Par Dmitry Orlov – Le 8 juin 2020 – Source Club Orlov
Ceux qui observent les protestations et les pillages qui ont eu lieu aux États-Unis et dans les pays à leur botte depuis une semaine environ ont été frustrés dans leurs efforts pour en trouver une justification convaincante. La quête de justice stimulée par la mort particulièrement pittoresque par crise cardiaque d’un certain criminel violent et aussi trafiquant de drogue après avoir été étouffé par un policier en est certainement une, mais elle ne motive pas la violence ou le pillage qui s’en est suivi. La théorie selon laquelle les Démocrates et l’État profond fomentent des troubles afin d’empêcher Trump de remporter un second mandat est sympathique, mais ce qui manque, c’est une explication convaincante de la raison pour laquelle un pays économiquement dévasté serait plus enclin à voter pour le vieux et sénile Biden que pour un Trump drôlement aléatoire mais implacablement franc, qui a demandé le rétablissement de l’ordre public par tous les moyens nécessaires, y compris l’introduction de patrouilles militaires de type occupation irakienne, mais qui a été contrecarré par les gouverneurs Démocrates libéraux, les membres du Congrès et même le Pentagone. Au moment des élections, de nombreuses personnes seraient peut-être prêtes à admettre que le rétablissement de l’ordre public par tous les moyens nécessaires est justement ce pour quoi il faut voter.
Comme pour l’hystérie autour du coronavirus, où pratiquement toutes les nations développées et semi-développées ont imposé des restrictions arbitraires aux voyages, des fermetures d’entreprises ruineuses, diverses quarantaines futiles et des mascarades publiques sur le thème de la sécurité en réponse à un nouveau virus respiratoire qui est moins mortel que certaines grippes saisonnières récentes et qui est sélectif en ne tuant que les personnes très âgées ou très malades, qui de toute façon devaient bientôt mourir, les raisons de ces actions étaient dans chaque cas très différentes de celles qui ont été publiquement déclarées. Plus précisément, le raisonnement selon lequel les fermetures et les confinements sauveraient des vies est creux, compte tenu du nombre de vies perdues à cause de la ruine des moyens de subsistance, des diverses pathologies causées ou exacerbées par les confinements et de l’isolement social et de la perte d’accès aux soins médicaux réguliers alors que les hôpitaux se démenaient pour lutter contre la nouvelle menace fantôme.
Les mesures prises par les différents pays peuvent être justifiées par des arguments plus convaincants. Comme je l’avais expliqué récemment, la Chine, puis la Russie ont saisi l’occasion de cette crise pour se mobiliser contre une attaque bioterroriste américaine (tous ces laboratoires de guerre biologique que le Pentagone a construits sur toute la planète ne pouvaient pas ne servir à rien du tout), rendant ainsi une telle attaque moins susceptible d’être efficace contre leurs propres populations et plus susceptible de revenir comme un boomerang sur les Américains eux-mêmes. Aux États-Unis, les mesures extrêmes, économiquement destructrices, pourraient être rationalisées comme des tentatives partisanes de détrôner Trump en le faisant apparaître comme indécis et incapable de faire face à une menace terrible. On pourrait dire que d’autres dirigeants nationaux indécis et sans défense ont suivi docilement les conseils de l’Organisation mondiale de la santé, qui appartient principalement au magnat du vaccin Bill Gates, anciennement PDG de Microsoft, qui était très intéressé par le fait de confiner la planète entière et de faire en sorte que tout le monde achète un vaccin coûteux et inutile contre un virus qui se trouve être un inoculant raisonnablement sûr et efficace contre lui-même. Ce plan ne semble pas fonctionner. Il y a quelques jours, en regardant le journal télévisé du soir sur la chaîne russe Channel 1, j’ai été surpris de voir un clip de 10 secondes de Bill Gates, découpé à partir de rien, dans lequel il semblait podcaster depuis son repaire à bord du vaisseau spatial Micromerdier alors qu’il s’envolait vers Andromède, et au cours duquel il s’est mis à briller et à clamer que son nouveau vaccin (inexistant) contre les coronavirus devrait bien sûr être mis à la disposition de tous.
Mais quelle est la seule explication à toutes ces différentes réactions ? Je crois que l’hystérie autour du coronavirus est une réaction de crise déclenchée par la technosphère, que je définis comme une intelligence émergente mondiale semblable à une machine, composée de pièces humaines involontaires en mouvement, qui poursuit sans réfléchir une téléologie abstraite de contrôle total. Dans ce cas, elle est forcée de faire face à la disparition imminente de l’industrie de la fracturation aux États-Unis, à la pénurie d’énergie mondiale qui en résulte et à la fin définitive de la croissance économique mondiale qui, à son tour, est nécessaire pour que le capitalisme mondial puisse fonctionner. En réponse, il a tenté de sauver ce qu’il pouvait de l’économie mondiale en la divisant en zones technologiques distinctes, dont certaines pourraient alors être coupées des flux d’énergie et laissées là à dépérir. En désespoir de cause, il s’est accroché à la peur du coronavirus pour verrouiller les frontières nationales, perturber les chaînes d’approvisionnement et forcer les nations et les groupes de nations à s’isoler les uns des autres et en leur sein.
Et quelle est la seule explication aux protestations, émeutes et pillages qui ont lieu actuellement aux États-Unis ? Je pense pouvoir en donner une ici aussi. Le plus surprenant, c’est qu’il s’agit avant tout d’une question de genre théâtral.
Il est généralement admis que les événements que nous observons sont sans précédent ; on peut donc dire sans risque de se tromper que nous voyons l’histoire se dérouler sous nos yeux. Et bien que certains puissent prétendre que l’histoire est un recueil de théories scientifiques avec des arguments et des faits à l’appui, la façon dont l’histoire fonctionne dans l’esprit collectif des nations est comme un récit – une histoire. Les histoires sont la façon dont nous avons évolué pour percevoir la réalité. Bien qu’elles ne soient pas exactement réelles en elles-mêmes, elles fonctionnent comme un voile magique à travers lequel nous pouvons, même si c’est de façon très atténuée, percevoir la réalité. Percez ce voile, et les contours de la réalité se dissolvent dans un enchevêtrement de formes sans rapport entre elles que nous ne pouvons plus assembler en un tout significatif. Une règle de base à suivre est que la réalité doit être consensuelle – elle ne peut pas être un produit solipsiste de l’imagination individuelle, car c’est là que résident l’illusion et la folie – et pour former ce consensus, l’acte de raconter une histoire doit être un acte public. En retour, ces actes publics doivent suivre des genres qui restent fixés pendant des siècles et parfois, comme dans le cas de la comédie et de la tragédie grecques classiques, pendant des millénaires. De tels formalismes durables sont à notre constitution culturelle ce que l’ADN est à notre moi physique.
La séparation des genres en comédie et en tragédie est rendue nécessaire par le fait qu’il est impossible de faire rire et pleurer le public en même temps sans qu’il devienne hystérique, mais la distinction est parfois assez superficielle. Par exemple, le Roméo et Juliette de Shakespeare est presque une comédie s’il n’y avait pas une certaine séquence d’erreurs tragiques à la fin. Sans ces erreurs, il s’agirait d’une comédie, se terminant par une scène de mariage qui devrait comprendre une gigue obligatoire – un court numéro de danse. On trouve également des ballets finaux similaires dans la tragédie grecque classique, où le chœur prend des poses dramatiques et chante quelques remarques de conclusion.
Quel genre utiliserons-nous pour rendre compte de l’histoire contemporaine au public ? Une citation célèbre de Karl Marx est que « l’histoire se répète, d’abord comme une tragédie, ensuite comme une farce », où la farce est un sous-type de comédie, mais je dirais que l’histoire ne se répète pas ; au contraire, elle passe de la tragédie à la farce et se termine par la gigue obligatoire. L’histoire dont nous observons la fin est l’histoire de l’impérialisme colonialiste occidental et de son dernier bastion, les États-Unis. Elle a commencé comme une tragédie, avec une longue succession de robustes hommes blancs portant d’abord des casques de peau et ensuite des uniformes de police, agenouillés sur le cou de divers indigènes malheureux dans le but de les civiliser. Elle s’est finalement transformée en une comédie d’erreurs (un genre qui, soit dit en passant, a pris forme à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle, au moment où l’impérialisme colonialiste occidental commençait à s’épanouir). Les erreurs ont été nombreuses et variées, mais la principale consiste à supposer qu’il est toujours possible d’obtenir ce que l’on veut en jouant des tours avec des morceaux de papier et des chiffres à l’intérieur des ordinateurs. Et maintenant, la comédie des erreurs (que je décris en détail depuis plus d’une décennie) a dégénéré en farce, avec des robustes hommes blancs en uniforme de police (les casques à visière étant tombés en désuétude entre-temps) qui s’agenouillent plus bas que terre avant d’affronter des foules d’indigènes méprisants qui se livrent ensuite à des pillages.
Le récit central des États-Unis, à savoir qu’ils sont une ville brillante sur la colline et un phare de la liberté et de la démocratie, est maintenant un objet de ridicule criard. La ville sur la colline a été pillée et ne brille plus autant. « La liberté et la justice pour tous » ont dégénéré en une société totalitaire de castes fermées, où la tolérance envers les gens est si peu commune qu’il est peu probable que vous les tolériez en l’absence de toute menace de violence. La tolérance inconditionnelle à l’égard de toute forme de perversion sexuelle sert de test décisif. Ce gouffre béant entre la façon dont les gens agissent et ce qu’ils ressentent réellement est comblé par une vaste hypocrisie obligatoire qui peut très facilement s’effondrer. Quelle personne saine d’esprit considérerait aujourd’hui les États-Unis comme quelque chose à respecter et à imiter ? Des manifestations et des réjouissances publiques ont lieu actuellement dans de nombreux pays qui ont jusqu’à présent navigué dans le sillage des États-Unis. Ils doivent maintenant découpler leurs récits historiques de celui des États-Unis, qui est totalement discrédité.
Quel genre de numéro de danse devons-nous nous attendre à voir à la fin de cette tragique farce historique ? Les danseurs de hula hawaïens dansent avec des lei (guirlandes de fleurs). Les danseurs de flamenco dansent avec des castagnettes. Les Saoudiens dansent avec des épées. Et le numéro de danse final pour les Américains doit forcément inclure… quoi, des armes à feu, bien sûr ! Comme les armes à feu sont omniprésentes aux États-Unis et qu’elles sont le fétiche national des Américains, ceux-ci choisiront sûrement de conclure leur récit historique en entrant dans la gigue finale avec tous leurs fusils mitraillant en tout sens. Que le dernier homme encore debout baisse le rideau.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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