Par Vladimir Terekhov – Le 4 octobre 2018 – Source journal-neo.org
Le Premier ministre japonais était à New York pour la session du 25 au 27 septembre 2018, et a participé à plusieurs événements importants. Parmi les plus significatifs figurent son discours à la session plénière annuel de l’Assemblée Générale de l’ONU et ses négociations constantes avec le président des USA Donald Trump. Mais sa rencontre avec Hassan Rouhani a constitué un événement tout aussi notable.
Les tout premiers mots prononcés par le Premier ministre japonais au quartier général des Nations Unies illustrent les problèmes qui l’ont le plus préoccupé ces derniers mois : « Au cours des trois années qui viennent, je ferai de mon mieux pour renforcer le système de libre échange ».
Après avoir rappelé à l’assistance qu’« après la guerre, le Japon constitua une nation qui connut une croissance remarquable, baignant dans les avantages du commerce et bénéficiant d’un système économique libre et ouvert [déjà établi à l’époque] », il considère que son pays se doit de soutenir et renforcer ledit système à l’avenir.
Comme exemples des efforts réalisés dans cette direction, Shinzō Abe a mentionné le projet d’accord de partenariat trans-pacifique (TPP), proche d’être mis en place, et la conclusion de l’accord de libre échange avec l’Union européenne.
Pas besoin de gros efforts pour deviner à qui ces déclarations acerbes et rhétoriques étaient destinées. Au dirigeant de l’allié clé militaire et politique du Japon, qui venait de promulguer l’adoption de « justes modifications » au système de commerce international existant, via l’un de ses régulateurs, l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Rappelons au lecteur que la première décision prise par Donald Trump une fois élu président des USA fut d’abandonner le TPP. Ce sont les efforts extraordinaires consentis par le Japon qui empêchèrent l’échec de ce projet.
Avant de passer aux sujets négociés par Shinzō Abe et Donald Trump, il apparaît logique de mentionner le discours très commenté du président des États-Unis à la même Assemblée générale.
L’auteur du présent article estime que ce discours contient des messages essentiels à destination du monde. Il est déplorable que certains de ces messages aient été noyés dans les commentaires des médias de masse internationaux, qui se sont surtout employés à présenter le discours du président de la première superpuissance mondiale comme la représentation d’un clown ridicule ou (au mieux), comme le « show » d’un dirigeant d’entreprise.
À nous donc de mettre le doigt sur deux déclarations essentielles et reliées entre elles de Donald Trump. La première exprime l’idée que
« … l’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération à la gouvernance, au contrôle et à la domination mondiaux (…) Les États-Unis ne vous diront pas comment vous devez vivre, comment vous devez travailler, ni ce que ou qui vous devez vénérer. Tout ce que nous demandons, c’est que vous respectiez en retour notre souveraineté. »
C’est sans doute la première fois que cette thèse était soutenue publiquement, de manière aussi spécifique par le président des USA, même si on pouvait lire entre les lignes des éléments y ressemblant lors de sa campagne électorale. Il s’agit, sans aucun doute, d’un retrait radical du concept voulant que la mission des États-Unis est de répandre « les valeurs de la démocratie et du libéralisme » (par la force, entre autre) à l’échelle mondiale, concept imposé aux américains depuis des décennies par ceux qu’on appelle néo-conservateurs.
C’est dans le cadre de cette mission que les États-Unis ont encouru des pertes sur les échanges et relations économiques avec leurs partenaires étrangers, y compris leurs alliés. La deuxième déclaration faite par Donald Trump à l’ONU visait à mettre fin à cette situation, même si ce n’était pas tout à fait la première fois qu’il le disait non plus, comme par exemple, le 31 janvier 2018, lors de son discours au Congrès sur l’état de l’Union.
Dans le bâtiment principal de l’ONU, et face aux dirigeants des « partenaires » sus-mentionnés, Donald Trump a dit :
« Les États-Unis ne se laisseront plus exploiter (…) Nous avons laissé les produits étrangers du monde entier pénétrer nos frontières sans restrictions. Et pendant ce temps, les autres pays ne nous offraient pas l’accès juste et réciproque à leurs marchés en retour (…) Le résultat, c’est que notre déficit commercial a gonflé jusqu’à atteindre presque 800 milliards de dollars par an. »
Dans son discours, il mentionne également l’OMC qui, selon lui, n’aurait pas dû laisser adhérer des pays qui ne respectent pas les exigences de l’organisation quant à la compétition inéquitable, par exemple, quand l’État soutient des sociétés privées.
