Par Le Saker Original – 18 février 2015 – Source vineyardsaker
PREMIÈRE PARTIE – INTRODUCTION ET DÉFINITIONS.
SECONDE PARTIE – LE CHRISTIANISME ORTHODOXE
Nous avons vu dans les deux premiers chapitres de cette série sur la Russie et l’Islam les raisons pour lesquelles ni le modèle civilisationnel européen ni la foi orthodoxe traditionnelle ne peuvent, à l’heure qu’il est, fournir une source viable et positive d’inspiration idéologique ou spirituelle à la Russie post-soviétique. Bien qu’au cours des trois cent dernières années le modèle philosophique et politique idéologiquement dominant ait été l’occidentalisme, les désastres épouvantables ayant fatalement résulté de l’accession au pouvoir de libéraux en Russie (Kerensky, Eltsine), en plus des trahisons de toutes les promesses de l’occident (l’OTAN ne s’étendra pas vers l’Est) ont eu comme résultat l’effondrement de ce modèle. La grande majorité des Russes aujourd’hui serait d’accord avec les idées de base exposées ci-dessous.
RUSSIE ET islam: La russie actuelle
1. L’Occident n’est pas un ami de la Russie, ne l’a jamais été, ne le sera jamais, et la seule manière de traiter avec lui est d’être en position de force.
2. La Russie a besoin d’un gouvernement fort, mené par un chef fort.
3. Les libéraux russes (dans le sens russe moderne du mot) représentent un petit groupe dégénéré d’idolâtres des États-Unis haïssant la Russie. La Russie doit être un État social, et le modèle capitaliste pur est à la fois moralement répréhensible et fondamentalement non viable, comme le démontre la crise financière actuelle.
4. Le système démocratique est une escroquerie utilisée par les riches pour servir leurs intérêts personnels.
Jusque là tout va bien. Mais quelle est l’alternative ?
Historiquement, il existait un modèle traditionnel selon lequel il était nécessaire pour la Russie d’être un pays chrétien orthodoxe, où le pouvoir séculaire au plus haut niveau devait être entre les mains d’un Tsar dont l’autorité pouvait être contrôlée par une Église puissante et autonome, et où la volonté populaire pouvait s’exprimer dans une Zemskii Sobor, un Conseil du Territoire. Quelque chose comme un Parlement ayant une fonction principalement consultative. Cette idée a été développée par des philosophes et des écrivains tels que Khomiakov, Tikhomirov, Rozanov, Solonevitch, Iliin, Soljenitsyne, Ogurtsov et bien d’autres.
Je dirais, avec beaucoup de mises en garde et de clauses de non-responsabilité, que ce serait la version orthodoxe russe du type de régime que nous voyons aujourd’hui en République islamique d’Iran. Non pas une théocratie, bien sûr, mais un régime dans lequel la structure fondamentale, la nature, la fonction et le but de l’État ont pour objectif de maintenir des valeurs spirituelles. Un régime avec une composante démocratique forte, mais dans lequel la volonté populaire peut, lorsque c’est nécessaire, être empêchée par les plus hautes autorités spirituelles. Je nommerais ce système démocratie dirigée, dans laquelle les décisions tactiques sont du ressort de la majorité populaire, mais dont la direction stratégique est établie par une autre volonté qui ne peut être supplantée.
La grande différence entre la Russie et l’Iran est l’adhésion sans arrière-pensée de la grande majorité de la population iranienne au modèle islamique. En contraste, même les plus chrétiens orthodoxes des Russes auraient de grandes réserves devant une tentative d’instaurer une sorte de République orthodoxe. Il est difficile de donner un chiffre convaincant, mais si je me base sur mon intuition personnelle, je ne crois pas que plus de 10% des Russes seraient d’accord avec une telle proposition. En d’autres termes, 90% des gens seraient opposés à l’idée d’établir une République orthodoxe.
Personnellement, je déplore cet état de fait, car je crois que ce serait le meilleur modèle pour la Russie. Mais la politique étant la science du possible, se fixer avec entêtement sur une impossibilité n’aurait aucun sens.
Alors quoi ? Quelles sont les autres options ?
L’éventail actuel des partis politiques est à la fois révélateur des courants principaux de la société, et en même temps assez trompeur. Jetons un coup d’œil à ces partis :
1. Russie unie, le parti de Poutine. Je le décrirais comme étant modérément patriote (mais pas nationaliste), absolument dédié à une Russie forte, sociale en termes économiques, indépendante en termes de relations internationales.
2. Parti libéral démocrate de Russie, dirigé par Vladimir Jirinovski, farouchement anti-communiste et anti-soviétique, nationaliste jusqu’à la caricature, également social sur le plan économique, tout à fait cinglé en matière de relations internationales.
