Comment l’État profond entrave Trump


« Les acteurs de l’État profond des États-Unis ont entravé l’action du président Trump sur les sanctions russes et sur d’autres sujets de politiques étrangère et économique, mais cela ne signifie pas que la lutte est terminée » écrit l’ex-diplomate britannique Alastair Crooke.


Par Alestair Crooke – Le 26 août 2017 – Source consortiumnews

Le président Trump s’est retrouvé pieds et poings liés dans sa politique étrangère suite à la loi sur les sanctions contre la Russie et l’Iran. Il a été réduit à l’«impuissance» dans sa politique de détente avec la Russie – tel Gulliver – méchamment, par son propre parti, allié avec les démocrates, pour vider de leur substance les prérogatives constitutionnelles de Trump en politique étrangère – et les transmettre au Congrès.

Le président Donald Trump annonce la nomination du général H.R. McMaster comme nouveau conseiller de sécurité nationale le 20 février 2017. Image de Whitehouse.gov

Et, autre humiliation, Trump a été laminé par ses surveillants militaires, les généraux James Mattis, HR McMaster et John Kelly, sur sa politique afghane : il a abandonné le contrôle civil de l’expédition militaire en Afghanistan à McMaster et Mattis – le premier étant l’auteur présumé de la nouvelle politique afghane. Le président a également été laminé sur ses prérogatives militaires à l’étranger – en tant que commandant en chef – par son triumvirat de surveillants militaires à la Maison-Blanche. La direction civile a laissé la place aux militaires.

La question est de savoir si ces concessions humiliantes apaiseront suffisamment ses adversaires pour permettre au président de vivre avec, bien que handicapé, ou est-ce juste le hors-d’œuvre ? Il semble que l’entrée du menu est peut-être planifiée pour discréditer totalement la base électorale de Trump – les républicains ordinaires étant arrimés au Titanic Trump – et la couler avec son capitaine en tant que ramassis de suprématistes blancs, bigots et nazis.

Le professeur Walter Russell Mead – et il doit le savoir – nous dit que « les plus hauts fonctionnaires du président Trump restent engagés, d’une manière ou d’une autre, à défendre l’ordre mondial que les États-Unis ont construit depuis l’époque Truman. Cela comprend le secrétaire d’État Rex Tillerson, Mattis, Kelly et McMaster. Ces hommes ont du mépris pour la distanciation et la retraite de l’administration Obama. (…) Ils veulent mettre à l’épreuve les ambitions des rivaux de l’Amérique, tout en rétablissant les bases, à la fois militaires et économiques, de la puissance mondiale américaine ».

Ok, c’est clair : ils veulent penser l’Amérique comme gendarme du monde. Ils ont essayé depuis un certain temps maintenant, mais n’ont pas encore réussi à s’en emparer [de l’hégémonie mondiale]. Avec tout son allant et ses richesses, leur proie reste insaisissable, et son caractère fuyant semble frustrer et mettre leur ego encore plus en colère de sorte que tout ce qui ne peut pas être « obtenu » doit être pillé.

Qu’est-ce-qui importe dans le nouveau plan afghan ? Presque personne – en dehors des élites des États-Unis – ne croit que cela fera autre chose que prolonger une guerre illimitée ou, pire, pousser le Pakistan et l’Inde vers une confrontation. Pourtant, la poursuite du pillage et de la ruine de l’Afghanistan doit se poursuivre, pour le mythe de cette Amérique – celle des plus hauts fonctionnaires de Trump – toujours victorieuse, si seulement elle le veut vraiment avec persistance. La défaite est devenue une hérésie.

C’est une histoire bien connue d’ego surdimensionné. Mais le goût du pouvoir et le désir de saisir quelque chose d’inaccessible sont tellement prégnants que les élites américaines désirent à la fois écraser le Trump exaspérant et ses déplorables – pour les envoyer dans un précipice sans fond – tout en affaiblissant tout rival extérieur qui pourrait entraver leur désir de voir l’Amérique dominer l’ordre mondial.

Un État profond frénétique

Il semble que l’État profond américain soit tellement obsédé par cette façon de voir que ses composantes ne peuvent plus voir les choses sainement : ils sont prêts à risquer la destruction non seulement des récalcitrants à l’étranger, mais de l’Amérique elle-même. Et la façon dont ils cherchent à posséder celle-ci, peut aussi bien ruiner l’État profond, en tant que dommage collatéral.

Vladimir Poutine rencontre Donald Trump lors du sommet du G20 à Hambourg, le 7 juillet 2017. Image Whitehouse.gov

La loi sur les sanctions contre la Russie a peut-être été conçue à la fois pour paralyser le président Trump et pour valider le récit « Poutine a volé les élections », mais cela supprime précisément toute possibilité pour MM. Mattis, McMaster, Kelly et Tillerson de s’emparer de l’Amérique pour en faire un proconsulat mondial.

La Russie, la Chine et l’Iran, désormais liés par la menace de sanctions, sont maintenant fortement intégrés dans une coalition stratégique – et ils sont résolus à résister.

De façon incroyable, comme le disait un commentateur :

« Au cours de la montée en charge des nouvelles sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord, l’administration Trump a menacé de sanctionner la Chine si elle ne s’engageait pas à exercer de nouvelles pressions [sur la Corée du Nord] (…) Trump lui-même indiquait qu’il était disposé à un marché : ‘Si la Chine nous aide, je penserai différemment au sujet du commerce, oui différemment au sujet commerce’ a déclaré Trump aux journalistes (…)

Un accord a été conclu, et la résolution 2371 de l’ONU est passée (…) La Chine a respecté sa part de l’accord : elle a aidé à adopter la résolution de l’ONU contre la Corée du Nord – et elle l’a immédiatement mise en œuvre, même si cela a causé une perte considérable pour les entreprises chinoises qui négocient avec la Corée du Nord. [Mais…] 

Maintenant, Trump revient sur la sanction des entreprises chinoises (et russes). L’administration Trump a imposé mardi des sanctions à 16 entreprises et personnes principalement chinoises et russes qui aident les programmes de missiles balistiques de la Corée du Nord et aident aussi le Nord à gagner de l’argent pour soutenir ces programmes…

Parmi ceux qui sont sanctionnés figurent six entreprises chinoises, dont trois compagnies de charbon ; deux entreprises basées à Singapour qui vendent du pétrole à la Corée du Nord et trois Russes qui travaillent avec eux ; une société russe qui traite des métaux nord-coréens et son directeur russe ; une société de construction basée en Namibie et une autre société basée en Namibie et son directeur nord-coréen qui fournit des travailleurs nord-coréens pour la construction de statues à l’étranger générant ainsi des revenus pour le Nord. 

Ce sont des ‘sanctions secondaires’ qui bloquent les transactions financières et rendent ainsi presque impossible, pour les entreprises et les personnes, le fonctionnement d’une entreprise internationale. En outre, la Chine avait déjà interdit toutes les importations de charbon de la Corée du Nord. Elle avait renvoyé des navires de charbon nord-coréens et, à la place, acheté du charbon aux États-Unis. [Et] maintenant, les entreprises chinoises sont sanctionnées sur du charbon nord-coréen qu’elles n’achètent plus ? En outre, la vente de carburant à la Corée du Nord est explicitement autorisée par les nouvelles sanctions de l’ONU… »

L’alliance de ces trois États et de leurs forces partenaires ne croient plus que l’Amérique soit capable de mener une diplomatie sérieuse ou qu’elle ait la capacité réelle pour s’emparer du monde. Au contraire, ils voient l’Europe s’écarter des États-Unis, le Conseil de coopération du Golfe en désarroi, et même Israël désespéré de son allié à Washington. Ils restent préoccupés par la Corée du Nord, mais la peur d’une action militaire préventive des États-Unis contre la Corée du Nord est tempérée par le fait que celle-ci détient effectivement 30 000 militaires américains en otage dans la zone démilitarisée.

L’objectif principal est maintenant, pour ces États d’étudier comment ils pourraient se protéger si les deux parties en conflit interne aux États-Unis réussissaient à se détruire mutuellement et, par conséquent, jetaient le monde dans la tourmente financière – d’où l’effervescence d’activité pour l’organisation de contrats en devises locales et les swaps de devises.

