… ou la manufacture de la haine
Il y a deux noms d’écrivains qui déclenchent souvent une réaction très forte et hostile de la part de nombreux Russes : Alexandre Soljenitsyne et Vladimir Rezoun alias «Viktor Souvorov». La liste des accusations contre ces deux hommes est généralement la suivante :
- Alexandre Soljenitsyne : il décomptait environ 66 millions de personnes tuées par le régime soviétique, il parlait favorablement du général Andrei Vlasov, il était un larbin de la CIA, il était antisémite, russe nationaliste et monarchiste. Enfin, il y a un dicton populaire dans la Russie moderne qui s’énonce : «montrez-moi un activiste antisoviétique (« антисовечик ») et je vous montrerai un russophobe» – ce qui fait de Soljenitsyne un russophobe.
- Vladimir Rezoun : c’est un traître, il est le créateur de la théorie selon laquelle Hitler n’a fait que devancer une attaque soviétique que Staline était sur le point de lancer, c’est un agent du MI-6 britannique pour diffuser de telles théories russophobes.
Ce que j’aime faire quand j’entends ces opinions, c’est de poser une question simple : combien de livres de Soljenitsyne et / ou Rezoun avez-vous réellement lus ?
La réponse est généralement assez nébuleuse. Elle se réfère principalement à un ou deux livres – tout au plus – et à un certain nombre d’articles – souvent des articles qui ne sont même pas écrits par l’un ou l’autre auteur, mais des interprétations, souvent «créatives».
Cela me rappelle une vieille blague soviétique : «Un responsable du Parti vient dans une usine ou un bureau pour prononcer une conférence politique et met en miettes un exemplaire du célèbre ‘archipel du Goulag’ de Soljenitsyne, le qualifiant d’horrible collection de mensonges. L’un des travailleurs présents demande au responsable du Parti s’il a lu l’ensemble du livre ce à quoi le responsable du Parti répond : ‘Je ne lis pas de telles saletés antisoviétiques !’»
Il y a beaucoup de vérité là-dedans, car j’ai rarement rencontré des ennemis de Soljenitsyne qui ont lu au moins quelques livres de lui.
Eh bien, il se trouve que j’ai découvert Soljenitsyne à l’âge de seize ans et que j’ai continué à étudier ses écrits pour le reste de ma vie. Pendant des années et des décennies, j’ai lu plusieurs fois chaque livre et article que Soljenitsyne a écrit – au moins deux fois. Quant à Rezoun, j’ai lu tous ses livres non fictionnels – je n’aime pas du tout sa fiction -, donc je veux carillonner ici et partager avec vous, lecteur, mon opinion strictement personnelle sur ces deux auteurs, et hommes.
Tout d’abord, je commencerai par quelques observations générales.
D’une part, Soljenitsyne et Rezoun sont tous deux des écrivains formidables et c’est une honte de ne pas les lire ! Leurs styles sont cependant radicalement différents : Soljenitsyne est souvent comparé à Dostoïevski, à juste titre, même si cela s’applique davantage au contenu et à la vision du monde qu’au style. Je dirais que le style de Soljenitsyne est unique et très inégal. Son chef-d’œuvre est, du moins à mon avis, «l’archipel du Goulag», le pire étant ses poèmes. Oui, je sais, ce n’est pas un roman, ni un de ses chefs-d’œuvre purement littéraires – disons comme « Le Pavillon des Cancéreux » ou « Le Premier Cercle » -, mais personnellement, je trouve que « L’archipel du Goulag » est son livre le plus puissant, non seulement par son contenu, mais aussi par le style et la langue. Son autre chef-d’œuvre est, toujours à mon avis totalement subjectif, son immense cycle «La Roue Rouge», en particulier «Août quatorze» et «Novembre Seize». À l’autre bout du spectre, j’aime aussi ses nouvelles («Крохотки»). Même à l’aune de toute mesure semi-objective, l’homme est un géant littéraire de l’envergure de Tolstoï ou de Dostoïevski.
Personne ne dirait ça à propos de Rezoun. Son style pourrait être décrit comme «terre à terre» sinon carrément «sensationnaliste» – au sens de «journalisme à sensation». Mais ce n’est pas un problème. Ce qui manque à Rezoun en termes d’élégance et de rigueur académique, il fait plus que le compenser avec un style d’écriture très vivant et divertissant, des idées vraiment accrocheuses et beaucoup de «non-sens créatif». Je n’ai aucun problème avec quelqu’un qui déteste Rezoun en tant que personnage, traître par surcroît, ou qui déteste son style vulgaire, mais ne me dites pas qu’il n’écrit pas bien : des millions de personnes lisent ses livres avec une fascination et une satisfaction immenses. L’homme a un talent indéniable.
Ce qui précède est juste pour souligner que ceux qui disent qu’ils n’ont pas lu ces auteurs parce qu’ils détestent leur style ne sont probablement pas très honnêtes et il est beaucoup plus probable qu’ils n’ont pas lu ces auteurs à cause du contenu de leurs livres. C’est ce que nous examinerons ensuite. Plus précisément, je vais d’abord m’occuper d’Alexandre Soljenitsyne, il est le plus complexe des deux.