3. Parti communiste de Russie. Dirigé par Gennadi Ziouganov, c’est un parti pathétiquement réactionnaire se réclamant ouvertement de la succession du PCUS, mené par un politicien du type dinosaure, qui a bien sa place aux côtés de Brejnev ou de Tchernenko. Il n’a aucune vision politique en dehors de la nostalgie de l’URSS.
4. Russie juste, mené par Sergei Mironov, ancien parachutiste transformé en social-démocrate, c’est une version modérément centre-gauche de Russie unie, un parti sympa qui ne fera jamais la différence.
5. Tous les partis pro-US qui n’ont aucun député à la Douma, et dont les protestations et manifestations ont très vite fait long feu.
Quel est le sens de tout cela en réalité ?
Il n’y a qu’un parti en Russie – le parti Russie unie de Poutine et Medvedev. Le parti des libéraux-démocrates comme le parti socialiste ne servent qu’à fournir une soupape de sécurité aux insatisfaits. Bien que ces partis concentrent effectivement bon nombre des opposants à Poutine et à Russie unie, à la Douma ils finissent toujours par voter dans le sens du Kremlin. C’est aussi généralement le cas en ce qui concerne Russie juste, qui est de toutes façons si insignifiant qu’il n’a pas vraiment d’influence. Une autre fonction utile des libéraux-démocrates et des communistes est qu’ils gardent les cinglés loin du Kremlin. Les nationalistes hystériques et les nostalgiques du communisme sont absorbés par ces deux partis, ce qui les neutralise.
Je crois qu’il est important de souligner ici qu’il existe des nationalistes brillants, cultivés et éloquents qui ne sont PAS membres du parti libéral-démocrate ou du parti communiste de Russie. Je pense à des nationalistes tels que Dimitri Rogozine (qui est actuellement vice-premier ministre chargé de l’industrie de la défense et de l’industrie spatiale) ou à des staliniens comme Starikov (dirigeant de l’Union des citoyens de Russie). En toute franchise, les gens intelligents restent plutôt à l’écart de ces partis.
En réalité, il n’y a qu’une équipe en piste : Russie unie et son groupe Front populaire panrusse créé par Poutine, mouvement politique qui a pour vocation de générer des idées nouvelles. Tout le reste ne sert qu’à donner au système une apparence démocrate et légitime.
Résumons nous.
La Russie est un pays multi-ethnique, qui n’a actuellement ni idéologie de groupe ni spiritualité unificatrice, dirigé par une équipe de personnes dont la vision peut se résumer à un mélange de pragmatisme, patriotisme, socialisme moderne, et multilatéralisme dans les relation internationales. Et ce qui est plus important :
La Russie moderne n’est ni la Russie impériale d’avant 1917, ni l’Union soviétique, et donc tenter de comprendre la nature de la relation entre Russie et islam aujourd’hui en recherchant dans le passé des similitudes avec la situation actuelle serait une profonde erreur.
C’est la grande illusion à laquelle succombe la vaste majorité des observateurs occidentaux : rechercher les similitudes entre les événements passés et le présent. Bien qu’il soit exact que la compréhension du passé est souvent la clé pour appréhender le présent, ce n’est pas, en ce qui concerne la Russie et l’islam, une démarche appropriée. Par exemple, comparer les guerres de Tchétchénie sous Eltsine, puis sous Poutine, à la façon dont Staline a traité les Tchétchènes, ou à l’invasion du Caucase par la Russie sous le règne d’Alexandre I, ne peut qu’induire en erreur, suggérer des similitudes inappropriées et amener à des conclusions totalement fausses.
La Russie moderne n’a pas d’image claire de sa propre identité. De ce fait, elle est incapable de définir une opinion consensuelle en ce qui concerne la place de l’islam dans la Russie.
Certains Russes voient dans l’islam un ennemi extrêmement dangereux, pour d’autres c’est un allié naturel. Tout ceci est rendu encore plus complexe par le fait que l’islam lui-même est loin d’être un phénomène unifié, ce qui fait que chaque fois que nous pensons islam, nous devrions préciser à quel type d’islam nous faisons référence, et même de quel aspect de l’islam il est question.
Pour la Russie, l’islam représente un ensemble de risques et d’opportunités sous bien des aspects, que ce soit sur le plan spirituel, politique, social, économique, historique et géostratégique. Pour bien comprendre le sujet Russie et islam, il est nécessaire de l’aborder sous absolument chacun de ces aspects, et nous observerons alors qu’il existe différents courants en Russie qui sont en grand désaccord sur le fait de savoir si l’islam est un risque ou une opportunité sur chacun de ces plans. C’est pourquoi, au lieu de parler de risques et opportunités, j’exposerai les défis que l’islam représente pour la Russie sur les plans spirituel, politique, social, économique, historique et géostratégique. Ce sera le sujet du prochain chapitre.
The Saker
A suivre…QUATRIÈME PARTIE – LA RUSSIE ACTUELLE
Traduit par Abdelnour, relu par jj et par Diane pour le Saker Francophone