Les manigances autour de l’accord sur les céréales


Par Moon of Alabama – Le 13 juillet 2023

En juillet 2022, le secrétaire général des Nations unies et la Turquie ont négocié un accord avec la Fédération de Russie en vertu duquel l’Ukraine serait autorisée à exporter des céréales en les transportant de l’Ukraine vers d’autres pays via la mer Noire. Une deuxième partie de cet accord prévoyait l’allègement des sanctions qui bloquaient ou entravaient les exportations russes de céréales et d’engrais.

L’accord a été conclu après que l’Ukraine a prétendu mensongèrement que la Russie avait miné la route maritime menant aux ports ukrainiens. Les mines avaient été posées par l’Ukraine :

Vendredi, un représentant du ministère ukrainien des affaires étrangères a déclaré que l’Ukraine avait placé des mines. « Nous avons installé des mines navales dans l’exercice de notre droit à l’autodéfense, comme le stipule l’article 51 de la Charte des Nations unies.« 

Certaines de ces mines se sont détachées, ont dérivé vers la Turquie et ont mis en danger la navigation civile.

On a également affirmé haut et fort que les céréales ukrainiennes étaient nécessaires pour nourrir les affamés du monde entier.

L’accord a été prolongé à deux reprises, mais la Russie vient de déclarer qu’elle y mettrait fin. Les sanctions contre la banque d’exportation agricole russe, Rosselkhozbank, qui a été déconnectée du fournisseur central de paiements SWIFT, et l’incapacité de la Russie et d’autres pays à obtenir des assurances pour les navires exportant depuis la Russie sont les principaux facteurs de rupture de l’accord :

La Russie insiste sur le fait que l’accord n’a pas fonctionné pour ses propres exportations, accusant les sanctions occidentales d’en entraver le financement et l’assurance.

Alors que les sanctions n’affectent pas les denrées alimentaires et les engrais, Moscou cherche à échapper aux restrictions imposées à la Banque agricole russe, ainsi qu’à acheminer son ammoniac, ingrédient clé des engrais, vers un port ukrainien de la mer Noire. Mais le pipeline d’ammoniac a été endommagé par la guerre, selon l’ONU.

« Il est encore temps de mettre en œuvre la partie des accords qui concerne notre pays. Jusqu’à présent, cette partie n’a pas été respectée« , a déclaré la semaine dernière à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. « C’est pourquoi, pour l’instant, nous ne voyons malheureusement aucune raison particulière de prolonger cet accord. »

Le pipeline d’ammoniac a été détruit par l’Ukraine. La Russie veut avoir la garantie que cela ne se reproduira pas.

Il s’est également avéré que le flux de céréales en provenance de l’Ukraine n’a pas été distribué aux personnes souffrant de la faim :

Une enquête récente menée par le média autrichien eXXpress indique toutefois que ce n’est pas le cas. Près de la moitié des exportations ukrainiennes de blé et de maïs vers l’Union européenne ont fini par nourrir les porcs espagnols qui produisent le célèbre jambon.

Selon eXXpress, seuls 15 % des exportations ont abouti dans les pays menacés par la famine, dont 167 000 tonnes en Éthiopie et 65 000 tonnes au Soudan. L’Espagne, quant à elle, a reçu 2,9 millions de tonnes de blé et de maïs en provenance d’Ukraine.

Il est également beaucoup moins nécessaire d’exporter des céréales d’Ukraine par voie maritime. Une partie de ses exportations de céréales est désormais acheminée par voie terrestre et fluviale vers la Roumanie et, de là, vers le reste du monde. D’autres exportations inondent les pays européens de céréales bon marché. Cela a entraîné une dislocation locale des marchés agricoles, notamment en Moldavie et en Pologne.