Alexandre Solzjenitsyne
La toute première chose dont nous devons nous souvenir est que Soljenitsyne est né en 1918, ce qui signifie qu’il a été élevé par une génération de Russes qui se souvenaient de la Russie d’avant 1917. La deuxième chose que nous devons également garder à l’esprit est qu’il a été élevé par une génération qui se souvenait du chaos du régime de Kerenski suivi du bain de sang du coup d’État bolchevique qui lui-même a été suivi de l’orgie sanglante de la guerre civile russe.
Pourquoi est-ce si important ?
Parce que sa hantise de l’anti-soviétisme était beaucoup plus comparable à celle que nous pourrions voir dans la Garde blanche ou dans l’émigration russe de première génération – ces quelque 2 millions de Russes qui ont quitté la Russie après le coup d’État bolchevique. Cela explique, par exemple, pourquoi Soljenitsyne a tant écrit sur le rôle des Juifs dans les premiers gouvernements bolcheviks : c’est un sujet qui était au centre de la perception de la Garde blanche et des émigrés russes de première génération.
Il est également assez clair que si Soljenitsyne avait déjà des sentiments antisoviétiques avant son arrestation, il est évident que son incarcération d’abord dans un camp de travail et, plus tard, dans une prison spéciale pour scientifiques a exposé Soljenitsyne à encore plus d’individus et d’idées antisoviétiques.
Bien sûr, rien de tout cela n’excuse les faux chiffres – ou les opinions politiques erronées – que Soljenitsyne aurait pu avancer, mais cela explique d’où ils viennent et pourquoi Soljenitsyne les a considérés comme crédibles. Personnellement, j’ai été élevé dans cette culture politique de la «Garde blanche» et de la «Première émigration», et je peux vous assurer que les vues de Soljenitsyne étaient vraiment très «dominantes» parmi les Russes qui se souvenaient encore de la Russie pré-révolutionnaire.
Ensuite, Soljenitsyne lui-même a décrit comment il avait demandé à tous ses codétenus – les «zeks» dont il parle dans l’archipel du Goulag – de lui envoyer tous les documents historiques, mémoires, documents universitaires, etc. qu’il leur serait possible pour écrire l’histoire du Goulag. Il va sans dire que les archives soviétiques ne lui ont pas été ouvertes à cette fin, pas plus que le KGB ne s’est proposé comme Amicus curiae pour aider Soljenitsyne.
Donc, pour récapituler, ce qui est important ici, ce sont les sources d’information de Soljenitsyne :
- Les Russes d’avant 1917 qui se souvenaient des horreurs de la révolution et de la guerre civile
- Les articles et mémoires des Gardes blancs et de la Première immigration
- La proximité de personnes arrêtées pour activités antisoviétiques – le célèbre article 58 -, coupables ou innocentes, et incarcérées avec lui
- Les articles d’universitaires occidentaux, de personnalités politiques, de groupes de réflexion, c’est à dire la «propagande occidentale». Est-ce une grande surprise que Soljenitsyne se soit trompé sur beaucoup de choses, surtout que l’État soviétique offrait très peu d’informations historiques crédibles ?
Aparté 1 Ici, je dois insérer un aparté assez long sur la nature de l'État soviétique. À mon avis, au cours de son histoire, le régime soviétique a changé assez souvent et de façon spectaculaire. Personnellement, je proposerais la chronologie suivante : 1 - Les premières années : le coup d'État bolchevique (1917-1922), puis la guerre civile, suivie de la grande terreur juive de Iagoda, Frenkel, Ezhov, etc. des années du soi-disant «communisme de guerre», [la guerre contre l'invasion par la coalition des pays occidentaux, NdT], de la NEP [Nouvelle économie politique], et de la collectivisation, de la famine et enfin de la «dékoulakisation» (1932-1933). Cette période se termine avec les dénommées «purges de Staline» (1936-1938). 2 - La préparation de Staline à la Seconde Guerre mondiale : (1936-1941). Au cours de cette période, la plupart de la «vieille garde» bolchevique a été exécutée, emprisonnée ou rétrogradée, et une toute nouvelle génération de commandants, les «généraux de Staline», a été placée dans tous les postes militaires et civils clés. 3 - La Grande Guerre patriotique : (1941-1945). Cette période dramatique qui a vu la nation russe se battre pour sa survie a également vu un changement vraiment dramatique dans la culture politique : l'ancienne russophobie bolchevique a été remplacée par des éloges à la nation héroïque russe, les grades militaires ont été entièrement rétablis, avec les épaulettes russes traditionnelles, les églises ont été rouvertes et les répressions considérablement réduites. 4 - L'après-guerre et les dernières années de Staline : (1945-1961). Cette période a vu une renaissance quasi-miraculeuse de l'Union soviétique des cendres de la Seconde Guerre mondiale et une période de prospérité et de stabilité. Alors que Staline a probablement été assassiné par son entourage en 1953 et son principal bourreau, Lavrenti Beria, exécuté peu de temps après - également en 1953 - leur héritage de prospérité et de stabilité a duré bien au-delà du 22e Congrès du PCUS qui a vu Khrouchtchev faire un virage à 180° et dénoncer soudainement Staline, le culte de la personnalité et la réhabilitation de millions de Russes innocents. 