« Lorsque Steve Bannon a été éjecté de la Maison Blanche la semaine dernière », le New Yorker cite celui-ci parlant de « ses frustrations avec la loi fiscale à venir, comme l’une des raisons pour lesquelles il croyait que l’agenda nationaliste de Trump avait été détourné par les soi-disant mondialistes, tels que Cohn et les autres membres des Six Grands [voir plus bas]. »

Oui, Trump a également été laminé sur le plan économique : les Six Grands se composent de quatre membres du Congrès – y compris le chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell et le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan) – plus le conseiller économique de Trump, Gary Cohn, et le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, tous deux venant de Goldman Sachs.

« Ce ne sont pas des populistes, ils ne sont pas nationalistes, ils n’ont aucun intérêt pour le programme de Trump – vraiment aucun », a déclaré Bannon au Weekly Standard. « Sur quel élément du programme de Trump, à part des réductions d’impôts – qui seront une réduction marginale standard des impôts – se sont-ils ralliés à la cause de Trump ? Nulle part. »

Le pouvoir de Cohn

« À l’époque Bannon, dans la Maison Blanche divisée en factions, Cohn n’était pas seulement le chef du Conseil économique national (NEC), mais aussi le chef du groupe de fonctionnaires que Bannon affublait du sobriquet « New York ». Les émissions de Breitbart qualifiaient Cohn et ses compagnons du NEC de Globalistes de l’État profond« , note le New Yorker.

Le conseiller économique de la Maison Blanche, Gary Cohn.

Cohn, âgé de 56 ans, est venu à l’Administration par Jared Kushner, le gendre du Président, qui a été stagiaire de Cohn à Goldman Sachs. Cohn est un donateur de longue date du Parti démocrate.

Ainsi, la relance du commerce de Trump est normalisée par les Six Grands – continuant ainsi la politique habituelle de Washington D.C.

Mais, pourquoi s’inquiéter si le marché boursier américain dépasse chaque jour de nouveaux plafonds ? En effet, le marché a suivi une « courbe ascendante pendant 101 mois depuis mars 2009, période au cours de laquelle le S&P500 a augmenté de 270% et a rarement diminué de plus de 2 à 4%, jusqu’au point de croire que rien n’importait sauf appuyer sur le bouton offre pendant les plus de 50 intervalles ou le marché boursier a momentanément failli. Pratiquement sans exception, chaque plongée légère a été accompagnée de signaux d’achat provenant des banques centrales, ou des pousses vertes [entreprises en bonne santé faisant croire à une reprise générale de la croissance] soigneusement choisies parmi les données en cours. »

David Stockman écrit :

« Après 101 mois d’achats lorsque la bourse baisse (…) les algorithmes qui suivent les grands titres de la presse [les robots courtiers] sont maintenant programmés de manière complètement asymétrique. Ils sont étudiés pour acheter suite aux bonnes nouvelles économico-politiques – car cela implique plus de profits – mais aussi pour acheter sur de mauvaises nouvelles, car cela signifie plus d’opportunités de liquidité et de soutien des prix du marché par la Fed et d’autres banques centrales.

Mais cet arrangement bienfaisant encourage même les joueurs prudents à minimiser les assurances qu’ils paient pour protéger leurs portefeuilles longs [achetés en attente de plus-values à terme, NdT] à fort effet de levier (en actions ou dérivés) grâce aux interventions de la Banque Centrale.

Stockman avertit que les marchés se négocient déjà à des hauts niveaux historiques et que personne ne prête attention à ces évaluations extrêmes ou aux fondements économiques ou politiques – simplement parce que ceux-ci sont devenus sans aucune importance si chaque petite baisse du marché est immédiatement suivie de l’élévation ininterrompue de toutes les classes d’actifs – grâce aux interventions de la Banque centrale.

C’est-à-dire que les joueurs et les robots sont devenus si accrocs à la certitude que les filiales bancaires et fiscales de l’État feront ‘ce qu’il faut’ pour maintenir en hausse la moyenne du prix des actions, qu’il est devenu irrationnel de perdre du temps et des ressources pour analyser ‘tout ce qui se passe’« . 

