Par Andrew Korybko − Le 13 juin 2019 − Source Oriental Review
Le mouvement très populaire qui s’est propagé de manière organique à Hong Kong intègre sans doute une écrasante majorité de personnes bien intentionnée, mais le fait est qu’il présente toutes les caractéristiques d’une Révolution de Couleur, et qu’il pourrait très facilement être piraté par des forces étrangères, relayées par leurs collaborateurs extrémistes, afin de provoquer un nouvel incident comme celui de la place Tiananmen.
Une crise, deux récits
Des dizaines — et selon certains observateurs, des centaines — de milliers d’habitants de Hong Kong sont sortis récemment dans la rue pour manifester contre une proposition de loi qui permettrait l’envoi de détenus en Chine continentale, chose que les manifestants estiment constituer une violation grossière du principe « un pays, deux systèmes » selon lequel leur cité-État s’est réunifiée à la République populaire en 1997. Pékin croit que le gouvernement central a le droit de standardiser le système légal au sein de ses frontières reconnues de manière universelle, afin de mettre fin au vide existant qui jusqu’ici a permis à Hong Kong de fonctionner de facto comme un abri anti-État pour les extrémistes politiques, ce qui met en danger la sécurité du pays dans son ensemble. Le problème est qu’un nombre important d’habitants de Hong-Kong ressentent toujours un sentiment de « séparation identitaire » vis à vis de la République populaire : ils placent leur identité de ville avant leur identité nationale, et n’interprètent donc pas la proposition de changement émise par le chef de l’exécutif sous un prisme de sécurité nationale, mais la considèrent plutôt comme une violation des droits de leur cité-État, selon le principe « un pays, deux systèmes ».
Tiananmen 2.0?
Le gouvernement municipal a repoussé sans date le débat sur cette loi, afin de dés-escalader le problème, mais cela n’a pas empêché les manifestants les plus zélés de continuer leur mouvement pour exiger qu’elle soit retirée, et que la tête de l’exécutif présente sa démission. Certains d’entre eux ont même fait référence aux désordres de 2014, souvent décrits dans les médias internationaux sous le nom de « révolution des parapluies« , qui s’est vue utilisée à tort pour « justifier » une tentative de répétition de ces événements, après que des radicaux politiques vêtus de noir ont attaqué des agents de police, et ont commencé à élever des barricades autour du principal district financier de la ville, tandis que d’autres allaient jusqu’à essayer de prendre d’assaut la mairie. Les autorités n’ont pas eu d’autre choix que de répondre par des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, tout en niant la fake news utilisée comme arme, voulant que le gouvernement central considérerait une intervention militaire dans la ville-État. Cette infox a sans doute été propagée pour faire craindre aux gens qu’une nouvelle itération du XXIème siècle de l’incident de la place Tiananmen était imminente.
Car tel est bien l’objectif qu’espèrent poursuivre les membres les plus extrêmes de ces manifestations, en dupant la majorité pacifique et dotée de bonnes intentions des participants, par l’usage de tactiques de Révolution de Couleur ; il s’agit de transformer la masse pacifique en « boucliers humains » derrière lesquels s’abriter pour attaquer les autorités, afin de provoquer une telle issue. La signification stratégique générale de ces troubles de Révolution de couleur anti-État est d’établir un exemple, dont d’autres mégalopoles de Chine continentale pourront s’inspirer, avant que l’intégration générale des systèmes de surveillance omniprésents dans ce pays avec le « système de crédit social« ne rende un tel scénario impossible. Il va sans dire que les USA sont le pays qui a le plus à gagner de ce schéma, et que l’on peut penser qu’ils tentent de guider de manière indirecte la déstabilisation en cours dans la direction de leurs intérêts à long terme ; c’est pour cela que la Chine a émis des avertissements à l’égard de son rival, lui enjoignant de ne pas interférer dans ses affaires intérieures, après que Washington a émis une déclaration provocante, suggérant que la promulgation de la loi proposée amènerait les USA à reconsidérer le statut légal d’exception qu’ils accordent à la région autonome.
Le Dilemme
Pékin ne peut pas être sans connaître de longue date la nécessité d’aligner en fin de compte certains éléments du système légal de Hong Kong avec les autres standards du pays, afin d’empêcher dans l’œuf le scénario sus-mentionné d’une cite-État anti-État ; elle aura sans doute pensé que quelques décennies suffiraient à remplacer l’identité citadine prédominante par une identité nationale comme tel a été le cas dans le reste du pays, indépendamment de l’enracinement des identités régionales historiques. Ce projet n’a de toute évidence pas réussi aussi bien que l’avaient anticipé les instigateurs, comme le prouvent les manifestations à grande échelle qui se déroulent en ce moment. Il serait illogique d’accuser chacun des participants à ces manifestations de constituer un « agent américain » : l’écrasante majorité des participants sont des personnes dotées de bonnes intentions, qui ne comprennent pas les implications en matière de sécurité qu’engendrent la réforme proposée, et se sont vues manipulées à croire que sa promulgation mettrait un point final à leurs droits spécifiques.
Le parti communiste se retrouve dans une position très sensible : il est rare qu’il discute publiquement des scénarios de menaces intérieures comme ceux élaborés par l’auteur dans le présent article. Certains membres du parti estiment en effet que de telles discussions contiendraient un aveu de faiblesse et une invitation à voir ces vulnérabilités exploitées par des forces hostiles. Quoi qu’il en soit, c’est déjà en train d’arriver, et la non-existence d’une campagne de sensibilisation du public aux mérites en matière de sécurité nationale de ce système contribue à faciliter la tâche des organisateurs, qui s’emploient à agiter des peurs autour de cette réforme, et à manipuler nombre de personnes pour qu’elles rejoignent leur cause. Dans le même temps, cependant, venir confirmer officiellement l’importance nationale en matière de sécurité de ce projet de loi pourrait, a contrario, étayer ces récits porteurs de peurs, selon lesquels le gouvernement central essayerait de revenir sur le modèle quasi sacré « un pays, deux systèmes » : les autorités se retrouvent donc face à un dilemme très sérieux.
Conclusions
La Chine dispose d’une vaste expérience en matière de gestion des menaces de Révolutions de couleur, et connaît fort bien les conséquences stratégiques d’un recul face à ce mouvement. C’est pour cela qu’elle n’a pas reculé lors du premier jeu de révoltes, il y a cinq ans, au cours de la soi-disant « Révolution des parapluies » de 2014. Pour autant que l’on puisse lire et entendre que les manifestations actuelles sont les plus grandes depuis la réunification de 1997, et que cette observation soit réinterprétée pour en induire quelque degré de légitimité, le fait reste que ce mouvement très populaire, répandu de manière organique en réponse à la proposition de loi, peut très facilement être téléguidé pour répondre aux intérêts stratégiques étasuniens à long terme, et c’est bien là que réside la principale préoccupation des autorités centrales chinoises. Chose intéressante, on ne saurait oublier que cette instabilité se produit à quelques semaines à peine de la prochaine rencontre entre Trump et le président Xi, lors du Sommet du G20 au Japon, ce qui lui donne un sens stratégique supplémentaire dans les calculs sans cesse réévalués de la nouvelle guerre froide.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone