C’est la dernière guerre qu’« Israël » a mené sur un seul front


Il est évident qu’au lendemain de la débâcle afghane, Washington n’a guère envie d’une guerre avec l’Iran. L’idée même de retenter l’ « occidentalisation » du Moyen-Orient a perdu de son lustre.


Par Alastair Crooke – Le 6 septembre 2021 – Source Al Mayadeen

Le Premier ministre israélien, M. Bennett, a obtenu de M. Biden tout ce qu’il voulait en matière de promesses télégéniques à brandir devant le public israélien – c’est ce qu’a déclaré le correspondant israélien, Ben Caspit. Biden a réitéré l’engagement des États-Unis à veiller à ce que l’Iran ne possède jamais d’arme nucléaire. « Les partisans de Bennett ont poussé des soupirs de soulagement et échangé des sourires, puis ils ont entendu Biden ajouter [la cerise sur le gâteau] : que les États-Unis donnaient la priorité à la diplomatie pour bloquer le programme nucléaire iranien, ‘si la diplomatie échoue, nous sommes prêts à nous tourner vers d’autres options’. Biden semble donc dire que « l’option militaire est maintenant sur la table ». Il a également promis, comme tous les présidents américains depuis 1969, de maintenir « l’accord » selon lequel les États-Unis ne mentionneraient ni ne commenteraient l’arsenal nucléaire propre à « Israël ». Ce que l’équipe israélienne voulait désespérément, c’était que les États-Unis brandissent un gros bâton contre l’Iran.

Biden, pour sa part, voulait au moins un renouveau symbolique du « processus de paix » avec les Palestiniens. Mais Bennett est catégorique : cela n’arrivera pas. Il a déjà exclu toute négociation de paix avec les Palestiniens sous cette administration.

Mais aucun des principaux objectifs des deux hommes ne se concrétisera. Biden a peut-être eu l’air « dur », mais la nuance réside ici dans la promesse de Washington « pas d’arme » . Il n’a en effet pas dit qu’il empêcherait l’Iran de devenir un « État proche du seuil d’armement » (c’est-à-dire lorsqu’un État devient suffisamment avancé techniquement pour pouvoir assembler une arme dans un court délai).

Ce qu’il faut retenir, c’est que les États-Unis peuvent se permettre que l’Iran devienne un pays à risque, ce qui n’est pas le cas d’« Israël ». En effet, l’Iran est peut-être sur le point de réussir, ou a même déjà réussi. Et cela est suffisant en soi. Les armes nucléaires ne sont pas vraiment des armes pratiques dans un Moyen-Orient surpeuplé, où les ethnies s’interpénètrent. Mais c’est la dissuasion du « seuil » qui compte.

Qu’a donc « obtenu » Bennett ? Bennett a présenté à Biden une stratégie visant à contrer l’Iran par le biais de ce qui a été décrit comme « la mort par mille coups » – une combinaison de nombreuses petites actions, que l’on peut parfois nier, sur plusieurs fronts – à la fois militaire et diplomatique – au lieu d’une seule frappe spectaculaire, comme l’a dit un responsable israélien.

Bennett aurait dit à Biden que les États-Unis et « Israël » doivent reprendre en main ce qu’il appelle « l’agression régionale » de l’Iran, en plus de son programme nucléaire. À cette fin, il a demandé à Biden de ne pas retirer les forces américaines d’Irak et de Syrie. La délégation israélienne se serait montrée « optimiste » quant à l’attitude de Biden sur ce front.

Mardi soir, Biden a déclaré que la conclusion de la guerre en Afghanistan marquait la fin de l’ère de l’Amérique qui « refait » les nations. Il a évoqué un recul du rôle des États-Unis en tant que gendarme du monde, suggérant qu’ils n’interviendraient à l’avenir que s’il y avait des objectifs clairs et un intérêt national fondamental pour les États-Unis.

Biden a déclaré qu’il révisait la politique étrangère américaine et semblait se détourner de l’engagement dans le monde. Il a déclaré : « Alors que nous tournons la page de la politique étrangère qui a guidé notre nation au cours des deux dernières décennies, nous devons apprendre de nos erreurs. Pour moi, il y en a deux qui sont primordiales. Premièrement, nous allons définir des missions avec des objectifs clairs et réalisables, et non des objectifs que nous n’atteindrons jamais. Et deuxièmement, nous resterons clairement concentrés sur l’intérêt fondamental de la sécurité nationale des États-Unis d’Amérique ».

En fin de compte, quel est donc le « tout » que Bennett a obtenu ? Il a obtenu un « canal secret ». Ce canal était présenté comme le principal moyen par lequel les deux pays allaient traiter le programme nucléaire iranien (c’est-à-dire superviser le projet de la « mort par mille coups » conçu par Israël). Mais même ce dispositif était fortement encadré : si « Israël » proposait un plan original, audacieux et réalisable, les États-Unis ne seraient pas nécessairement obligés de l’accepter, de peur que toute démarche militaire ne les entraîne dans une guerre, contre leur gré. Il est évident qu’au lendemain de la débâcle afghane, Washington ne souhaite guère une guerre contre l’Iran. L’idée même de retenter l’ « occidentalisation » du Moyen-Orient a perdu de son lustre.

Et ce n’est certainement pas une coïncidence si, à la veille de la rencontre Biden-Bennett, comme l’a écrit Yossi Melman, le New York Times rapportait que les responsables américains étaient furieux de l’opération de sabotage menée par le Mossad sous la direction de Yossi Cohen sur l’installation d’enrichissement d’uranium de Natanz. Des sources américaines étaient citées dans le rapport, accusant « Israël » de violer son engagement à coordonner à l’avance les activités clandestines.

La publication d’un tel article visait manifestement à faire comprendre à « Israël » qu’il devait se plier à la ligne américaine et s’abstenir de toute initiative unilatérale susceptible de surprendre Washington.

En résumé, Bennett a dit à Biden qu’il s’opposait à un retour à l’accord nucléaire de 2015 (car son attrait s’était estompé, en raison des « clauses de caducité » imminentes et des progrès technologiques de l’Iran). Selon les responsables israéliens, Biden n’a pas non plus semblé particulièrement optimiste quant à une éventuelle réactivation du JCPOA.

L’essentiel est donc que la « stratégie des 1000 coups » de Bennett n’est paradoxalement guère plus qu’une réédition de la stratégie dite du « saucissonnage » de Netanyahou. Et en poursuivant cette stratégie de manière plus agressive, « Israël » pourrait se retrouver seul – et assiégé par le « cercle de feu » de Qassem Suleimani, composé de missiles intelligents et de drones en essaim visant « Israël », de tous côtés.

Le général israélien Gershon Hacohen, chargé de recherche au Centre d’études stratégiques Begin-Sadat, a prévenu explicitement que la deuxième guerre du Liban pourrait avoir été la dernière fois qu’« Israël » concentrait le combat sur un seul front. « Israël pourrait se retrouver assiégé par la « doctrine Qassem Suleimani » d’un « cercle de feu » de roquettes et de missiles venant de toutes les directions », prévient-il.

La prochaine guerre pourrait bien être une guerre régionale.

Alastair Crooke 

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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