5 - La grande trahison : (1961-1964). Khrouchtchev fut le pire, le plus immoral, le plus incompétent, le plus hypocrite, le plus inepte et le plus ignoble des dirigeants soviétiques - Eltsine était dans la même ligue, selon ma non-humble opinion. C'était aussi un tyran sanguinaire. Pourtant, peut-être pour cacher sa propre incompétence et sa haine enragée envers Staline, il a libéralisé l'Union soviétique dans une mesure non négligeable, mais tout comme dans le cas de la «glastnost» de Gorbatchev - sa «nouvelle ouverture» n'a pas aidé l'Union soviétique, loin de là. Finalement, Krouchtchev lui-même a été renversé par Brejnev, mais il était déjà trop tard, alors que jusqu'en 1961, la plupart - ou du moins beaucoup - de Russes croyaient en l'idéal du marxisme-léninisme et faisaient confiance à leurs dirigeants, après le choc du 22e congrès du PCUS, une période de profonde désillusion s'est progressivement installée. Cela ne s'arrêtera vraiment qu'en 2000 ! 6 - La déconstruction au ralenti de l'État soviétique, suivie de l'effondrement inévitable : (1964-1991). La plupart d'entre nous se souviennent de Brejnev. Certains se souviennent probablement aussi d'Andropov. Quelqu'un se souvient-il même de Tchernenko ? Puis vint «Gorbi» et, pendant quelques heures, Ianaev - lors du coup d'État du GKChP en 1991 - puis l'Union soviétique fut déclarée morte. Il est essentiel de comprendre ici que chacune de ces six périodes a produit une culture populaire et politique très différente. Ainsi, alors qu'en Occident vous entendez souvent des généralisations sur «les Soviétiques», la vérité est qu'il n'y a jamais eu une seule culture soviétique monolithique. L'exemple parfait d'un contraste net serait de comparer la génération qui a traversé les horreurs de la période de la petite enfance de l'URSS (1917) avec la génération qui a vaincu la machine de guerre nazie et a ensuite envoyé le premier homme dans l'espace. Quant à Soljenitsyne, il était en grande partie un produit de la petite enfance et devrait être évalué en fonction de ce contexte historique et non en fonction des critères à la disposition d'un historien professionnel moderne ayant un accès complet à de nombreuses archives précédemment secrètes.
Ensuite, nous devons examiner l’accusation selon laquelle Soljenitsyne était un apologiste du général Vlasov.
La réponse laconique est que oui, Soljenitsyne a justifié la trahison du serment par le général Vlasov en disant que l’Union soviétique avait trahi Vlasov bien avant que Vlasov ne trahisse l’Union soviétique. De plus, il ne fait aucun doute que Soljenitsyne détestait absolument Staline qu’il considérait comme un vicieux meurtrier de masse. Comment pouvait-il ne pas approuver que quelqu’un prenne les armes contre Staline ? La conclusion de Soljenitsyne était que si le peuple russe n’avait pas saisi cette occasion pour renverser le régime soviétique, alors il aurait vraiment prouvé au monde qu’il était un esclave passif.
Aparté 2
L'un des objectifs que Soljenitsyne s'est fixé lorsqu'il a écrit l'archipel du Goulag était de démystifier une théorie occidentale populaire qui dit quelque chose comme ceci : «Les Russes n'ont jamais connu la liberté et ils s'en moquent. Les Russes ont une mentalité d'esclave et tout ce qu'ils veulent, c'est une sorte de dictateur - tsar ou commissaire, cela ne fait aucune différence pour eux - pour les gouverner avec une poigne de fer.» L'une des choses que Soljenitsyne a voulu prouver était que, loin d'être passif ou semblable à un esclave, le peuple russe a résisté au régime bolchevique au moins jusqu'en 1946 ! Que veut-il dire par là ? Il se réfère au fait qu'entre 1917 et 1941, le régime soviétique a été constamment menacé par toutes sortes d'ennemis, des monarchistes aux trotskystes, et qu'à la suite de l'invasion nazie de l'URSS, le peuple russe a simplement saisi cette occasion de se soulever contre les bolcheviks. De ce point de vue, l'ensemble du phénomène Vlasov n'est rien d'autre qu'une continuation de la guerre civile. Pour résumer, lorsque les russophobes occidentaux aimaient se vanter que les Russes avaient une mentalité d'esclave - beaucoup l'ont fait, en particulier les soi-disant «spécialistes de la région russe, puis soviétique» - ceux-ci ont résisté, pendant 30 ans ! [à toutes les agressions extérieures]. Vous, les gens de l'Occident, en revanche, non seulement avez opposé très peu de résistance aux nazis, mais la plupart d'entre vous sont devenus des serviteurs fidèles et obéissants d'Hitler ! La réalité est que nous, les Russes aimons beaucoup plus la liberté que vous, c'est pourquoi vous ne pouvez pas nous occuper et pourquoi il est si difficile de régner sur nous.
Bien que je ne puisse personnellement pas justifier la trahison par Vlasov de son serment, je suis fondamentalement d’accord pour dire que le régime soviétique n’a atteint son plein pouvoir et sa sécurité qu’après la fin de la guerre.
Quel que soit le cas, cela surprend-il vraiment quelqu’un que Soljenitsyne ait de telles opinions ? Celles-ci étaient, en fait, assez courantes chez ceux qui se souvenaient encore de la Russie d’avant 1917. À bien des égards, Soljenitsyne était un pur produit de la culture politique des premières années du régime soviétique et je le vois culturellement beaucoup plus proche des Russes d’avant 1917 que des Russes qui étaient déjà élevés sous le régime soviétique.
Cela n’empêche pas que Soljenitsyne a appréhendé certains faits, même cruciaux, de façon erronée.
