La CIA use et abuse de la couverture de « journaliste » pour espionner al-Qaïda


… avec l’accord tacite des grands médias. C’est dangereux pour les vrais journalistes.


Moon of Alabama

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Le 2 septembre 2016 – Source Moon of Alabama

Le 9 août, nous avons parlé ici d’une espionne américaine, Lindsey Snell, qui travaillait avec Jabhat al-Nusra en Syrie et été arrêtée quand elle a passé la frontière de Syrie en Turquie.

L’armée turque a récemment « sauvé » une espionne de la CIA qui avait été blessée dans la région de Lattaquié, au nord de la Syrie. Les États-Unis ont envoyé des hélicoptères pour aider leur précieuse ressortissante. L’espionne s’est avérée être la journaliste, Lindsey Snell, qui était avec Nusra pour faire un rapport pour Vocativ, une agence de renseignement. Elle a été enfermée dans une prison turque pour avoir franchi illégalement la frontière.

Il ne fait aucun doute, à partir des informations disponibles, que Snell était une espionne. Les médias turcs l’ont appelée comme ça. Elle était avec Nusra et pas pour la première fois, elle a eu des ennuis et a été obligée de fuir. L’armée américaine a lancé une vaste opération pour l’aider. L’armée n’aurait jamais fait ça pour un vrai journaliste.

Trois semaines après que nous en avons parlé, un vrai journaliste a finalement repris l’histoire et a posé une question au briefing du Département d’État des États-Unis :

QUESTION : Avez-vous des informations sur un citoyen américain arrêté en Turquie?

M. KIRBY : Arrêté en Turquie ? Oui. Je peux confirmer que la citoyenne américaine, Lindsey Snell, a été arrêtée en Turquie le 7 août 2016. Elle est actuellement détenue dans un établissement pénitentiaire de la province de Hatay. Des fonctionnaires du consulat d’Adana sont allés voir Mme Snell le 26 de ce mois et lui fournissent toute l’aide possible. L’ambassade et le ministère suivent de près cette affaire. Les fonctionnaires du Département d’État sont en contact avec des représentants du Gouvernement turc à son sujet.

[…]

QUESTION : […] l’arrestation était-elle liée à sa profession de journaliste ou avait-elle un rapport quelconque avec elle ?

M. KIRBY : Ce que je – ce que nous savons, c’est qu’elle a été accusée d’avoir violé une zone militaire, mais je ne peux pas vous dire pourquoi elle était en Syrie, pourquoi elle y voyageait. Je ne peux pas le dire. Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons été informés qu’elle a été accusée d’avoir violé une zone militaire.

Le Département d’État « ne peut pas dire » ce que Snell faisait en Syrie – et le répète deux fois. Pourquoi ? C’est un secret ? Notez que Kirby n’a pas non plus appelé « journaliste », cette citoyenne américaine alors même que celui qui a posé la question a utilisé ce mot.

Malgré la réticence du département d’État à appeler Snell une journaliste, les médias occidentaux dominants qui relaient le briefing du département d’État, l’appellent maintenant ainsi et ne mentionnent pas le fait que Snell est évidemment une espionne. La BBC, CBS et NBC ont parlé d’elle. Mais aucun de ces médias n’a abordé les circonstances très étranges du sauvetage de Lindsey Snell et de son arrestation. Aucun d’eux ne vous dira qu’elle était une espionne.

NBC s’aventure le plus loin en mentionnant une autre source de l’État, et en citant le gouverneur de la région de Hatay :

Un officiel du département d’État a déclaré que le gouvernement américain était au courant de la présence de Snell en Syrie et que l’aider à se rendre dans un endroit sûr demeurait l’objectif principal de l’agence.

Du personnel américain a été envoyé à la frontière entre la Turquie et la Syrie pour aider Snell à sortir saine et sauve du pays ravagé par la guerre, mais Snell a ensuite été détenue par les autorités turques, a indiqué le responsable.

