Contre État Islamique. Contre l’État profond US. La Russie et la France en fer de lance.


Par Dr Bruno Paul – Le 22 novembre 2015 – Source conscience-sociale

Il a fallu les plus terribles attentats au cœur de Paris depuis la Libération pour que la plus grande part des Français se secouent enfin de leur torpeur et demandent avec colère qu’il soit mis un terme à l’existence du groupe État Islamique [1]. Les politiciens s’en sont immédiatement rendu compte puisque la campagne des régionales est gelée [2] tant que la cérémonie aux Invalides n’aura pas eu lieu [3].

Il faut reconnaître que l’évolution politique de Hollande a lentement distendu les attaches atlantistes profondément nouées par l’administration Sarkozy. Alors que le gouvernail atlantiste de la France [4] a été prépondérant jusqu’à la fin 2014, un courant opposé que l’on peut appeler la politique de l’Est s’est amorcé très discrètement depuis 2013. En effet on peut recenser :

  • l’intervention de la France contre les groupes armés islamistes au Mali début 2013 avec le soutien de la Russie [5] – laquelle vient d’être d’ailleurs tout récemment frappée sur ce sol avec la Chine [6] ;
  • le rôle en coulisses de la France dans la résolution du conflit en Ukraine, dans le format Normandie, qui tranche avec la posture de la Pologne par exemple ;
  • la longue négociation très diplomatique avec la Russie sur la vente des Mistrals qui ont été cédés à l’Égypte, un pays récemment retourné à son alliance traditionnelle avec la Russie ;
  • la participation de la France à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, en rupture avec sa position quelques mois plus tôt concernant les frappes contre Assad [7].

Si la politique étrangère idéale à laquelle nous appelions [8] n’a pas été choisie, les derniers attentats ont démontré que ce n’était pas pour protéger les Français.

Néanmoins, il est indubitable que les attentats de janvier et de novembre – ce dernier avec trois kamikazes qui terminent leur trajectoire mortelle à moins de 200 mètres de Hollande au Stade de France – ont un effet d’accélération qui aide la France à recomposer rapidement ses alliances [13, 13b]. On notera par exemple l’activation de l’article 42.7 du traité de Lisbonne [14] à la place de l’article 5 du traité de l’Otan qui aurait placé la riposte française sous le contrôle de fait des États-Unis, et en coordination inévitable avec la Turquie. Par ce geste, même si certains pourraient le juger modeste, la France a rendu concrète l’Europe de la Défense pour la toute première fois de l’histoire de ce continent. C’est le nouveau départ de l’esprit de souveraineté européenne avec la France en fer de lance qui rejoint la Russie [15].

La réalité historique [9, 10] renvoie au néant l’illusion grotesque au cœur de toute la politique visible de l’État profond une fois ce dernier parvenu au pouvoir [11], illusion que décrivait Suskind dès 2004 :

[Karl Rove] a dit que les gars comme moi vivaient «dans ce que nous appelons la communauté basée sur la réalité des faits», qu’il définit comme des gens qui «croient que les solutions émergent d’une étude judicieuse de la réalité perceptible». J’ai hoché la tête et murmuré quelque chose à propos des principes des Lumières et de l’empirisme. Il m’a interrompu. «Ce n’est plus vraiment comme ça que le monde fonctionne aujourd’hui», a-t-il poursuivi. «Nous sommes un empire maintenant, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité – judicieusement, comme vous savez le faire – nous allons agir à nouveau, et créer d’autres réalités nouvelles, que vous pourrez étudier aussi, et voilà comment les choses vont se passer. Nous sommes les acteurs de l’histoire… Et vous, vous tous, devrez vous contenter d’étudier ce que nous faisons.»[12]

Avez-vous remarqué combien nombre de commentateurs de l’instant ont déjà du mal à se rappeler que le groupe État islamique était il y a si peu appelé Al-Qaïda en Iraq ? Ont-ils oublié que la nébuleuse Al-Qaïda était une création toujours entretenue par la CIA [16]? Que la CIA a développé AQI [16b] pour mener une guerre par procuration afin d’anéantir l’État syrien [17, 18] ? Que la CIA est le bras armé originel de l’État profond américain et l’un des deux vecteurs – avec la haute finance [19] – de sa transformation en État transnational invisible ? Le développement du concept d’État profond en sciences politiques est tel qu’il rend obsolète, ou à tout le moins incomplète, toute analyse politique ou de relations internationales qui en ferait fi.

La définition la plus limpide de l’État profond américain a été donnée par Daniel Inouye qui a présidé un comité spécial (Senate Select Committee on Secret Military Assistance to Iran and the Nicaraguan Opposition) de 1987 à 1989 dans le cadre de l’enquête parlementaire sur l’affaire Iran-Contra des années 1980. Lors des débats, Inouye a déclaré en 1987, en parlant des opérations qui avaient été révélées :

«[Il existe dans ce pays] un gouvernement d’ombre avec sa propre armée de l’air, sa propre marine, son propre mécanisme de collecte de fonds, et la capacité de poursuivre ses propres idées de l’intérêt national, libre de tous les contrôles et de contrepoids, et libéré de la la loi elle-même.» [22b]

On comprend que l’État profond américain a fait tache d’huile (oil=pétrole) en assurant l’essor du groupe État islamique de Syrie et d’Irak.

Ce que veulent dire tous les politiciens qui attaquent État islamique, c’est qu’ils attaquent l’État profond américain et ses ramifications internationales. C’est de manière immédiate une offensive pour détruire la logistique et le matériel létal – la guerre contre État islamique – mais ce sont les circuits collectant et recyclant les milliards du budget de ce dernier qui sont également visés partout dans le monde [20, 21, 22].
Se dresser contre État islamique, c’est se dresser contre toutes les ramifications des l’État profond américain. La Russie et la France sont désormais engagées en fer de lance, promesse d’une nouvelle alliance continentale [23]. L’affaiblissement ainsi causé à cet ennemi des peuples [les USA] à l’extérieur des frontières américaines va alors inévitablement se traduire par une libération des forces démocratiques à l’intérieur de ses frontières[24].

Bruno Paul

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