« America First » déserte à Pékin, la guerre contre la Corée du Nord se profile

‘America First!’ AWOL from Beijing, War with North Korea Looms


James George JATRASPar James George Jatras – Le 11 novembre 2017 – Source Strategic Culture

Rien n’indique que le sommet du président Donald Trump avec le Chinois Xi Jinping ait permis de faire une percée en Corée du Nord. Mais pourquoi pas ? Après tout, Trump a déclaré que la Chine pourrait « résoudre » le problème de la Corée du Nord « facilement et rapidement » et que c’était juste à Xi de se décider.

Le ton timoré de Trump, au sujet du déséquilibre commercial américain avec la Chine, était tout aussi déconnecté de la réalité. Le problème, a-t-il dit, ce n’était pas les Chinois – qu’il complimentait sur leur habileté à exploiter notre stupidité – mais les politiques flasques des administrations américaines antérieures. Absolument exact ! Mais que fera-t-il d’autre ? Pas grand chose semble-t-il, sauf peut-être accorder une large réduction d’impôts, sans aucune condition préalable, aux grosses sociétés qui sont ravies de poursuivre leurs opérations à l’étranger. Marché mondial über alles ! Et ici nous avons tous cru qu’Hillary Clinton avait perdu les élections. . .

Dans l’ensemble, la visite de Trump en Chine se caractérisait par la mise au placard de ses promesses de campagne « America First ! », en faveur de l’agenda mondialiste de ses conseillers économiques, et de la subordination du commerce aux préoccupations géopolitiques de la junte militaire qui dirige son administration. Bien sûr, il pourrait y avoir quelques retouches ici et là, comme le récent coup contre le dumping chinois sur le papier d’aluminium. Mais les ploutocrates inquiets d’une « guerre commerciale » avec la Chine peuvent dormir tranquilles.

Concernant la Corée du Nord – la préoccupation écrasante des États-Unis au sommet de Trump / Xi – Trump n’a rien obtenu. Depuis des mois, les observateurs s’inquiètent de la rhétorique oscillante de Trump, du feu et de la destruction un jour, à faisons un arrangement le lendemain. Il est, alternativement, son bon flic et son mauvais flic.

En principe, il n’y a rien de mal avec les tartarinades et l’imprévisibilité. C’est l’art des affaires, on le sait. Malgré les prétentions des détracteurs de Trump, l’irresponsabilité et l’impulsivité supposées du président ne sont pas le problème. Le style personnel de Trump n’a pas encore abouti à la guerre, et si la guerre venait, ce n’en serait pas la raison. Le véritable danger vient plutôt des experts ostentatoires qui définissent les paramètres avec lesquels Trump opère, auxquels il délivre imprudemment ses objectifs de politique étrangère et de sécurité. Les articles de foi suivants sont gravés dans le marbre.

Tout d’abord, il est bon qu’il y ait eu, manifestement, un moyen pour mener en coulisse des négociations directes entre les États-Unis et la Corée du Nord, mais du point de vue de Washington, il n’y a aucune négociation possible au delà de la demande de dénucléarisation. Tout type de concession à Pyongyang est hors de question, car cela signifierait « récompenser l’agression » et « montrer de la faiblesse ». Il n’y a pas de schéma évident pour un accord quand on s’attend à ce qu’une seule partie fasse des concessions.

Deuxièmement, parce que Washington a présenté les armes nucléaires nord-coréennes comme étant, de fait, une menace vitale pour les États-Unis, l’objectif minimal acceptable pour ces derniers est que Pyongyang abandonne ses armes – un changement de régime serait préférable, car cela signifierait aussi la dénucléarisation. Le fait que Pyongyang soit peu susceptible de renoncer à ses armes nucléaires, en toutes circonstances, signifie qu’il ne peut y avoir aucun arrangement.

Troisièmement, dans l’esprit collectif de Washington, la crise est à 100% la faute de la Corée du Nord, le reste, notre présence [entre autres militaire, NdT] en Corée, nos menaces contre Pyongyang, ou nos actions ailleurs, ne comptent pour rien. « Comment pouvez-vous nous blâmer – nous avons essayé la diplomatie pendant vingt ans et cela n’a fait que conduire à une bombe ! »

Toute suggestion que Kim Jong-un répond aux menaces contenues dans le discours de George W. Bush sur l’Axe du Mal, en 2002, ou à la mise au pas [et mise à mort, NdT] de Mouammar Kadhafi et de Saddam Hussein – qui, contrairement à Kim, étaient assez stupides pour ne pas avoir d’ADM ! – revient à « blâmer l’Amérique ». Assumer la responsabilité de nos erreurs passées n’est pas notre point fort. La perspective que la partie continentale des États-Unis pourrait, dans quelques mois, être ciblée par un missile balistique nord-coréen doté d’une ogive nucléaire n’a absolument aucun rapport avec ce que les États-Unis ont dit ou fait.