[…]

Le gouverneur de Hatay, Ercan Topaca, a déclaré à l’Agence d’État Anadolu : « Une journaliste américaine a été arrêtée alors qu’elle tentait de traverser la frontière illégalement, elle a été présentée à la justice et mise en détention provisoire. Le procès est en cours. Pour l’instant, nous ne savons pas si elle est un espionne ou non. »

NBC mentionne simplement que « du personnel américain a été envoyé ». Cela donne l’impression qu’un simple employé de bureau s’est rendu à la frontière pour aider la « journaliste » à entrer en Turquie. Mais ce personnel américain se composait de deux drones armés et de plusieurs hélicoptères militaires qui ont survolé la zone pendant plusieurs jours pendant l’exfiltration de Snell. A-t-on jamais entendu parler d’un journaliste pour qui l’armée américaine aurait lancé une opération d’une telle envergure ? Les médias turcs n’ont pas fait mystère de l’incident. Comme Hurriyet l’a rapporté le 7 août :

Un agent de renseignement féminin des États-Unis a été sauvé par des soldats des forces armées de Turquie (TSK) après une opération de deux jours sur la frontière syrienne, selon un rapport. Des drones et des hélicoptères ont participé à l’opération pour sauver cet agent qui avait été blessé en Syrie.

Deux hélicoptères américains ont atterri dans un village du district de Yayladagi de la province méridionale de Hatay le 5 août, ce qui a amené des habitants à appeler des officiels pour leur signaler l’atterrissage.

Y a-t-il de vrais journalistes indépendants qui s’embarquent avec Jabhat ql-Nusra et pour qui les États-Unis enverraient du personnel américain sous forme d’hélicoptères et de drones armés Hellfire ? Non, bien sûr que non. Il est évident qu’ils avaient un intérêt tout particulier pour Snell et, contrairement à la presse occidentale, Hurriyet n’a pas de problème à écrire que :

[L]’agent des États-Unis, dont le nom n’a pas été révélé parce qu’elle était sur une opération secrète, a été envoyée en mission en Syrie et blessée le 3 août, après quoi elle a demandé à être évacuée. Elle aurait envoyé ses coordonnées aux autorités américaines pour leur signaler sa position exacte.

[…]

Deux drones américains ont scanné la zone pendant deux jours tandis que deux hélicoptères américains attendaient du côté turc de la frontière.

Snell a été retrouvée par des agents turcs et arrêtée pour avoir franchi illégalement la frontière. Le MIT, le service de renseignement turc, ne risque pas d’apprécier qu’un espion américain essaie d’infiltrer un de ses meilleurs atouts en Syrie, Jabhat al-Nusra, alias al-Qaïda.

Les Turcs veulent garder Nusra sous leur contrôle exclusif. Même après avoir fait ami-ami avec la Russie la Turquie poursuit ses relations répréhensibles avec des groupes qualifiés de terroristes par les Nations Unies. Selon les militaires russes, la Turquie continue, jusqu’à aujourd’hui, à approvisionner Nusra à Idlib et Alep :

« Nous constatons que l’opposition en général, et Jabhat Fatah Al-Sham en particulier, continue de recevoir des renforts à travers la frontière syro-turque […] », a déclaré Rogachev à RIA Novosti.

Les grands médias occidentaux ne disent pas tout ce qu’ils savent concernant l’agent Lindsey Snell. Aucun d’eux ne mentionne l’envoi d’hélicoptères et de drones américains pour aider la journaliste. Le gouverneur de Hatay a pourtant confirmé leur usage extensif. Une telle utilisation de ressources militaires n’est-elle pas extraordinaire ? Les faits sur le sauvetage sont ouverts à tous et ils sont relayés par des médias turcs tout à fait sérieux. Pourquoi les ignorer ? Pourquoi continuer à maintenir le mythe de la journaliste ?

Je me serais attendu à plus de curiosité et d’émoi de la part de CBS, NBC et de la BBC à propos de la couverture de journaliste que la CIA utilise pour cet agent.

Il est officiellement interdit à la CIA d’utiliser la couverture de journaliste pour ses opérations étrangères depuis 1977. Il y a bien sûr des exceptions et ceux qui s’attendent à ce que la CIA respecte les règlements ou les lois ont besoin de revoir leur perception de la réalité. Pourtant, ce que fait la CIA rend la vie des vrais journalistes plus difficile et plus dangereuse.

On se serait attendu à ce que des médias sérieux et de vrais journalistes signalent clairement le danger et s’élèvent violemment contre la CIA. On aurait espéré qu’ils s’intéressent au moins un peu à ce grave problème.

Traduction : Marie Staels

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