faire redémarrer ou de la réanimer ; ils auront, quoiqu’il en soit, un contrôle direct sur leur outil de travail.
Conclusion
L’entreprise sous sa forme actuelle – obligeamment tournée vers la prédation économique – est un acteur essentiel du jeu de pouvoir anglo-saxon, lequel développe sa domination par le contrôle monétaire et par le libre-échange. Ce système global de domination, fortement intégré, est aujourd’hui en phase d’expansion rapide. Ce simple constat, d’évidence si l’on sait regarder au bon endroit est en réalité assez difficile à faire en raison de la profusion médiatiquement organisée d’informations plus ou moins – plutôt moins que plus – pertinentes. La remarque de Portalis lors du discours préliminaire au Code Civil de 1804 selon laquelle «Il est des temps où l’on est condamné à l’ignorance parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où il est difficile de s’instruire parce qu’on en a trop» s’avère être ici d’une particulière actualité.
Alors que la domination politique s’était jusqu’à présent faite par les armes, ces dernières ne sont devenues que l’ultime recours pour forcer la mise en place de la domination par la finance et le capital (concentration du capital). La nouvelle arme de soumission des peuples est l’entreprise, au premier titre de laquelle figure la banque. L’entreprise est à la prédation politique ce que les fonds spéculatifs – hedges funds – sont à la prédation financière : une sorte de cavalerie d’élite chargée de montrer la voie à l’infanterie ; l’infanterie étant représentée en matière financière par les investisseurs et en matière politique par les États – notamment les élus chargés de légiférer et réglementer.
En quelques siècles, les piliers juridiques de la domination sont ainsi devenus, à la faveur de l’activité des entreprises, le contrôle de la création monétaire, le libre-échange et la liberté de circulation des capitaux.
L’entreprise telle qu’actuellement conçue est au cœur du processus d’asservissement des États et des peuples ; elle est l’ennemie directe de toutes les nations du monde. Le processus méthodique, qui dessine, via l’entreprise, le chemin de l’avenir, aussi avancé soit-il, n’est pas inéluctable. Ce qui est n’a pas toujours été et n’a pas vocation à être toujours. Il faut changer le paradigme juridique de l’entreprise si l’on veut que les civilisations humaines puissent reprendre leur cours normal. Alors seulement les sociétés humaines pourront mettre en musique la préconisation d’Albert Einstein selon laquelle «il est grand temps de remplacer l’idéal du succès par celui du service».
La conception nouvelle de l’exploitant que nous proposons interdit par construction la notion de groupe de sociétés, qui est le moyen pour les propriétaires de capitaux de fonder des empires capitalistiques, lesquels permettront, à leur tour, une appropriation politique des États.
La constitution de ces groupes a généré le fait que l’entreprise ait été élevée dans l’ordre juridique au niveau de l’État 12, rabaissant de facto ce dernier à un simple rôle d’agent économique, annihilant ce faisant sa fonction politique. Inverser la tendance nécessite la suppression de la possibilité de formation de groupes de sociétés, véritables empires économiques. Si les États veulent récupérer leur légitimité politique, ils doivent nécessairement interdire les groupes de sociétés. Car, en abdiquant, au profit des groupes de sociétés le contrôle du fait économique, les États se sont eux-mêmes condamnés à terme à perdre celui du fait politique et donc leur légitimité.
D’une façon générale, s’il veut avoir une chance de reprendre le pouvoir politique qu’il a jusqu’à présent complaisamment abandonné aux seuls détenteurs du pouvoir économique – assumant dès lors de se transformer mécaniquement en porte-parole de leurs intérêts particuliers – le législateur étatique, en tant que représentant du bien commun, doit impérativement prendre le contrôle de la définition précise du concept d’entreprise.
Ainsi, la théorie juridique de l’entreprise brièvement présentée dans le présent article s’inscrit en totale opposition au conservatisme politico-économique actuel. Cette théorie aura donc nécessairement comme ennemie déclarée une bonne partie de l’oligarchie actuellement aux commandes ; elle sera en revanche une aide juridique et politique précieuse, voire même décisive, pour tout homme politique qui ambitionne de récupérer un pouvoir que les tenants du tout économique ont fait en sorte de lui retirer.
Faire échec à la prédation économique ultime requiert des hommes d’État courageux ayant la volonté et les moyens politiques d’imposer une modification et/ou une clarification juridique de quelques éléments primordiaux du concept d’entreprise. Ces modifications auront un double effet. Premièrement, elles donneront à l’entreprise le rôle d’organisation sociale qui est son rôle naturel que le droit aurait dû transcrire en règles dès le départ. Deuxièmement, elles rétabliront la notion politique d’État, qui a aujourd’hui perdu la plus grande partie de sa valeur, l’État étant – sans jeu de mot – démonétisé par le jeu mondial de l’entreprise. La théorie juridique de l’entreprise va de paire avec un retour des fonctions régaliennes de l’État.
Article précédent | Article suivant |
Notes
- Volontariat international en entreprise ↩
- Volontariat international en administration ↩
- Volontariat de solidarité internationale ; les VSI participent, au sein d’une ONG agréée, à une action de solidarité internationale, aide au développement ou urgence humanitaire ↩
- Maurice Hauriou a décrit l’institution comme étant «une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures». ↩
- Cf. https://www.youtube.com/watch?v=N_4DzvRn-Qg ↩
- A titre d’exemple, Marcel Dassault avait été moteur dans l’établissement de ce sain principe de gestion : http://www.laurent-dassault.com/la-famille-dassault-_r_5.html ↩
- Cf. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=248 ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Gaulle ↩
- Lire par exemple : http://www.les-crises.fr/de-gaulle-smi-1/ ↩
- Cf. http://www.charles-de-gaulle.org/pages/revue-espoir/articles-comptes-rendus-et-chroniques/le-7-mars-1966-de-gaulle-sort-de-l-otan-par-raphael-dargent.php ↩
- Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9int%C3%A9gration_de_la_France_dans_le_commandement_int%C3%A9gr%C3%A9_de_l%27OTAN ↩
- Cf. https://www.youtube.com/watch?v=0vRRFxIxSW0 ↩
- Voir notre article Géopolitique du libre-échange ↩
Ping : Revue de presse internat. | Pearltrees
Ping : Décryptage du système économique global [6/7] : Géopolitique de l’entreprise capitalistique – 2/2 (le saker francophone) – Éloge de la raison dure
Ping : Vers où va-t-on ?:Jouons à la balle ! | actualitserlande
Ping : Géopolitique du concept de propriété privée – 2/2 | Arrêt sur Info
Ping : Heurs et malheurs du concept de propriété privée – Site officiel de Valérie Bugault
Ping : Décryptage du système économique global [6/7] : Géopolitique de l’entreprise capitalistique – 2/2 – Site officiel de Valérie Bugault
Ping : Décryptage du système économique global [6/7] : Géopolitique de l’entreprise capitalistique – 1/2 – Site officiel de Valérie Bugault
Ping : Décryptage du système économique global [7/7] : Géopolitique du concept de propriété privée – 2/2 – Site officiel de Valérie Bugault
Ping : De nouvelles institutions pour un nouveau départ, pour renouer avec le concept de civilisation 3/4 – Site officiel de Valérie Bugault
Ping : Décryptage du système économique global [6/7] : Géopolitique de l’entreprise capitalistique – 2/2 - Valérie Bugault
Ping : Décryptage du système économique global [6/7] : Géopolitique de l’entreprise capitalistique – 1/2 - Valérie Bugault