Ces propositions qui ne mènent nulle part ne cherchent qu’à gagner du temps pour permettre aux États-Unis de quitter le pays en sauvant l’honneur.
Par Moon of Alabama – Le 23 mars 2021
L’accord de Doha entre les États-Unis et les talibans comprend une promesse des talibans de ne pas attaquer les troupes américaines ou les grandes villes. En échange, les États-Unis ont promis de quitter l’Afghanistan d’ici le 1er mai. Le problème pour les États-Unis est que quitter l’Afghanistan conduira inévitablement à un nouveau régime taliban, probablement en quelques mois. Les États-Unis auraient alors l’air d’avoir failli. C’est une chose que Washington n’aime pas du tout.
Début mars, l’administration Biden a lancé une nouvelle initiative de paix en Afghanistan. Celle-ci propose de créer un nouveau gouvernement intérimaire avec la participation des talibans et dans le cadre d’une nouvelle constitution. L’idée est de maintenir une certaine image de normalité qui puisse tenir quelques mois pendant que les États-Unis se retirent. Nous avons déjà expliqué que cette idée avait peu de chances de se réaliser :
Le président Ghani est furieux au sujet de la lettre de Blinken. D'autres groupes d'intérêt au sein du gouvernement afghan la rejettent également. Ils pensent que c'est du bluff. À moins que les États-Unis n'arrêtent le flux d'argent vers Kaboul et ne retirent leurs troupes, Ghani et les autres n'ont pas besoin de faire bouger les choses. Les talibans rejetteront également ces propositions. Ils veulent que les États-Unis partent et ils sont sûrs qu'après cela, ils pourront gagner la guerre civile et réinstaller leur émirat islamique. Leurs partisans au Pakistan et en Arabie Saoudite sont également convaincus qu'il n'est pas nécessaire de changer de cap. La nouvelle proposition américaine est donc une impasse.
Aujourd’hui, le président Ashraf Ghani a fait une contre-proposition qui a une chance similaire de ne pas se réaliser :
Le président afghan Ashraf Ghani proposera une nouvelle élection présidentielle dans les six mois, dans le cadre d'un plan de paix qu'il présentera comme une contre-offre à une proposition américaine qu'il rejette, ont déclaré à Reuters deux hauts responsables du gouvernement. Ghani dévoilera sa proposition lors d'un rassemblement international en Turquie le mois prochain, signalant son refus d'accepter le plan de Washington qui prévoie de remplacer son gouvernement élu par une administration intérimaire, ont précisé les responsables. ... "La contre-proposition que nous allons présenter à la réunion d'Istanbul sera d'organiser des élections présidentielles anticipées si les talibans acceptent un cessez-le-feu", a déclaré un haut responsable du gouvernement sous couvert d'anonymat. Un autre responsable du gouvernement afghan a déclaré : "Le président n'acceptera jamais de se retirer et tout futur gouvernement devrait être formé par un processus démocratique, et non par un accord politique." Un troisième haut fonctionnaire a également déclaré que la proposition de Ghani inclurait d'éventuelles élections anticipées, sans toutefois préciser le calendrier exact du scrutin. Le troisième responsable a déclaré que Ghani avait déjà partagé sa feuille de route avec Khalilzad. ... Les responsables afghans ont déclaré que dans le cadre de la contre-proposition de Ghani, son gouvernement demanderait aux Nations unies d'observer de près la nouvelle élection afin de s'assurer qu'elle est acceptée par toutes les parties.
Il est impossible qu’une élection crédible puisse avoir lieu en Afghanistan dans les prochaines années. Si les États-Unis veulent se retirer d’Afghanistan en laissant derrière eux un gouvernement qui fonctionne, ils doivent écarter Ghani. Comme les États-Unis détiennent le porte-monnaie sans lequel Ghani ne peut rien faire, cela ne devrait pas être trop difficile à faire.
Entre-temps, les talibans ont proposé leur propre plan, qui permettrait aux États-Unis d’avoir un peu de temps pour sauver l’honneur :
Les talibans ont confirmé qu'ils avaient partagé avec les États-Unis un plan de réduction de la violence (RIV) sur 90 jours, mais ont déclaré qu'il n'y avait pas eu d'accord global sur ce plan jusqu'à présent. Le porte-parole des talibans, Mohammad Naeem, a déclaré à TOLOnews que la réduction de la violence ne signifiait pas un cessez-le-feu, mais qu'elle entraînerait une diminution de toutes les opérations menées par le groupe en Afghanistan. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken, dans sa lettre au président Ashraf Ghani, a fait référence à ce plan et a répété que ce dernier empêchera les talibans d'annoncer leur offensive dite de printemps. Mais le porte-parole des talibans, Mohammad Naeem, a déclaré que ce plan avait été proposé par les talibans dès décembre et qu'un accord n'avait pas encore été trouvé. "Nous avons proposé un projet en décembre, qui impliquait une réduction de toutes les opérations, mais jusqu'à présent, aucun accord final n'a été atteint", a déclaré Naeem lundi.