Aparté 3 C'est bien et amusant de s'asseoir confortablement dans nos chaises et de critiquer ceux qui ont eu tort dans le passé, mais fondamentalement, c'est à la fois logiquement mauvais et moralement hypocrite. La vérité est que l'histoire, toute l'histoire, y compris notre histoire récente, regorge de mythes, de généralisations, de simplifications, de rumeurs et, surtout, de mensonges. Nous connaissons tous le 11 septembre, mais ce n'est guère un exemple unique. Quelqu'un se souvient-il du «massacre de Timisoara» ou, mieux encore, du «génocide de Srebrenica» ? En parlant de Srebrenica, que diriez-vous des non moins faux «massacres» à Markale ou Racak ? Que diriez-vous du colonel Kadhafi donnant du Viagra à ses hommes pour violer des femmes libyennes ? Ou cette jeune infirmière innocente du Koweït qui a rapporté que les Irakiens jetaient des bébés hors des incubateurs ? Ce n'étaient que des mensonges. Et puis, il y a les cas beaucoup plus graves, y compris la vérité historique sur le soi-disant «Holocauste». Ou savoir qui porte la responsabilité du démarrage de la Seconde Guerre mondiale ? Que diriez-vous des procès de Nuremberg, que certains ont salués comme une énorme victoire pour l'humanité civilisée, tandis que beaucoup d'autres l'ont qualifiée de «tribunal bidon» des vainqueurs ? Qu'en est-il du Tribunal sur l'ex-Yougoslavie ? Pensez-vous que c'était un superbe exemple de justice, ou une opération grossière de dénonciation de la nation serbe ? Si nous ne pouvons même pas nous mettre d'accord sur notre histoire récente, vous attendez-vous vraiment à ce que des gens de périodes très différentes - comme tous les Russes aujourd'hui, en fonction de leur âge - se mettent d'accord sur leur histoire, même cruciale ? Bien sûr que non ! Donc, ce que nous devons faire maintenant, c'est de ne pas "évacuer" telle ou telle personnalité et l'accuser de mentir, ce serait une chose typiquement soviétique : dénoncer un ennemi supposé et exiger qu'il soit puni et réduit au silence. Nous devons d'abord considérer ce que cette personne savait et ne savait pas au moment où elle a vraiment écrit, et/ou dit, ce que nous considérons maintenant comme des mensonges. L'erreur est humaine, elle est donc excusable. Mentir délibérément est quelque chose de tout à fait différent.
Dans le cas de Soljenitsyne, il n’y a absolument aucune preuve de tromperie délibérée de sa part. En fait, le nombre de 66 millions de morts au goulag n’est même pas le sien. Comme je l’ai déjà souligné dans le passé.
Voici ce qu’il a réellement écrit dans ce célèbre archipel du Goulag sur la terreur soviétique :
« Selon les estimations du professeur de statistique exilé IA Kurganov, de 1917 à 1959, et à l’exclusion des pertes de guerre, uniquement en raison de la destruction terroriste, de la répression, de la faim, de la mortalité élevée dans les camps, et notamment du faible taux de natalité qui a suivi, le montant du nombre des victimes est de 66,7 millions de personnes » L’archipel du Goulag , partie 3, chapitre 1.
Et dans une interview en 1976, Soljenitsyne a déclaré :
«Le professeur Kurganov a indirectement calculé que, de 1917 à 1959, et uniquement du fait de la guerre interne du régime soviétique contre son propre peuple, à savoir : la destruction due à la famine, à la collectivisation, à la déportation des paysans vers les prisons, les camps et aux exécutions simples – rien que par ces causes – nous avons perdu, avec notre guerre civile, 66 millions de personnes.»
Ces chiffres incluent la sanglante guerre civile, le soi-disant «communisme de guerre», les nombreuses insurrections anti-bolcheviques, comme celle de Tambov, les décès résultant de la soi-disant «collectivisation» et de la «dékoulakisation», la «répression politique pure» sous le tristement célèbre article 58 du Code pénal et le faible taux de natalité qui en résulte. Nous parlons donc d’une estimation au «grand maximum».
La première chose que nous pouvons noter ici est que, tandis que le professeur Kurganov a essayé d’arriver à un chiffre «maximum», les archives soviétiques – qui montrent un nombre considérablement plus faible de personnes arrêtées et / ou exécutées – ne traitaient que du nombre de personnes effectivement condamnées en vertu de la loi soviétique et ne prend pas en compte les événements spécifiques que Kurganov a choisi d’inclure.
Ainsi, la comparaison directe des chiffres de Kurganov avec les documents officiels soviétiques consiste à comparer des choux et des carottes.
Pourtant, Soljenitsyne détestait clairement les bolcheviks et le régime soviétique, ce qui l’a probablement incité à accepter des faits et des chiffres qu’il aurait dû vérifier beaucoup plus attentivement.