Au lieu de cela, écrit Stockman « il ne s’agit que de graphiques, de flux monétaires, de suivi de la rotation des secteurs, de pouvoir d’achat des ETF, des meilleurs moments pour les arbitrages techniques, tels qu’ils apparaissent dans les risques actuellement massifs d’équilibrage, entre les actifs en portefeuille, pour lisser la volatilité. »

Pour résumer, toute sensibilité au risque – politique, financier ou  autre – a été effacée par la détermination des banques centrales à maintenir les prix des actifs au plus haut niveau. Le système financier est précisément orienté dans l’autre sens – la volonté de générer de l’argent « lorsque les choses sont faciles » – et, par conséquent, toute crise créera un impact disproportionné sur ces actifs à fort effet de levier, amplifié par les marchés d’aujourd’hui qui sont tous à sens unique.

Un Trump zombifié

Voilà la question : la zombification politique du président Trump satisfait-elle les deux partis de l’establishment ? Sont-ils suffisamment adoucis pour se réunir et se mettre d’accord sur un budget et un nouveau plafond sain de la dette – le plafond arrive le 29 septembre ? Et, même si cela est réalisé, la soi-disant normalisation des politiques de Trump ramènera-t-elle vraiment les États-Unis au nirvana des choses « comme elles étaient avant » ?

La statue du taureau de Wall Street par Arturo Di Modica

Ostensiblement, la normalisation de la politique économique de Trump devrait être gérable : Ryan et McConnell n’auraient besoin que d’aligner un nombre modeste de votes démocratiques – avec les soldats républicains – pour imposer une augmentation du plafond de la dette. Mais cela peut être plus compliqué – beaucoup plus compliqué : si les Démocrates devaient coopérer (et ils voudront apparaître coopératifs pour éviter d’être responsables de toute faillite fédérale subséquente), ce ne sera que aux conditions d’un échange coûteux exigeant que Trump abandonne son mur du Mexique, ses réductions d’impôt pour les riches, son importante réduction des dépenses domestiques et aussi qu’il finance le renflouement des compagnies d’assurance, indispensable pour prévenir des augmentations drastiques de primes et des annulations de couverture médicale pendant l’année 2018 – année électorale.

Certes, les démocrates présenteront au public une attitude de coopération , mais la colère est telle à Washington aujourd’hui, avec les deux parties cherchant la bagarre, que, presque à coup sûr, ils exigeront leur revanche d’une livre de chair du côté de Trump. Le groupe de républicains du Freedom Caucus (qui est lié à Bannon) pourrait alors quitter le navire, laissant les Big Six seuls, avec le choix entre un «désaccord sur le plafond» ou un budget concocté par les Démocrates.

Trump a tweeté :

« J’ai demandé que le chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell et le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, rattachent la législation sur le plafond de la dette à la loi populaire V.A. (qui vient de passer) pour une approbation facile. Ils ne l’ont pas fait, maintenant, nous avons une grosse affaire avec les Dems qui entravent (comme d’habitude) l’approbation du plafond de la dette. Cela aurait pu être si facile, maintenant c’est un gâchis! »

Axios rapporte que « des responsables de haut niveau à la Maison Blanche et au GOP nous disent [à Axios] que les rumeurs du marché annonçant les chances d’une faillite du gouvernement augmentent de jour en jour – et cela avant même que Trump ne menace, lors de son rassemblement tapageur de Phoenix mardi soir, d’utiliser cette faillite pour obtenir un financement du mur à la frontière [mexicaine]. »

En citant une « source républicaine de haut niveau » qui met les paris à 75 pour cent, Axios ajoute que « L’aspect remarquable est que presque tous ceux à qui j’en ai parlé sont d’accord pour dire que l’issue [de la faillite] est la plus probable. »

Les démocrates semblent déterminés à supprimer toute provision pour « le mur », et Trump semble acharné au combat contre les démocrates (et Ryan et McConnell) sur cette question. Il a dû acquiescer à son laminage dans la politique étrangère et de défense – peut-il encore faire face et freiner des quatre fers ? Il est déjà en train de blâmer la faute sur la direction de l’establishment républicain.

Si c’est ainsi, que vaut la poursuite d’un marché boursier historiquement élevé et débordant de complaisance ?

La Russie et la Chine ont raison d’imaginer « le pire des cas » et de minimiser leur exposition à toute chute cataclysmique américaine dans les turbulences politiques – et la possible violence.

Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique. Il occupait une position importante dans les services de renseignement britannique et dans la diplomatie de l’Union européenne. Il est le fondateur et le directeur de Conflicts Forum.

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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