Ce reproche implicite sur l’énorme déficit commercial américain était adressé, parmi d’autres, à Shinzō Abe, le dirigeant de l’allié clé américain en Asie, également présent à la session : presque 10% des 800 milliards de dollars résultent du commerce entre Japon et États-Unis.
Jusqu’à présent, il s’était révélé impossible de mettre d’accord les différentes parties (telles que considérées par la plateforme des Nations unies) par des négociations visant à la fois à diminuer les déficits commerciaux américains avec le Japon et à créer les conditions d’un développement futur par élimination graduelle des barrières douanières mutuelles.
Tokyo insiste pour que les États-Unis rejoignent le TPP pour résoudre tous les problèmes, alors que Washington se montre à ce stade réticente à prendre part à tous types de projets multinationaux et promeut plutôt des accords de libre échange bipartites.
Toujours dans le même discours, Donald Trump a désigné les récents accords de commerce déployés entre la Corée du Sud et le Mexique, comme de bons exemples d’une stratégie de cette nature. Et pour en revenir à sa seconde déclaration, il n’est pas anodin que les négociations entre États-Unis et Mexique se soient tenues hors de l’organisation régionale de l’ALENA, qui regroupe USA, Mexique et Canada.
Selon le journal Japan Times, au cours de ses négociations avec le président américain à New York, Shinzō Abe a du faire des concessions et accepter le format bilatéral pour diminuer les barrières douanières mutuelles. C’est seulement sous ces conditions que Donald Trump a accepté de mettre fin à l’imposition de taxes de 25% sur les importations de voitures japonaises, pour un montant annuel d’environ 50 milliards de dollars sur le marché américain.
Il reste que les détails essentiels des accords actés sur le principe (par exemple, à quelle vitesse les taxes à l’importation vont disparaître) seront discutés par des groupes d’experts. Leurs négociations ne commenceront pas avant janvier 2019, et pourraient bien s’étendre sur toute l’année.
On rapporte que les fabricants de voitures japonaises ont « soupiré de soulagement » en apprenant que la résolution de ce sujet, source de nombreuses préoccupations pour eux, prendrait un an. Mais les producteurs agricoles japonais, quant à eux, ont fait grise mine en apprenant la suppression des taxes à l’importation sur le porc américain vendu sur les marchés japonais.
Pour résumer dans l’ensemble les résultats du sommet États-Unis–Japon, on peut considérer que les deux dirigeants ont maintenu le statu quo sur les relations commerciales bilatérales. Une tentative de compromis amène les deux parties à un niveau de négociation inférieur.
Il est clair que les deux parties agissent dans l’espoir d’arriver à un accord, et en considérant les étendues du sujet, qui s’étalent au delà des sphères purement économiques et commerciales. Si cette compréhension mutuelle devait se perdre, la composante politique des relations entre les deux pays en serait très certainement affectée.
Autre événement auquel Shinzō Abe a participé lors de la session de l’Assemblée générale de l’ONU, sa rencontre avec le président iranien Hassan Rouhani. Le simple fait que le premier ministre japonais rencontre le dirigeant du pays ciblé par les harangues les plus dures du même discours de Donald Trump est en soi tout à fait remarquable.
Cela va probablement limiter l’opposition japonaise à son allié clé, au sujet du problème le plus sensible aux yeux des USA. Des déclarations ont été émises depuis, selon lesquelles Tokyo allait mettre fin à ses importations de pétrole brut iranien (qui sont essentielles pour le Japon).
Enfin, prenons acte des positions du Japon et de la Chine (qui se ressemblent de plus en plus au fil du temps), qui demandent un développement plutôt qu’un ralentissement du processus de mondialisation et de la conformité avec les règles établies du commerce international. Cette convergence pourrait constituer un socle essentiel pour améliorer le climat politique des relations sino-japonaises.
C’est pour toutes ces raisons que nous suivrons de près la visite de Shinzō Abe à Pékin le 24 octobre 2018 – sa première visite depuis plusieurs années. L’ordre du jour des sujets qui seront discutés par le premier ministre japonais et les dirigeants chinois a été établi à New York par les ministres des affaires étrangères Taro Kono et Wang Yi.
Vladimir Terekhov, expert des sujets de la région Asie-Pacifique, en exclusivité pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par Vincent, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone
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