Il y a aussi beaucoup de preuves que, sur le plan idéologique, Soljenitsyne était un monarchiste dans la lignée générale de Fedor Dostoïevski, Lev Tikhomirov ou du professeur Ivan Iline – que Poutine semble également citer très souvent… – et qu’il avait une aversion intense, non seulement pour le marxisme ou le léninisme, mais même pour la social-démocratie «modérée» – qu’il considérait comme incapable de résister à l’Union soviétique et à ses alliés. Nous savons également avec certitude que Soljenitsyne n’avait rien de bon à dire sur les démocraties occidentales ou la vision du monde capitaliste. Cependant, Soljenitsyne n’était guère un «réactionnaire» typique, car il avait très peu de bonnes choses à dire sur la Russie d’avant 1917, y compris son dernier tsar. En vérité, Soljenitsyne était un idéaliste russe typique qui combinait des opinions plutôt libérales, voire modernistes, sur l’Église orthodoxe russe avec une aversion assez forte pour le système politique mis en place par Pierre Ier, souvent appelé «Le Grand» par les occidentaux. En fait, je dirais qu’il existe au moins trois «Soljenitsynes» différents qui doivent être considérés séparément :
Soljenitsyne l’auteur : ici, c’est une question de goût personnel. Il a obtenu un prix Nobel de littérature, mais nous comprenons tous que le Comité Nobel n’est qu’un instrument de la machine de relations publiques anglo-sioniste. Personnellement ? Il est l’un de mes auteurs russes préférés avec, dans un style totalement différent, Sergueï Loukianenko.
Soljenitsyne l’historien : ici, chaque mot qu’il a écrit doit être revu et soigneusement évalué à la lumière de ce que nous pensons maintenant savoir. Cela est particulièrement vrai de son archipel du Goulag que Soljenitsyne a appelé «une expérience d’investigation littéraire» indiquant ainsi clairement qu’il s’agissait, par définition, d’un travail en cours, d’une expérience et d’une enquête. Comme je l’ai écrit récemment, il n’y a pas d’histoire valable qui ne soit révisionniste, et avec Soljenitsyne à la fois si célèbre et si discutable, il est naturel que ses écrits fassent l’objet d’un barrage concerté de critiques et de réévaluation.
Soljenitsyne le philosophe : encore une fois une affaire de goût personnel. Je dirais qu’Alexandre Soljenitsyne est un géant debout sur les épaules d’autres géants tels que Khomiakov, Dostoïevski, Iline, Solonevich, Leontiev, Tikhomirov, Rozanov et bien d’autres. À l’heure actuelle, son héritage philosophique est complètement obscurci par les discussions historiques, mais ce pendule finira par basculer dans l’autre sens, puis sa philosophie morale sera étudiée en fonction de ses mérites.
Actuellement, ce n’est pas le meilleur moment pour des «études de Soljenitsyne», et c’est une litote. En Occident, il est détesté en tant que nationaliste grand-russe et monarchiste antisémite, tandis qu’en Russie, il est détesté comme un larbin russophobe de la CIA qui a calomnié son propre peuple et qui a défendu un traître comme Vlasov. Ces croyances sont trop enracinées pour que je puisse même essayer de les discuter ici. Cette discussion aura lieu, mais seulement une fois que les ennemis farouchement opposés à Soljenitsyne auront cédé la place à des gens ayant une meilleure connaissance personnelle de ce que celui-ci a réellement écrit et de ce qu’il voulait réellement dire. À l’heure actuelle, la plupart de ses détracteurs sont simplement occupés à éreinter l’homme, tout ce qu’il a écrit et tous ceux qui l’ont lu.
Aparté 4 Alors qu'il était en exil à Cavendish, Vermont, Soljenitsyne a dit un jour à un de mes amis en visite : "Pour le moment, nous n'avons pas notre propre pays sous nos pieds, c'est pourquoi il est trop tôt pour écrire sur ce sujet [il faisait référence à un de ses livres, alors encore confidentiel, qu'il a finalement publié après son retour en Russie sous le titre '200 ans ensemble'] mais dès que la Russie retrouvera sa liberté, je publierai ce livre". Je vais paraphraser cela en disant que je crois que, tant que les anciennes élites soviétiques et leurs descendants occuperont la plupart des postes clés dans la Russie moderne, aucune discussion sérieuse sur Soljenitsyne ne sera possible, le niveau d'implication émotionnelle est tout simplement trop élevé. Mais cela aussi passera. Il existe déjà une génération de jeunes russes qui ne se souvient même pas de l'ère soviétique ou de la guerre froide. Ce sont leurs enfants, et même leurs petits-enfants, qui donneront un jour une juste évaluation historique de ce géant intellectuel. Pour l'instant, la Russie moderne vit toujours «dans l'ombre» de l'ancienne Union soviétique. Mais, tôt ou tard, la Russie sortira de cette ombre, c'est à ce moment-là que les vues de Soljenitsyne reviendront au premier plan.
Il y a encore une chose à propos de Soljenitsyne que je veux partager avec vous. Dans son pamphlet, «Nos pluralistes», celui-ci conclut son essai contre les «libéraux» et les «démocrates» russes – au sens russe du terme – par les mots suivants : «Nous pensions que vous étiez frais, mais vous êtes toujours les mêmes». Je pense souvent à cette phrase quand je lis les écrits des ennemis de Soljenitsyne. Pendant la période soviétique, les ennemis de Soljenitsyne aimaient l’appeler «Soljenitser», laissant entendre qu’il pourrait être juif. De nos jours, les ennemis de Soljenitsyne en Russie l’appellent SoLZHEnitsyn, les lettres «LZHE» signifient «mentir» en russe, suggérant qu’il est un menteur. Cela vous dit tout ce que vous devez savoir sur le degré de sophistication dont ces gens sont capables…
Regardons maintenant un autre traître.