En raison du manque d’hommes et de diesel, la nouvelle récolte en Ukraine sera probablement bien inférieure à celle des années précédentes :

En 2023, les agriculteurs ukrainiens pourront ensemencer 45 % des champs de céréales et récolter 60 % de céréales en moins qu’en 2022, a estimé Alex Lissitsa, PDG du club ukrainien des entreprises agricoles (UCAB).

Cette forte dynamique négative de la production est la conséquence de plusieurs facteurs. En outre, les champs abandonnés sont associés à une baisse de la productivité, à de faibles exportations et à une inflation galopante. Si ces prévisions se réalisent, la récolte de céréales de cette année sera la plus faible depuis l’indépendance de l’Ukraine.

Pourtant, le secrétaire général des Nations unies tente encore de proposer un nouvel accord :

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a proposé au président russe d’étendre l’accord permettant l’exportation sécurisée de céréales de l’Ukraine vers la mer Noire en échange de la connexion d’une filiale de la banque agricole russe au système de paiement international SWIFT, ont déclaré des sources à Reuters.

L’une des principales exigences de Moscou est la reconnexion de la banque agricole russe Rosselkhozbank au réseau de paiement international SWIFT. L’Union européenne l’a coupée du réseau en juin 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Un porte-parole de l’UE a déclaré en mai que l’UE n’envisageait pas de réintégrer les banques russes.

Toutefois, l’UE envisage de connecter à SWIFT une filiale de Rosselkhozbank afin de permettre spécifiquement les transactions de céréales et d’engrais, ont déclaré mercredi à Reuters trois sources au fait des discussions. La Commission européenne n’a pas répondu immédiatement à une demande de commentaire.

Guterres a proposé à Poutine que la Russie autorise la poursuite de l’accord sur les céréales de la mer Noire pendant plusieurs mois, ce qui donnerait à l’UE le temps de connecter une filiale de Rosselkhozbank à SWIFT, ont déclaré à Reuters deux de ces sources au fait des discussions.

Cette solution de la filiale pose deux problèmes. Il n’existe pas de filiale appropriée de Rosselkhozbank. Sa création prendrait du temps. Si seuls les paiements à l’exportation, désormais impossibles, passaient par une filiale, l’UE aurait un certain contrôle sur ces exportations. Elle saurait où elles sont acheminées et pourrait alors faire pression sur les destinataires. Il resterait également le problème des paiements en dollars américains à la Rosselkhozbank et aux exportateurs russes. L’UE ne peut pas résoudre ce problème, mais les États-Unis peuvent le faire en levant leurs sanctions à l’encontre de Rosselkhozbank.

La Russie a donc déjà rejeté le plan Guterres :

La porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, a déclaré la semaine dernière que Moscou ne serait pas satisfaite d’une telle proposition parce qu’il faudrait « de nombreux mois » pour ouvrir une filiale et trois autres mois pour la connecter à SWIFT.

Elle a également rejeté une tentative de l’ONU de créer un canal de paiement alternatif entre Rosselkhozbank et la banque américaine JP Morgan.

La filiale de Rosselkhozbank, qui n’existe pas encore, permettrait à l’UE d’exercer un certain contrôle sur les exportations russes. Un canal de paiement exclusif en dollars américains entre Rosselkhozbank et JP Morgan donnerait aux États-Unis un instrument similaire.

En résumé :

L’accord sur les céréales comportait deux volets. Le premier concernait l’accès des navires aux ports ukrainiens. L’autre concernait l’exportation normale de céréales et d’engrais à partir de la Russie.

Si la Russie a facilité la première partie de l’accord, l’Occident a collectivement bloqué la seconde.

La création à long terme de canaux de paiement exclusifs pouvant être bloqués et contrôlés par l' »Occident« , comme le propose maintenant Guterres, n’est pas une solution que la Russie soutiendra.

Lorsque vous verrez le prochain titre sur « la Russie bloque les exportations ukrainiennes vers les populations affamées« , gardez à l’esprit ce qui précède.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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2 réflexions sur « Les manigances autour de l’accord sur les céréales »

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