Par F. William Engdahl – Le 17 août 2019 – Source Williamengdahl.com
Les scientifiques utilisant la deuxième génération de technologies de manipulation génétique ont modifié l’ADN d’une variété bovine pour qu’elle ne porte plus de cornes. À peu près au même moment, un autre groupe de scientifiques prétend avoir injecté des cellules humaines dans des singes pour créer des chimères, qui sont dans les mythes grecs antiques des êtres moitié lion, moitié serpent. Plus tôt cette année, un groupe de chercheurs chinois avait affirmé avoir délibérément modifié les gènes de clones de singes en y introduisant une perturbation mentale. Ce dont peu de gens se rendent compte, c’est que tout cela se produit en l’absence presque entière de réglementation sérieuse en matière de santé et de sécurité. Est-ce vraiment ce dont l’humanité a besoin à ce stade ?
Des vaches modifiées pour ne plus avoir de cornes
Les scientifiques de la société de biotechnologie Recombinetics ont déposé un brevet sur du bétail qu’ils ont génétiquement modifié pour l’empêcher de porter des cornes en utilisant des protocoles de modification génétique. Ils prétendent que le processus est efficace et sécurisé. Toutefois, des tests effectués par des scientifiques de la Food and Drug Administration des États-Unis (FDA) ont révélé que le processus de modification des gènes par CRISPR a entraîné des « altérations inattendues » du génome, comprenant « des réarrangements génomiques complexes sur la cible, ou proches d’elles, dans 34 expériences de modification du génome des mammifères. »
Les chercheurs de la FDA ont découvert des erreurs de modification du génome des animaux qui avaient été négligées et ont identifiés des effets majeurs inattendus. On décrit souvent le génomique utilisé, connus sous le nom de TALENs, comme très précis. Cependant, les laboratoires de la FDA ont montré qu’en plus des séquences génétiques qu’on souhaitait insérer dans le génome, l’ADN provenant de bactéries génétiquement modifiées utilisées dans le processus avait également été diffusé. Plus précisément, ils ont découvert la présence de gènes de résistance aux antibiotiques inattendus chez les bovins modifiés. Or Recombinetics rapporte qu’elle développe également une méthode de sélection génétique de précision pour en finir avec la nécessité de castrer les porcs. Vous parlez d’effets inattendus ?
Un cerveau de singe humain ?
Dans une autre application récente de modification génétique, un groupe international de scientifiques travaillant en Chine ont utilisé cette technologie pour produire des chimères mi-homme mi-singe. Selon le journal espagnol El Pais, une équipe de chercheurs dirigée par le professeur Juan Carlos Izpisúa Belmonte de l’institut Salk aux États-Unis a produit des chimères singe-homme. Le rapport indique que la recherche a été menée en Chine « pour éviter les problèmes juridiques ». Cela devrait faire réfléchir.
L’équipe de Belmonte indique que cette recherche vise à résoudre les problèmes du manque de donneurs d’organes et du rejet de greffons. Belmonte a apparemment réussi à produire à la fois des embryons de porcs et des embryons de moutons qui contiennent des cellules humaines. Puis ils ont prélevé des cellules d’un humain adulte et les ont reprogrammées pour en faire des cellules souches, celles qui peuvent donner naissance à n’importe quel type de cellules dans le corps. Ces cellules souches sont ensuite introduites dans l’embryon d’une autre espèce, comme le singe, le mouton ou le porc.
Commentant les implications de la modification génétique dans le but de produire des chimères homme-animal, le Professeur Robin Lovell-Badge, biologiste du Francis Crick Institute à Londres, reconnaît l’existence de problèmes potentiels :
Comment limiter la contribution des cellules humaines à l’organe que l’on veut créer ? Si c’est un pancréas ou un cœur ou quelque chose d’autre, comme un rein, alors c’est très bien, si vous parvenez à le faire. [Mais] si vous permettez à ces créatures de poursuivre leur croissance et de naître, et si vous constatez une contribution importante des cellules humaines au système nerveux central, alors cela devient évidemment un souci.