Vladimir Rezoun alias «Viktor Souvorov»
Vladimir Rezoun, qui écrit sous le nom de plume «Viktor Souvorov», a également écrit de nombreux livres, mais c’est là que sa similitude avec Soljenitsyne s’arrête. D’une part, Rezoun est d’une génération beaucoup plus récente, il est né 30 ans après Soljenitsyne, et sa formation a eu lieu dans les années 1960, pendant la «Grande trahison» de Khrouchtchev. De toute évidence, Rezoun n’a pas vécu la guerre, ni les glorieuses années de l’après-guerre. L’autre grande différence entre les deux hommes est que, alors qu’Alexandre Soljenitsyne a été envoyé de force en exil, Rezoun a fait défection [il s’est réfugié en Grande-Bretagne, NdT] et que la défection était officiellement volontaire – il y a des signes indirects suggérant qu’il a été kidnappé à Genève par les Britanniques – je considère que les deux versions sont également crédibles. Puis il est devenu un transfuge caricatural, laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire par là.
J’ai rencontré pas mal de transfuges dans ma vie – et pas mal de transfuges potentiels qui ont finalement décidé de ne pas partir. Voici la chronologie typique de ce qui arrive aux transfuges, et voici en même temps, la raison pour laquelle j’ai toujours fortement déconseillé à tous les Soviétiques de faire défection :
1 – D’abord, ils sont une «patate chaude». Habituellement, peu importe leur enthousiasme à se prétendre dissident, les transfuges doivent tous se «vendre» à leurs nouveaux maîtres – c’est, en effet, ce que les responsables occidentaux deviennent pour eux – de sorte qu’ils surestiment presque toujours grossièrement leur opposition au régime soviétique, leur importance avant leur défection, et leur utilité actuelle. Cela ne fonctionne pas très longtemps, car les débriefers occidentaux peuvent établir assez rapidement qui était ce nouveau transfuge dans le passé et ce qu’il / elle sait vraiment. Après cela, ces transfuges sont généralement dotés de moyens de subsistance et puis oubliés.
2 – Ensuite, ils essayent d’impressionner le grand public. La meilleure façon d’y parvenir est d’écrire un best-seller. Puis un autre, puis un de plus. Cela fonctionne très rarement pour une raison simple : tout ce que le transfuge avait d’intéressant à dire apparaît généralement dans le premier, rarement dans le deuxième livre. Après cela, le «scoop du choc publicitaire» est tari et le transfuge commence généralement à faire des bêtises. Ce non-sens empire avec chaque livre suivant. À l’exception de quelques haineux purs et durs, personne ne prend ces livres idiots au sérieux et le dissident autrefois «patate chaude» devient inutile, oublié de tous – ici, je pense à ce fils de pute de Kalouguine par exemple.
3 – Finalement, les transfuges vivent un effondrement mental, suivi d’années de toxicomanie et, très souvent, de suicide. Ils se rendent compte que personne n’a besoin, ni se soucie d’eux ; ils se rendent compte que leurs anciens patrons les ont depuis longtemps oubliés, tout comme leurs nouveaux patrons. Ils n’ont pas d’amis, la plupart du temps des relations amoureuses profondément dysfonctionnelles qui se terminent par un désastre, leurs familles se détournent souvent d’eux et, enfin et surtout, le peuple du pays qu’ils ont trahi et quitté leur manque.
Dans le cas de Rezoun, il a écrit son premier best-seller en 1982 intitulé « Inside the Soviet Army », ce qui était très amusant, il avait écrit un autre livre avant cela, « The Liberators », en 1981, mais il n’avait pas eu autant de succès. Puis, en 1985, il a écrit «L’Aquarium», un livre plutôt mauvais et sensationnaliste sur le service de renseignement militaire soviétique, le GRU. Puis vint 1987 et l’un des pires livres de Rezoun : Spetsnaz, une série d’histoires absurdes inventées qui a fait un flop. À ce moment-là, Rezoun avait clairement un problème. Mais étant un homme très intelligent, Rezoun a eu une idée brillante.
Tout a commencé par un court article de 1985 suivi, en 1988, par l’édition russe de son livre le plus célèbre, « Icebreaker » (« Ледокол ») dans lequel Rezoun, alias « Viktor Souvorov », affirmait qu’il avait des preuves que Staline était sur le point d’attaquer l’Allemagne nazie et que Hitler n’avait pas d’autre choix que de frapper le premier. Son témoignage ? Beaucoup de choses, des centaines de revendications, allant du quelque peu crédible au stupide. Je ne les aborderai pas toutes ici, de nombreux excellents historiens l’ont déjà fait – je pense aux superbes livres du colonel retraité David Glantz. Je vais juste en mentionner une que je trouve particulièrement exaspérante : Rezoun prétend que l’armée soviétique avait l’intention d’attaquer l’Allemagne et que diverses unités russes avaient même reçu des glossaires spéciaux pour leur permettre de parler aux gens qu’ils envisageaient d’attaquer : les Allemands.
