Par James Howard Kunstler – Le 3 février 2020 – Source kunstler.com
Tout d’un coup, les événements semblent un peu flous, comme si le monde tremblait sous l’effet de changements effrayants, comme un monstre qui attend de naître, avec d’étranges convergences entre l’écologie, la politique et l’économie, et il n’y a pas grand-chose à faire pour se préparer, vraiment. Un sentiment d’urgence flotte dans l’air !
Les chevaux sont sortis de l’étable avec le Coronavirus du Wuhan. Les voyages aériens ont été réduits trop tard dans la partie – et encore seulement partiellement – avec des porteurs humains asymptomatiques mais infectieux qui s’envolent vers tous les coins du monde et qui contaminent probablement les aéroports tout au long du trajet. Il y a beaucoup de réflexion et de contre-réflexion sur ce qui se passe exactement dans les coulisses en Chine. Le parti au pouvoir s’est mis à l’épreuve lui-même en voulant démontrant son sérieux dans la crise, en réalisant de grands exploits comme la construction d’un hôpital de 1000 lits en dix jours, en mettant fin aux festivités du nouvel an lunaire (équivalent à l’annulation de Noël ici) et en mettant cent millions de citoyens en quarantaine. Plutôt impressionnant.
Mais il existe aussi une théorie selon laquelle le coronavirus permettrait de couvrir les défaillances en cascade du système bancaire chinois, corrompu et sournois. Le pays avait déjà franchi certaines frontières en matière de démographie, de consommation d’énergie et de croissance industrielle qui le poussaient vers une contraction, pour la première fois depuis deux générations. Le coronavirus a entraîné l’arrêt de la production de grandes choses comme les voitures et de petites choses comme les téléphones portables, et les lignes d’approvisionnement des marchés mondiaux se ferment. Cela constitue le premier grand test de l’économie mondiale intégrée, ainsi que du modèle économique mondial saturé par la dette.
Lorsque de nombreuses parties et contreparties ne peuvent pas se payer les unes les autres parce que leurs flux de revenus sont coupés, les titres, les devises, les actions et autres représentations abstraites de la richesse s’évaporent. Les États-Unis et l’Europe ne sont pas mieux placés pour faire face à une crise de leur système bancaire, et la confiance commence à se fissurer. Ces deux méga-régions économiques se sont appuyées sur la magie des banques centrales pour soutenir les marchés boursiers et maintenir l’illusion que la logique des obligations s’applique toujours. La première chose à suivre dans un système financier en contraction est la magie des intérêts composés.
Depuis septembre, la Réserve fédérale américaine joue massivement sur les marchés REPO – des prêts au jour le jour qui utilisent les obligations comme garantie -, ce qui a éveillé les soupçons que plus d’une de ses « grosses » banques est insolvable. Leur donner des « liquidités », c’est comme peindre sur de la roche infestée de moisissure noire. Ça a l’air bon pendant une semaine environ, et puis vous êtes en soins intensifs. Personne ne sait encore ce que l’évasion de la Grande-Bretagne de l’Union européenne aura comme effet sur les survivants de l’Union, mais les dispositions de l’Europe en matière de dette obligataire sont encore plus douteuses que celles des États-Unis, car il n’y a absolument aucun contrôle central de l’UE sur les affaires financières de chaque membre. Quoi qu’il en soit, la méta-tendance actuelle est à la décentralisation de la gouvernance, qui passe d’une gouvernance centralisée à une gouvernance locale et plus restreinte, de sorte que la vraie question est de savoir combien de désordre et de dommages ces nations vont endurer dans ce contexte. Cette tendance se manifeste de manière très nette en France depuis un an, avec les manifestations des gilets jaunes.
Ici, aux États-Unis, les répercussions des crises convergentes commencent à ressembler à un grand-huit en quatre dimensions. Les marchés du pétrole frappent la barre des 51 dollars à la baisse, ce qui rendra plus difficile pour les producteurs de pétrole de schiste de rembourser leurs dettes onéreuses (dans une industrie qui ne fait tout simplement pas de profit). La baisse du prix de l’essence peut sembler être une aubaine pour les automobilistes américains, mais elle se fait au détriment d’un plus grand nombre de compagnies pétrolières en faillite et au détriment des prêteurs, comme les fonds de pension qui ont investi dans le schiste à la recherche désespérée de « rendement ». Le schiste n’a jamais été un modèle commercial rationnel malgré sa fabuleuse montée en puissance en très peu de temps. Ne soyez pas surpris si l’on tente de le nationaliser, ce qui entraînera de nouveaux problèmes d’allocation de capitaux et une incompétence pure et simple dans un monde où la planification centrale de quoi que ce soit est de plus en plus un mauvais pari.
Les crises multiples imminentes et convergentes sont également à l’origine du désordre flagrant de la politique américaine, bien que les liens ne soient pas aussi visibles. Le président Trump s’est sottement attribué le mérite de la hausse des marchés financiers qu’il avait correctement décrits comme étant « une grosse, grasse et laide bulle », à l’époque fébrile des dernières élections. Aujourd’hui, elle menace de s’écraser sur ses pompes. Ce piège est certainement plus dangereux pour ses chances de réélection que les efforts frénétiques de pantins comme Adam Schiff qui dirige les embuscades de Wile E. Coyote dans le marais de Washington DC. Trump a passé trois ans à travailler, à s’amuser et à bluffer sur des accords commerciaux mondiaux qui s’effondrent soudainement. Personne ne sait dans quelle mesure cela sera un effet temporaire du Coronavirus. Ou peut-être s’agit-il d’un point d’inflexion dans le fonctionnement de notre écosystème humain trop complexe.
Ces dilemmes changeants placent le parti Démocrate entre le marteau et l’enclume. Tous leurs stratagèmes de mauvaise foi contre M. Trump ont échoué jusqu’à présent. Je parle tous les jours à des personnes soi-disant instruites sur lesquelles l’échec de l’enquête Mueller, le fiasco de la mise en accusation et les révélations du procureur Michael Horowitz n’ont fait aucune impression. Pour eux, le Golem d’or de la grandeur est toujours la marionnette de Poutine. C’est une des merveilles de l’âge qu’ils ne puissent pas prendre leurs pertes [accepter d’avoir été trompés, NdT]. Et maintenant, Bernie Sanders semble soudain prêt à gagner le caucus de l’Iowa et à enflammer les factions pas tout à fait socialistes du parti, qui semblent lui tendre des pièges à la Wile E. Coyote. Si cela fonctionne, cela fera éclater le parti, à la manière de 1860, en factions-croupions. Mais si Bernie persévère et obtient l’investiture… et que les marchés financiers Potemkine coulent… et que le Coronavirus s’avère être un très gros problème perturbant le commerce mondial… alors, l’Amérique pourrait avoir son premier président socialiste zélé.
Oui, l’histoire se répète et rime et tout ça, mais je ne vois pas Bernie reproduire les triomphes de Franklin D. Roosevelt dans une Grande Dépression 2.0. Au contraire, en essayant de superposer des politiques de commandement et de contrôle à un esprit du temps qui veut nous faire devenir plus petits et plus locaux, Bernie Sanders ne fera que contrecarrer la réalité. L’effet net de la présence de Bernie Sanders à la Maison Blanche sera d’achever l’économie… imaginez alors où cela nous mènera.
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé pour le Saker Francophone