D’autres expériences controversées de modification par le protocole CRISPR, en Chine, ont consisté à ajouter des gènes du cerveau humain, MCPH1, ou microcéphaline, à des singes. Le chercheur en génétique, Bing Su, a affirmé, en se fondant sur des tests très limités, que les singes semblaient être « plus intelligents ». Bing Su et ses collaborateurs du Yunnan Key Laboratory of Primate Biomedical Research ont exposé des embryons de singes à un virus porteur de la version humaine de la microcéphaline. Ils ont créé 11 singes, dont cinq ont survécu pour prendre part à une batterie de tests cérébraux. Chaque singe a entre deux et neuf copies du gène humain dans son corps. James Sikela, généticien de l’Université du Colorado, se montre critique : « L’utilisation de singes transgéniques pour étudier les gènes humains liés à l’évolution du cerveau est une voie très risquée. »
Ce ne sont là que quelques-unes des expériences récentes les plus alarmantes utilisant la méthode CRISPR. Le problème grave est qu’il n’existe pas d’instance neutre assurant une surveillance scientifique des expériences qui sont menées. Parce que CRISPR exige très peu d’investissement technologique, il peut être largement utilisé, et même par des expérimentateurs irresponsables.
Les dangers du protocole CRISPR
Le CRISPR est défini comme une « plateforme de modification génétique guidée par l’ARN qui utilise une protéine dérivée de la bactérie (Cas9) et un ARN-guide synthétique pour produire une rupture du double brin à un endroit précis du génome. » (OMICS). L’expérimentation généralisée du CRISPR-Cas9, le plus utilisé actuellement, n’a lieu que depuis 2015. Dans les années 1970, les généticiens étaient confinés dans des laboratoires coûteux exigeant des scientifiques hautement qualifiés et des contrôles stricts. Avec le protocole de modification génétique CRISPR, le processus est devenu extraordinairement bon marché et apparemment facile à utiliser. Comme l’a décrit un critique, « n’importe qui peut acheter du Cas9 pour quelques centaines de dollars et n’importe quel laboratoire de niveau moyen peut l’utiliser pour modifier l’ADN de n’importe quoi. […] Nous pourrions être en mesure d’éliminer des espèces entières sur un coup de tête… »
La technologie CRISPR permettrait des changements positifs, comme traiter des maladies génétiques, modifier la lignée des humains, des animaux et d’autres organismes pour qu’elle acquière des traits positifs. Nous n’en savons rien à ce stade. Pourtant, l’absence de surveillance scientifique et impartiale de l’utilisation de CRISPR est consternante.
Absence de surveillance réglementaire
En 2018, la Cour de Justice Européenne a statué que les organismes issus d’une nouvelle technique appelée mutagenèse dirigée (modification génétique) sont des OGM relevant de la définition de la directive européenne sur les OGM. En tant que tels, ils devraient être réglementés de la même manière stricte que les OGM produits au sein de l’UE à l’aide de techniques plus anciennes. Cette règle prioritaire a été accueillie comme une mesure raisonnable et rationnelle pour assurer la santé et la sécurité des gens et la planète.
Les intérêts soutenant CRISPR et d’autres protocoles de modification, n’étaient pas satisfaits. La décision de la CEJ a immédiatement été attaquée comme un écart par rapport aux « processus de décisions fondés sur la science » ainsi qu’« opposée et hostile au progrès », même si les juges avaient soigneusement consulté divers scientifiques experts. Le puissant lobby de l’industrie des OGM a organisé une offensive afin que la nouvelle Commission européenne crée « un nouveau cadre réglementaire légal pour ces nouvelles techniques » : et un cadre beaucoup moins restrictif, nous pouvons en être sûrs.
Aux États-Unis, où Monsanto et l’industrie des OGM ont réussi à empêcher dans les faits une réglementation gouvernementale sur les plantes telles que le maïs, le soja ou le coton, l’industrie de la biotechnologie a été plus efficace : la FDA a récemment proposé d’exclure de toute réglementation les nouvelles technologies de modification génétique telles que CRISPR. Cela ne tient pas compte de l’objectif de la réglementation, consistant à maintenir la santé et la sécurité individuelles et environnementales au-dessus du gain commercial qui découlerait d’une réglementation souple. C’est le Principe de précaution solidement établi. Selon ce principe, le gouvernement a la responsabilité collective de protéger le public contre l’exposition à des préjudices, lorsque l’enquête scientifique a révélé un danger plausible. Dans ce cas, la charge de la preuve incombe à l’industrie génétique et non au public. Ce n’est pas parce qu’ils qualifient leur travail de « biotechnologie » que c’est bon pour nous par essence. C’est ce que nous devons évaluer attentivement, surtout dans un domaine comme les modifications génétiques, qui ont la capacité de « détruire des espèces entières sur un coup de tête… »
F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Vous pouvez relire notre note de lecture de son dernier livre publié aux éditions demi-lune.
Traduit par Stünzi pour le Saker francophone
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Ping : Avons-nous réellement besoin de vaches et d’humains génétiquement modifiés ?.. – Les moutons enragés