Quatrièmement, nous savons que la Chine peut résoudre cela si elle le veut – facilement et rapidement, selon le président. Comme l’a dit John Bolton, ancien ambassadeur américain à l’ONU : « C’est pourquoi nous disons à la Chine : nous allons assister à la réunification ici. Voulez-vous le faire à la dure ou de manière plus facile ? » Cela signifie que la Chine fasse le travail pour nous, sinon nous le ferons. L’idée que Pékin ne lancera pas une action fondamentalement incompatible avec la sécurité nationale de la Chine à cause de la flatterie ou des menaces américaines est presque inconcevable. Mais s’ils ne font pas ce que nous demandons, les conséquences seront leur faute, pas la nôtre.

Cinquièmement, l’option militaire est toujours sur la table. Les membres d’une junte ne sont pas des penseurs stratégiques mais ils sont très, très confiants dans leur technique. Si le pire se produit, et qu’ils sont « forcés d’agir » – de leur point de vue – ils sont suprêmement, et dangereusement, convaincus qu’une bonne exécution peut minimiser les dégâts. Les préparatifs d’une frappe préventive avancent à grands pas. À Séoul, Trump a vanté les prouesses des trois groupes de porte-avions américains au large de la péninsule. Peut-être que c’est juste un bluff pour obliger les Chinois à agir – comme nous le savons, voir le paragraphe précédent. Mais si le pire… empire, et s’avère horrible pour beaucoup de gens, on entendra : « Nous n’avions pas le choix à la lumière de l’inaction de la Chine. » Est-ce que cela signifie que les planificateurs sont assis en cercle, spéculant sur le sacrifice de Séoul, afin de ne pas paraître faibles ? Non, mais ils sont prêts à risquer ce résultat parce qu’ils sont poussés à cela par tous les autres éléments de leur approche. Pire, ils sont sûrs qu’ils pourront s’en tirer. Après tout, regardez comment nos autres guerres récentes se sont bien passées !

Sixièmement, Trump a clairement indiqué que ses instincts sont contenus et qu’il sera guidé par des professionnels. Songez à l’Afghanistan, où sa nouvelle non-stratégie – identique à l’ancienne – a été dictée par la junte contre ce qu’il admet être ses propres inclinations. Sur la Corée, les experts se réfèrent principalement à la junte mais aussi à Nikki Haley (sic!!!) et probablement à John Bolton. Il y a aussi une possibilité que David Petraeus, le partisan génial de l’armement d’al-Qaïda en Syrie, ait aussi un doigt dans le pot de confiture. De plus, gardez à l’esprit que Trump n’est pas un néoconservateur mais un Andrew Jackson, ou peut-être un Teddy Roosevelt, nationaliste. « Ne nous sous-estimez pas », a dit Trump  à Kim. « Et ne nous testez pas. » Quand les experts lui disent que la Corée du Nord nous teste, que peut-il faire d’autre qu’agir ? Après tout, en avril, les experts lui ont dit que Assad avait gazé des enfants en Syrie – et boum ! – il a lancé des missiles de croisière sous les applaudissements des gremlins qui l’entourent dans le marécage, et de sa base populiste qui n’a aucune idée de l’endroit où se trouve la Syrie.

Septièmement – et là c’est le côté amusant – si tout cela se transforme en une énorme catastrophe provoquant des centaines de milliers de morts, qui va tomber ? Pas McMaster ou Haley. Non, tout sera imputé à Trump et sur le chemin de l’« America First ! » qu’il n’aura pas suivi. L’establishment des deux côtés, y compris ceux qui l’ont poussé vers une politique plus agressive, vont se précipiter pour le dénoncer : « vous voyez, on vous a dit qu’il est cinglé ! » Les professionnels lui ont donné de bons conseils mais il a tout salopé ! Dans ce cas, ils n’auraient pas à attendre la mise en accusation, le 25e amendement serait invoqué.

Vous parlez d’une issue gagnant-gagnant pour les fauteurs de guerre de l’État profond : se débarrasser en même temps de Kim et Trump !

James George Jatras

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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