Je suis à peu prés sûr que les Soviétiques avaient l’intention d’attaquer l’Allemagne. En fait, je suis également sûr que les Soviétiques avaient l’intention d’attaquer la plupart, sinon la totalité, de leurs voisins. Sinon, tout l’état-major soviétique aurait dû être éliminé – encore une fois ! Pourquoi ? Parce que c’est ce que fait l’armée en temps de paix, se préparer à la guerre, y compris à des opérations défensives et offensives. Pensez par vous-même : si vous étiez un général soviétique et que vous étiez soudainement convoqué aux séances de travail de Staline, tard dans la nuit, et que Staline vous demande «Quels sont nos plans pour libérer les travailleurs et les paysans allemands du régime nazi et combien de temps durerait une telle guerre si nous attaquions en premier ?». Pouvez-vous vous imaginer répondre : « Camarade Staline, nous n’avons pas de tels plans ! » ? Je pense que vous mourriez de honte, voire de peur, avant même de rencontrer «votre» peloton d’exécution. Vous vous souvenez de la guerre soviéto-polonaise de 1919-1920 ou de la guerre soviéto-finlandaise de 1939-1940 ? Elles ne sont pas exactement connues pour avoir été des succès étonnants – bien que Rezoun ait des vues très intéressantes sur ces dernières, mais elles ne rentrent pas dans le cadre de cet article. Donc, bien sûr, les Soviétiques avaient des plans de guerre contre l’Allemagne, tout comme la Russie a aujourd’hui un plan pour détruire les États-Unis, qui ont également un plan de leur côté ! L’existence de tels plans ne prouve absolument pas que les dirigeants de la Russie ou des États-Unis ont réellement l’intention d’attaquer ! Quant aux glossaires de poche «russo-allemands», c’est exactement ce que font les linguistes militaires lorsqu’ils ne sont pas en guerre. Croyez-moi, j’étais autrefois un de ces linguistes, en Suisse, un Sprachspezialist en allemand, et j’ai même vu des glossaires «germano-chinois» ! Pourtant, cela n’indique pas que la Suisse prévoyait d’envahir la Chine, si ?!
Rezoun a-t-il réussi à convaincre ? Cela dépend à qui vous le demandez, bien sûr. Je ne suis pas historien militaire et je pense que cette question devrait être étudiée par des historiens professionnels, pas par des amateurs comme moi. Ce que j’affirme avec force, c’est que je pense que les livres de Rezoun devraient être lus et discutés. Ce que je trouve tout simplement stupide, c’est ce que quelques émissions de télévision russes ont fait : tout d’abord, elles dénoncent Rezoun comme le traître qu’il était probablement – à moins qu’il n’ait été kidnappé, bien sûr – mais cela est aussi un illogisme total, car ensuite, ils interviewent ses anciens collègues qui décrivent son horrible caractère personnel, incompétent, alcoolique, généralement détesté, mais ils ne parviennent pas à expliquer comment une personne si odieuse, et si totalement incompétente, à réussi à obtenir un poste dans l’une des «rezidenturas» les plus prestigieuses des Services secrets russes en Occident – les Soviétiques ont également fait exactement la même chose avec Oleg Kalouguine qui a été affecté au rez-de-chaussée du KGB à Washington, DC, rien de moins ! Ensuite, dans ce qu’ils imaginent probablement comme un coup de grâce, ils montent sur une estrade pour proclamer que les vues de Rezoun sont extrêmement offensantes et qu’il doit être un agent du MI6, ce qui, vrai ou non, est également totalement hors de propos, car un livre ou une théorie historique doivent être jugés sur leurs mérites intrinsèques, ou leur absence, et non sur le caractère de leur auteur.
Cela est particulièrement vrai de Rezoun pour une autre raison spéciale. Bien après avoir écrit ses livres sur la façon dont Staline voulait attaquer l’Allemagne, Rezoun a écrit un livre historique absolument incroyable intitulé « La purification » (« Очищение ») dans lequel il revisite non seulement les purges de Staline mais dans lequel il les défend avec brio. Si vous comprenez le russe, je vous invite à lire le livre, vous pouvez le télécharger en russe et gratuitement ici. La thèse clé du livre est la suivante : Staline a compris que la première génération de bolcheviks était superbement qualifiée pour massacrer des civils innocents en grand nombre, mais en tant que commandants militaires, ils étaient de gros nuls, y compris le maréchal Toukhatchevski, que des gens en Occident présentent toujours comme une sorte de génie militaire – ce qu’il n’était certainement pas ! De plus, au milieu des années 1930, la Russie soviétique se fissurait vraiment et s’effondrait presque en raison de la haine que la plupart des Russes avaient pour leurs persécuteurs et tortionnaires, de sorte que la purge sanglante de la police secrète et du parti [par Staline en 1936-38, NdT] a été vue par ces élites occidentales – et les partisans de Trotsky à l’étranger – comme une «horrible purge», alors que pour la plupart des gens ordinaires, cette purge doit avoir ressemblé à une libération et à une exécution justifiée des pires monstres bolcheviks. De plus, Rezoun fait des comparaisons très intéressantes entre les généraux de Staline et ceux d’Hitler, et il conclut que Staline avait eu un bien meilleur sort – soit dit en passant, vers la fin de la guerre, Hitler était d’accord. Je trouve cette thèse très convaincante et j’espère qu’un jour «La Purification» sera traduite en anglais.
Aucun de ces éléments ne doit être interprété comme une défense de Rezoun ni, d’ailleurs, de Staline. Dans le cas de Rezoun, je ne le défend pas du tout, je déplore seulement qu’il soit diffamé et rejeté, plutôt que lu de manière critique. Quant à Staline lui-même, j’ai décrit mes sentiments personnels à propos de l’homme dans mon article « La controverse à propos de Staline – un ensemble de considérations préliminaires », donc je n’ai pas besoin de me répéter ici.
Conclusion : Vladimir Poutine comme exemple à imiter ?
