C’est ainsi que finit le monde [2/3]


images.duckduckgoPar Peter Zeihan,
Melissa Taylor,
Michael N. Nayebi-Oskoui – Le 10 mai 2018 – Source Global View

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Événement 2 : l’Europe s’éviscère 

La façon dont l’administration Trump a retiré les États-Unis de l’accord nucléaire iranien a des conséquences, mais pour la plupart, je suis moins préoccupé par les retombées locales que par les effets d’entraînement au-delà du Moyen-Orient. Commençons par l’Europe.

La réponse des institutions européennes au retrait américain de l’accord nucléaire peut être bien résumée comme une indignation justifiée.

C’est en partie économique : les Européens se sont empressés d’investir en Iran après l’accord et ne sont pas disposés à revenir sur ces efforts.

C’est en partie politique : les Européens sont signataires de l’accord, ils ont travaillé dur et longtemps pour montrer que l’Europe pouvait contribuer à une normalisation stratégique au-delà de ses frontières. Personne n’apprécie quand un autre pays vous informe simplement que vos efforts sont sans importance pour lui et qu’il impose sa propre réalité à une situation.

C’est en partie personnel : le président français, Emmanuel Macron, était sûr qu’il avait une relation forte avec Trump, et son offensive de charme personnelle il y a quelques semaines était destinée à l’influencer pour conserver l’accord iranien. Une telle rebuffade publique doit faire mal.

C’est en partie institutionnel : les bureaucrates sont censés ignorer la politique et la stratégie lorsqu’ils élaborent un programme, et les fonctionnaires de la Commission européenne (les bureaucrates) sont les plus découragés par les dictats américains sur les politiques économiques et de sécurité européennes. Les fonctionnaires de la Commission ont parlé de représailles contre les États-Unis, et de l’offre de garanties juridiques et financières aux entreprises qui veulent toujours faire des affaires en Iran.

Mais les politiciens jouent une autre musique, pas seulement celle des bureaucrates, mais aussi les uns vis à vis des autres. Macron a, comme prévu, été encore plus bruyant que la Commission. À l’autre extrémité du spectre, quelques pays d’Europe centrale ont saboté un effort français pour condamner les Américains d’avoir déplacé leur ambassade israélienne à Jérusalem – en partie pour punir les Français, en partie parce qu’ils envisagent de déménager leurs propres ambassades.

Mais comme cela semble de plus en plus le cas, la personne qui compte le plus est la chancelière allemande Angela Merkel. Tout en déplorant la fin de l’accord iranien, elle voit de plus grandes forces à l’œuvre que « simplement » l’avenir du Moyen-Orient. Les évolutions de la politique américaine sous l’administration Trump ont eu des effets négatifs sur beaucoup de pays, mais pas autant que sur l’Allemagne.

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Porte de Brandebourg, Berlin, Allemagne

L’Allemagne est individuellement puissante, mais tout ce qu’elle fait pour renforcer son pouvoir national a tendance à déclencher une alliance entre ses voisins pour la démolir – même dans une guerre cataclysmique. La seule façon dont les Allemands – et par extension, les Européens – ont pu contourner le problème est de faire appel à un garant pour leur sécurité extérieure qui oblige tout le monde à être du même côté. C’est les États-Unis.

Merkel a donc observé, de plus en plus horrifiée, que les Américains cessent de traiter les Européens comme des alliés, voire des partenaires, mais comme des concurrents. La perspective de sanctions secondaires américaines doit terrifier la chancelière : l’Allemagne est le troisième exportateur mondial et près de la moitié des marchandises allemandes sont échangées en dehors de l’UE sur des marchés gérés par le système SWIFT que les Américains envisagent d’interdire à l’Iran. Même une application a minima des sanctions américaines serait catastrophique pour la stabilité économique et politique allemande.

À cette fin, Mme Merkel a noté, deux jours après que les Américains se sont retirés de l’accord sur l’Iran : « Nous ne pouvons tout simplement plus compter sur les États-Unis pour nous protéger. Regardons les choses en face, l’Europe en est encore à ses balbutiements en ce qui concerne la politique étrangère commune. »

Mais alors que ses paroles étaient un appel à l’Europe pour approfondir son intégration, ses actions indiquaient quelque chose de très différent. Si l’on ne peut pas faire confiance aux Américains pour donner la priorité à l’Europe, les Allemands n’ont d’autre choix que d’empêcher une coalition à grande échelle qui contraindrait les intérêts allemands. Cela signifie courtiser de nouveaux alliés… au-delà de l’Europe. Et après avoir fait les commentaires appelant l’Europe à se rassembler, Merkel ne s’est pas rendue à Bruxelles. Ou à Paris.

Elle est allée à Moscou.

Maintenant, il ne faut pas réagir de manière excessive. Je ne dis pas que l’accord Molotov-Ribbentrop version 2.0 est juste au coin de la rue. Ce que je dis, c’est que même avec sept décennies de l’environnement stratégique le plus favorable que le continent européen aurait jamais pu espérer, une fusion stratégique et politique significative des pays européens n’a toujours pas eu lieu. Cela force les pouvoirs individuels de l’Europe à tracer leur propre destin – individuellement. Pour le Royaume-Uni, cela signifie le Brexit. Pour les Italiens, cela signifie un nouveau gouvernement populiste qui opposera son veto à tout effort de fédéralisation de l’UE. Pour les Français, cela signifie un pèlerinage mondial sérieux pour construire une position stratégique indépendante.

Et pour l’Allemagne cela signifie mettre des fers au feu qui n’ont rien à voir avec l’Europe. Cela signifie des connexions économiques et énergétiques avec la Russie. Cela signifie au moins donner une audience aux demandes russes. Cela signifie prendre en compte les intérêts stratégiques de la Russie en ce qui concerne les liens entre l’Allemagne et la Russie. D’accord, peut-être que ça sonne quand même un peu comme une resucée de Molotov-Ribbentrop. N’oublions jamais que le concept fondateur de l’UE et de l’OTAN était de garder les Américains dedans, les Russes dehors et les Allemands dessous. Ces trois piliers sont tombés. L’histoire avance.

À suivre les Chinois découvrent qu’ils sont nus.

Par Peter Zeihan,
Melissa Taylor,
Michael N. Nayebi-Oskoui

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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