Lorsque l’Union soviétique avait des troupes en Afghanistan, elle a formé l’armée afghane à un niveau raisonnable. Elle a également fourni des armes faciles à utiliser et nécessitant peu d’entretien. Après le départ des Soviétiques d’Afghanistan, cette armée a tenu tête aux moudjahidines soutenus par les États-Unis pendant encore trois ans. Elle n’a faibli que lorsque l’Union soviétique a coupé son aide financière et matérielle.
Les États-Unis n’ont jamais réussi à former l’armée et la police afghanes à un niveau raisonnable. Ils ont également fourni des armes et des systèmes qui ne peuvent être entretenus sans aide extérieure. Sans le soutien des États-Unis sur le terrain et dans les airs, cette armée risque de s’effondrer en quelques jours :
Au cours des deux dernières décennies, les États-Unis ont investi plus de 88 milliards de dollars pour construire, former et équiper les troupes et la police afghanes - et pourtant les talibans restent clairement une force de combat supérieure. ... John Sopko, l'inspecteur général de la reconstruction en Afghanistan, d'une honnêteté brutale, tire la sonnette d'alarme depuis des années sur la façon dont la corruption, le gaspillage et la fraude neutralisent effectivement les efforts du gouvernement américain pour insuffler la vie aux forces de sécurité afghanes. "L'armée afghane - et particulièrement la police afghane - a été un cauchemar sans fin et un désastre", a averti Sopko au Congrès en janvier 2020. ... "Sur la base de tout le travail que nous avons effectué, il semble évident que la plus grande erreur que nous avons commise a été d'essayer de construire une armée afghane à notre image et qui nous ressemble", a déclaré Sopko. "En d'autres termes, une armée qui utilise les systèmes, les équipements et les armes de notre armée. Car c'est un pays où une énorme partie de la population est analphabète, où il y a très peu d'électricité, et très peu d'internet." ... "Actuellement, le gouvernement afghan n'a qu'une capacité limitée d'acheminer de la nourriture, des munitions, des fournitures médicales, et ainsi de suite, aux unités sur le terrain", a déclaré Sopko. "Comme l'a récemment souligné le SIGAR [le bureau de l'inspecteur général spécial pour la reconstruction de l'Afghanistan], les Afghans n'ont pas non plus la capacité d'entretenir leur équipement. Sans le développement de ces fonctions essentielles, la ANDSF ne sera jamais en mesure de se maintenir." ... Malgré deux décennies et des milliards de dollars de soutien, les forces de sécurité afghanes ne peuvent survivre sans aide extérieure. Les talibans, eux, le peuvent. Cet avantage sera décisif lorsque les troupes américaines quitteront le pays.
Temps et argent ont été gaspillés parce que les États-Unis n’ont jamais eu la prévoyance stratégique de planifier leur départ d’Afghanistan. Ils devront pourtant bien le faire.
Il y a quelques jours à peine, un avertissement a été lancé disant que la reprise de la lutte contre les talibans entraînerait probablement un nombre élevé de victimes américaines avec de faibles chances de succès.
Lotfullah Najafizada @LNajafizada - 8:13 UTC - Mar 20, 2021 Des images exclusives de TOLOnews montrent la chute de l'hélicoptère de l'armée immédiatement après son décollage de Behsud, où les hélicoptères transportaient des victimes de la police. Des sources nous disent qu'un missile anti-aérien a été utilisé dans l'attaque par les milices d'AliPoor. vidéo
Alipoor est un chef de guerre et un leader de l’ethnie Hazaras, une communauté principalement chiite. Ses milices sont actuellement en conflit avec le gouvernement mais se méfient également des talibans. Mais si les milices d’Alipoor ont accès à des missiles portables de défense aérienne (MANPAD) et savent les utiliser, les Talibans disposeront également bientôt de ces capacités. L’armée américaine est très dépendante du transport aérien et du soutien aérien. Reprendre les combats deviendrait alors trop coûteux.
Il n’y a plus rien d’autre à faire pour les États-Unis que de partir.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
Ping : Afghanistan. Yankees go home – Saint Avold / The Sentinel