Par Peter Zeihan,
Melissa Taylor,
Michael N. Nayebi-Oskoui – Le 18 mai 2018 – Source Global View
Événement 3 : les Chinois découvrent qu’ils sont nus
La menace de sanctions secondaires américaines ne menace pas que la stabilité de l’Iran et de l’Europe, elle constitue également une menace mortelle pour le plus grand importateur de pétrole au monde : la Chine. Et ce n’est pas comme si les Chinois n’étaient pas déjà soumis à une pression assez énorme.
Il y a deux semaines, le représentant américain au commerce, Robert Lighthizer, a conduit une équipe de stars à Pékin pour dresser la liste des demandes commerciales de l’administration Trump. Lighthizer est un vieux dur à cuire quand il s’agit de pourparlers commerciaux brutaux. C’est l’avocat du commerce qui a essentiellement écrit l’épine dorsale légale de ce qui est maintenant l’Organisation mondiale du commerce, et sous l’administration Reagan il a (à plusieurs reprises) tordu le bras des Japonais sur une série de questions commerciales et financières que les Japonais accusent d’être à l’origine de leurs problèmes économiques ultérieurs.
Lighthizer apporta avec lui une petite armée de fonctionnaires : le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, le secrétaire au Commerce Wilbur Ross, le conseiller économique de la Maison Blanche Larry Kudlow et l’ambassadeur américain en Chine Terry Branstad. Parmi eux, le seul visage que les Chinois considèrent comme très amical était Branstad – le premier voyage de Xi aux États-Unis en 1985 était en Iowa, et lui et Branstad ont une relation personnelle chaleureuse. C’était classique : un mauvais-flic, un mauvais-flic, un mauvais-flic, et un bon-flic, le gars-qui-va-vous-aider-à-l’hôpital ensuite.
Lighthizer et compagnie n’ont pas négocié. Ils ont simplement livré quelques ultimatums :
- La Chine augmentera unilatéralement ses importations de biens américains d’au moins 100 milliards de dollars.
- La Chine cessera immédiatement les protections et les subventions pour tous les secteurs liés à son plan économique central Made in China 2025, et éliminera les barrières tarifaires et non tarifaires sur ces secteurs.
- La Chine admettra qu’elle est une économie non marchande selon les règles de l’OMC (ce qui permettrait aux États-Unis d’appliquer des tarifs protecteurs contre les exportations chinoises).
- La Chine acceptera les restrictions américaines sur les acquisitions menées par les investisseurs chinois aux États-Unis.
- La Chine cessera tout vol cyber-technologique et mettra fin à toutes les politiques visant à forcer les entreprises américaines à partager leurs technologies avec la Chine.
- La Chine acceptera les revues trimestrielles américaines sur toutes les politiques commerciales et s’engagera à coopérer avec les résultats américains de ces audits.
- La Chine soumettra des listes de marchandises expédiées à des pays tiers afin qu’elle ne puisse pas contourner les restrictions américaines à l’importation.
- La Chine abandonnera toutes les affaires qu’elle a engagées à l’OMC contre les États-Unis en ce qui concerne l’une quelconque des questions susmentionnées et acceptera de n’en lancer aucune nouvelle de manière préventive.
Les éléments sont remarquables pour leur nature sans précédent dans l’ordre de l’après-Seconde Guerre mondiale, leur profondeur, et par la façon dont ils tranchent au cœur de la légitimité du gouvernement communiste chinois à développer son espace économique et politique et à projeter son pouvoir économique internationalement, et surtout, dans les délais impartis – le 1er juillet.
Dans des relations normales, de telles demandes seraient toutes non motivées et rejetées d’emblée. Au lieu de cela, les Chinois ont envoyé leur propre délégation aux États-Unis pour discuter il y a quelques jours de la marge de manœuvre de Lighthizer and Co. Le 18 mai, les Chinois ont découvert que les Américains étaient réellement sérieux.
Comme en Europe, les médias locaux en Chine sont tous consternés par le caractère déraisonnable des Américains. Comme en Europe, les vrais décideurs sont beaucoup plus circonspects. Le président Xi a été mortellement calme. Lui et le politburo peuvent avoir des aspirations nationalistes, mais ils réalisent pleinement la réalité des rapports de force mondiaux.
- Les Américains représentent le plus gros marché de la Chine et les Américains importent trois fois plus de produits chinois que l’inverse. Dans toute guerre tarifaire, les Chinois n’ont tout simplement pas beaucoup de munitions.
- Les Chinois sont les plus grands exportateurs du monde. Presque tout le commerce dépend du système commercial géré par SWIFT et libellé en dollars américains. Si la Chine venait à recevoir des sanctions financières américaines, l’histoire de la Chine s’écroulerait assez rapidement.
- La marine américaine a dix fois le pouvoir de toutes les marines combinées. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont utilisé ce déséquilibre pour créer un système mondial unifié. Si cet arrangement échoue – et c’est le cas − toute personne dépendant du commerce mondial est plus ou moins foutue. Comme, par exemple, la Chine. Pire encore, presque tout le commerce chinois avec le reste de l’Asie est maritime et donc vulnérable.
Les bureaucrates européens ne comprennent pas cela. Les médias américains ne comprennent pas non plus. Mais Merkel comprend. Xi aussi comprend. Apparemment, le secrétaire américain au Trésor a déjà menacé les Chinois d’une coupure de SWIFT.
Le plus grand résultat de la visite de Lighthizer à ce jour ? Le 20 mai, les Chinois et les Américains ont indiqué qu’ils cesseraient de se menacer publiquement de tarifs douaniers. Ma lecture est que maintenant que les Chinois réalisent que l’administration Trump est sérieuse, il est inutile de battre le tambour de la guerre commerciale parce que c’est un champ de bataille sur lequel les Chinois ne peuvent espérer gagner. Mieux vaut essayer d’autres méthodes de persuasion.
(D’un autre côté, je suis assez amusé que les médias fassent beaucoup de bruit sur la façon dont des programmes concurrents dans la direction de Trump affaiblissent la stratégie de négociation de l’équipe, comme si cela n’avait pas été la norme pour les administrations américaines depuis toujours. La personne la plus en phase avec la vision de Trump est Lighthizer. Vous pouvez sans risque ignorer le reste quand il s’agit de comprendre le fondement des actions des États-Unis).
Si les Chinois ne veulent pas voir leur système économique et politique entier brisé par l'(in)action, ils doivent apporter quelque chose d’important sur la table. Ce quelque chose devrait être à l’échelle des demandes économiques faites par l’équipe de Lighthizer. Je n’ai aucun doute que les discussions à Pékin aujourd’hui sont de proposer des sujets stratégiques qui peuvent être échangés pour la poursuite des largesses américaines. La Corée du Nord sera certainement dans la liste. La coopération avec les Américains contre l’Iran – ou peut-être même contre la Russie – est sans aucun doute à l’étude.
Mais le temps presse, car les mouvements américains contre l’Iran et la Chine ne sont qu’une partie d’un panorama plus vaste.
Par Peter Zeihan,
Melissa Taylor,
Michael N. Nayebi-Oskoui
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone