Par Moon of Alabama – Le 19 décembre 2017
Hier, la Maison-Blanche a publié une nouvelle Stratégie de sécurité nationale (pdf). Le président en avait parlé dans un discours de campagne, ce qui est inhabituel. Le document est aussi plus long que d’habitude.
La Stratégie de sécurité nationale de Reagan avait 41 pages, celle de Bush (2002), 31, celle d’Obama (2015), 29. Celle de Trump comporte 55 pages : un assortiment de priorités sans réelles priorités.
La première « responsabilité fondamentale » de la Stratégie de sécurité nationale (SSN) est…
… de protéger le peuple américain, la patrie et le mode de vie américain…
Micah Zenko souligne que le document ne répond pas vraiment à cet objectif :
« Rien dans le document (…) ne traite des menaces, des risques et des préjudices systémiques intérieurs qui empoisonnent la vie quotidienne des Américains.
(…)
Le SSN de Trump (…) mentionne les terroristes 58 fois, et s’engage à ‘vaincre les terroristes djihadistes’ comme tous les documents précédents de SSN depuis le 11 septembre. Au cours des 16 dernières années et plus, les djihadistes ont tué 103 Américains aux États-Unis, tandis que les terroristes de droite en ont tué 68. Au cours de cette même période, le nombre de décès liés à la drogue a plus que triplé, avec plus de 59 000 Américains morts en 2016, tandis que le taux de suicide aux États-Unis a augmenté de 25 %, entraînant 43 000 décès chaque année.
(…)
Le SSN de l’administration Trump ne fait pas ce qu’il prétend faire – protéger les Américains – en grande partie parce qu’il ne répond pas aux véritables menaces et risques auxquels les Américains sont confrontés. C’est peut-être une politique étrangère ‘America First’ comme le prétend le président, mais elle ne fait pas passer les Américains d’abord. »
Même si elle aborde un grand nombre de questions de politique étrangère, la nouvelle NSS est plus réaliste – en tout cas sur le papier – que la version plus idéaliste de stratégie impériale d’Obama. Il y a moins de blablabla sur les « valeurs » et plus d’accent sur les « rivaux » surtout la Chine et la Russie.
Le fait de qualifier ces deux pays de rivaux implique que les États-Unis considèrent qu’ils sont au même niveau qu’eux. Cela marque la fin de « l’hégémonie » dont se sont targués les États-Unis après l’effondrement de l’Union soviétique. Bien sûr, ils continuent de vouloir se démarquer. Ils viennent d’opposer un véto ridicule à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui réaffirmait que Jérusalem était occupée. Mais voter contre tous les autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies, y compris des alliés proches comme la Grande-Bretagne, n’est pas la marque d’un leader mondial, mais d’un État paria.
Que la « période hégémonique » soit terminée pourrait avoir des aspects très positifs pour le monde. Les États-Unis ont profité du fait qu’ils n’avaient plus d’opposants puissants pour faire plus de guerres :
Les États-Unis ont participé à 46 interventions militaires entre 1948 et 1991, mais ce nombre a quadruplé entre 1992 et 2017 pour atteindre 188.
Les interventions d’après 1991 ont eu lieu alors même que les États-Unis n’avaient plus de raison de « contrer le communisme » et que leurs chances de voir leurs intérêts attaqués militairement étaient plus faibles qu’auparavant. De plus, bon nombre de ces interventions n’ont pas été couronnées de succès. D’autres États ont trouvé des moyens de contrer leur écrasante puissance militaire.
Les États-Unis, à qui plus personne ne pouvait s’opposer, ont cessé de prendre en considération les réactions potentielles des autres pays. Ils n’ont même pas fait preuve du plus élémentaire « respect des opinions de l’humanité ». Ils se sont révélé un danger pour la paix mondiale. Ils sont intervenus partout où ils le pouvaient, sans même prendre en compte leur intérêt national ni les chances de vaincre. La « période d’hégémonie » a coûté aux États-Unis beaucoup d’argent et d’énergie, et elle ne leur a pas rapporté grand-chose.
Si la stratégie américaine était rationnelle, elle devrait admettre que l’approche unilatérale a échoué et mettre l’accent sur d’autres méthodes. Une véritable coopération mondiale et un plus grand usage de la diplomatie seraient probablement plus fructueux que la puissance militaire. Mais la nouvelle Stratégie de sécurité nationale ne va pas dans ce sens. Tout en affirmant qu’elle « va augmenter l’influence américaine » elle ignore ou rejette le changement climatique et le « code de la route » international, comme la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS). L’Administration Trump consacre plus de ressources à l’armée et moins aux mesures de politique étrangère diplomatiques et économiques. Elle est donc fidèle à la position de Trump pendant sa campagne, elle est isolationniste.
On peut soit avoir un rôle hégémonique, soit exercer une influence plus fine en collaborant avec les autres. La méthode hégémonique qui a donné les interventions militaires n’a pas été couronnée de succès. L’approche de la coopération est mise en avant théoriquement dans le SSN, mais écartée dès qu’on en arrive aux choses concrètes. La troisième voie est celle de l’isolationnisme.
En tant que citoyen du monde, je salue cette évolution. Des États-Unis qui ne se sentent plus tout-puissants y réfléchiront sans doute à deux fois avant de lancer de nouveaux conflits. Ils feront moins de tort aux autres et à eux-mêmes.
Traduction : Dominique Muselet