Associated Press dissimule les chiffres réels de l’accord sur les céréales de la mer Noire


Par Moon of Alabama – Le 15 juillet 2023

Il y a deux jours, j’ai écrit à propos des manigances autour de l’accord sur les céréales et je les ai résumées ainsi :

L’accord sur les céréales comportait deux volets. Le premier concernait l’accès sécurisés des navires aux ports ukrainiens. L’autre concernait l’exportation normale de céréales et d’engrais depuis la Russie.

Alors que la Russie avait facilité la première partie de l’accord, l’Occident avait collectivement bloqué la seconde partie.

La création à long terme de canaux de paiement exclusifs pouvant être bloqués et contrôlés par l' »Occident« , comme le propose maintenant Guterres, n’est pas une solution que la Russie soutiendra.

Lorsque vous verrez le prochain titre sur « la Russie bloque les exportations ukrainiennes vers les populations affamées« , gardez à l’esprit ce qui précède.

Aujourd’hui, je suis tombé sur un article d’Associated Press du genre de celui que j’avais anticipé :

Pourquoi le fait de permettre à l’Ukraine d’expédier des céréales pendant la guerre de la Russie est important pour le monde entier

L’article commence ainsi :

Les accords conclus par les Nations unies et la Turquie avec l’Ukraine et la Russie pour permettre à la nourriture et aux engrais d’être acheminés des pays en guerre vers des régions du monde où des millions de personnes souffrent de la faim avaient apaisé les inquiétudes concernant la sécurité alimentaire mondiale. Mais ils sont confrontés à des risques croissants.

L’article affirme ensuite :

L’initiative céréalière de la mer Noire a permis d’exporter 36,2 millions de tonnes (32,8 million de tonnes métriques) de denrées alimentaires d’Ukraine depuis août dernier, dont plus de la moitié vers des pays en développement, notamment ceux qui bénéficient de l’aide du Programme alimentaire mondial (PAM).

La moitié des exportations de céréales ukrainiennes sont-elles réellement destinées aux « pays en développement » ?

J’ai fouiné un peu pour trouver les chiffres. Les Nations unies disposent d’un site web consacré à l’initiative céréalière de la mer Noire (Black Sea Grain Initiative Joint Coordination Centre), qui fournit des explications générales et des données détaillées.

Sous la rubrique « Vessel Movements« , un lien renvoie à une excellente feuille de calcul Google qui fournit les totaux des cargaisons par destination et par produit :

Il répertorie les quantités de chaque type de céréales que les pays ont reçues dans le cadre de l’initiative. Les pays sont classés en quatre types de « groupes de revenus« , divisés en « pays en développement » et « pays développés » et marqués comme « pays les moins avancés » ou « pays relativement avancés« .

Il est possible de trier le tableau par colonne en cliquant sur la cellule supérieure. Lorsque l’on marque plusieurs cellules dans la colonne « tonnes métriques totales », le tableur affiche la somme totale des cellules marquées en bas à droite.

Le total des quantités de céréales répertoriées est de 30 817 452 tonnes métriques.

Le total pour tous les pays marqués comme « développés » est de 14 104 113 tonnes métriques. Le total pour les pays « en développement » est de 18 713 339 tonnes métriques.

L’affirmation d’AP selon laquelle « plus de la moitié » des céréales est destinée aux pays en développement est donc techniquement correcte. Mais la catégorisation pays en développement/pays développés, qui est probablement basée sur des accords de l’Organisation mondiale du commerce vieux de plusieurs décennies, classe la Chine, la Turquie et même plusieurs pays riches dans la catégorie des pays « en développement« .

La Chine, dont le statut de pays « en développement » selon les règles de l’OMC a été remis en question, a reçu la plus grande quantité de produits d’orge, de blé et de tournesol en provenance d’Ukraine, avec un total de 7 963 950 tonnes métriques. La Turquie arrive en troisième position avec un total de 3 289 155 tonnes métriques.

La Chine est un vieux client des produits agricoles ukrainiens. La Turquie est un cas particulier, car elle facilite le transport, bénéficie d’un rabais important et revend la majeure partie de ce qu’elle obtient à des prix plus élevés sur le marché mondial :

La Turquie achète les céréales ukrainiennes avec une remise de 25 %, conformément à l’accord conclu avec l’Ukraine, comme l’a déclaré le ministre turc de l’agriculture et de la sylviculture, Fahit Kirishci. Cette remise s’élève à environ 100 dollars par tonne de céréales. Le 7 juin, le ministre a évoqué le déroulement des négociations trilatérales sur le « corridor céréalier » avec des représentants de l’Ukraine, de la Russie et des Nations unies à Istanbul : …

La Turquie et la Chine, deux pays « en développement« , sont également considérés comme des pays à « revenu moyen supérieur« . En fait, certains pays « en développement« , comme Oman, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, sont même des pays « à revenu élevé« .

Si l’affirmation d’AP selon laquelle plus de la moitié des céréales sont destinées aux « pays en développement » est techniquement correcte, elle ne dit rien d’utile et ne fait qu’obscurcir les chiffres réels.

Le total des exportations de céréales ukrainiennes vers les huit pays « les moins avancés« , dont sept sont également des « pays à faible revenu« , s’élevait à seulement 1 896 077 tonnes métriques, soit 6,8 % du total. À titre de comparaison, l’Espagne, un « pays développé » à « revenu élevé« , a importé un total de 5 980 657 tonnes de céréales d’Ukraine, soit 19,4 % du total.

Les 116 millions d’habitants de l’Éthiopie, un pays « en développement » à « faible revenu« , ont reçu un total de 282 760 tonnes, tandis que les 17,8 millions d’habitants des Pays-Bas, un pays « développé » à « revenu élevé« , ont acheté 1 920 649 tonnes d’aliments pour porcs, principalement à base de maïs.

La plupart des exportations de céréales ukrainiennes ne sont destinées qu’à des pays « où des millions de personnes souffrent de la faim » si on ajoute les poulets, les porcs et le bétail des pays moyennement riches à riches.

Au cours de la prochaine campagne, l’Ukraine aura beaucoup moins de céréales à exporter, alors que d’autres grands producteurs, dont la Russie et le Brésil, ont augmenté leur production. Il n’y aura donc pas de pénurie de céréales sur les marchés mondiaux

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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