Vladimir Poutine est souvent accusé d’être nostalgique de l’Union soviétique et de vouloir la recréer.
Rien ne pourrait être plus loin de la vérité !
Il est vrai que Poutine a déclaré à plusieurs reprises que l’effondrement de l’Union soviétique était «la plus grande catastrophe géopolitique du siècle» («крупнейшая геополитическая катастрофа века»). Ce à quoi Poutine faisait référence n’était pas une sorte de nostalgie de l’Union soviétique, mais une prise de conscience aiguë des souffrances indicibles que l’effondrement de l’Union soviétique avait signifié pour des millions de personnes.
En fait, Poutine n’a exactement aucune nostalgie pour la mauvaise vieille URSS et il n’hésite pas à en parler, surtout lorsqu’il est confronté à ceux qui idéalisent désormais l’époque soviétique. Non seulement cela, mais Poutine a montré publiquement son immense respect pour Soljenitsyne. Et le sentiment était très réciproque comme on peut le voir sur cette photo :
Comparez cela au dégoût souvent exprimé publiquement par Poutine envers les transfuges !
Voir, par exemple, ce que Poutine a déclaré lors d’une interview avec le British Financial Times : (non souligné dans l’original)
« En fait, la trahison est le crime le plus grave possible et les traîtres doivent être punis. Je ne dis pas que l’incident de Salisbury est la façon de procéder. Pas du tout. Mais les traîtres doivent être punis. Ce monsieur, Skripal, avait déjà été puni. Il a été arrêté, condamné et a ensuite purgé une peine de prison. Il a reçu sa punition. D’ailleurs, il était hors du radar. Pourquoi quelqu’un s’intéresserait-il à lui ? Il a été puni. Il a été détenu, arrêté, condamné puis a passé cinq ans en prison. Puis il a été libéré et c’est tout. Quant à la trahison, elle doit bien sûr être punissable. C’est le crime le plus méprisable que l’on puisse imaginer. »
Soit dit en passant, cela suggère que Poutine ne partage pas la sympathie de Soljenitsyne pour le général Vlasov prouvant, encore une fois, qu’un esprit critique peut toujours séparer le bon grain de l’ivraie.
Ensuite, il y a la façon dont Poutine aime mentionner Ivan Iline dans ses discours. Il est assez évident pour moi qu’au sujet de ses opinions personnelles sur l’histoire et la politique, Poutine est clairement un lecteur avide d’Iline et de Soljenitsyne – ce qui crée une dissonance cognitive parmi les haineux de Soljenitsyne qui soutiennent Poutine. Cependant, cela n’implique nullement que Poutine approuve ou accepte tout ce que Soljenitsyne ou Iline ont écrit ou dit. Mais cela montre que tous les esprits en Russie ne sont pas «sous l’ombre de l’Union soviétique».
Mais le changement est inévitable.
Premièrement, le pendule de l’histoire basculera dans l’autre sens, et de nombreuses idées qui semblent populaires aujourd’hui disparaîtront progressivement, remplacées par, espérons-le, une évaluation beaucoup plus minutieuse de personnages historiques comme Soljenitsyne. Deuxièmement, beaucoup de gens qui ont été élevés dans une haine aveugle des «traîtres» mourront tout simplement, tandis que leurs descendants n’auront pas les mêmes réactions instinctives. Et enfin, ce qui n’est pas le moins important : la future Russie devra redécouvrir ses racines historiques, philosophiques, spirituelles et culturelles. A ce moment les idées de philosophes comme Soljenitsyne ou Iline reprendront automatiquement le devant de la scène – mais pas nécessairement approuvées sans critiques.
The Saker
Note du Saker Francophone Une fois n'est pas coutume, on vous propose une note sur un des articles d'Andrei, celui que nous appelons The Saker ou le Saker US. Pour rappel, nous sommes en relation très cordiale avec lui mais il publie ses articles selon ses idées et on les traduit comme pour la plupart des autres auteurs, sans le solliciter sauf doute sur le sens d'une phrase ou d'un mot. Dans cet article, il prend position contre Victor Sovourov. Si vous suivez la série de texte de Ron Unz, American Pravda, ce nom ne doit pas vous être étranger car il est au centre d'un des articles : Quand Staline a failli conquérir l'Europe. Cela montre d'abord que ces 2 auteurs peuvent avoir des avis contraires sur un sujet tout en respectant mutuellement leur travail, la liberté d'expression ... la vraie. Le Saker US explique pourquoi l'URSS avait forcément des plans d'invasion mais ne commente pas outre mesure les arguments précis avancés par Sovourov, le matériel spécifique pour le terrain allemand et la concentration de troupes de parachutistes par exemple. Ce sera sans doute l'occasion d'autres articles aux détours de nos recherches. Maintenant si on peut reprocher des choses à Staline et au régime soviétique, il n'y a pas ou il ne devrait pas y avoir de questionnement sur le fait que Staline ait pu envisager d'envahir l'Allemagne et de prendre un avantage tactique sur le IIIème Reich, surtout vu ce que les Armées allemandes ont fait sur leur passage. A noter que le titre de Ron Unz est un poil racoleur car jamais il ne démontre que la cible de Staline est l'Europe entière et pas seulement l'Allemagne ou même le fleuve Oder pour bénéficier plus tard d'un rempart géographique.
Traduit par jj, relu par Marcel pour le Saker Francophone