«... L'Amérique fait face résolument à ce qu'elle considère comme un encerclement des étrangers, des aliens, des forces obscures, dont le seul but est de remettre en question et, finalement, démolir une incarnation de l'exceptionnalisme − car il ne peut y en avoir qu'un − dans la politique mondiale, le Tabernacle des Lumières auréolé de la grâce de Dieu. Aucune meilleure formule pour l'exploitation n'a encore été mise au point, avec l'augmentation progressive des conséquences, à demeure comme à l'étranger.» Norman Pollack.
Par Norman Pollack – le 26 août 2016 – Source Counterpunch
L’idéologie est un aiguillon égocentrique pour le pouvoir et sa représentation. C’est une fonction intégrale de la domination politique. La politique, comme l’expression la plus familière de l’art de gouverner et de la domination de classe, fournit le noyau de sens pour d’autres manifestations sous-jacentes du pouvoir et de la domination dans les domaines de l’économie et de la culture, quel que soit le moyen d’affirmer, de développer et de stabiliser les buts hégémoniques – prépondérance, influence – sur les autres, qu’ils s’agisse de nations, de classes, ou d’individus. Lorsque l’exceptionnalisme est revendiqué et promu, il s’agit d’une manifestation infaillible d’un état d’esprit, d’un cadre structurel, et d’une économie politique antidémocratique.
L’exceptionnalisme ne relève pas de la vertu morale – ce n’est jamais le cas, et n’a jamais prétendu l’être – mais de la force brute, absolue, réelle, implicite, ou en attente dans les coulisses. L’exceptionnalisme américain ne fait pas exception. En effet, il est consubstantiel, rarement d’autres nations ont avancé de telles revendications. Dans l’histoire récente – nous pourrions revenir à l’Empire romain et, encore plus loin, à Sparte dans la Grèce antique – l’exemple le plus évident et le plus clair est l’Allemagne nazie : le Troisième Reich de mille ans. L’idéologie hitlérienne dépendait du thème de l’exceptionnalisme pour manifester sa supériorité. Elle a pris la vie de millions de personnes.
L’exceptionnalisme, comme une revendication sur l’humanité, est un mal en soi. Il ne peut pas prospérer sans l’aide du militarisme, du génocide, de la manipulation interne et du contrôle social.
L’exceptionnalisme est une proclamation ouverte de supériorité. Il n’est pas étonnant qu’il forme le cœur profond de l’idéologie américaine, un motif continu depuis John Winthrop, la Cité sur la colline, bien que présenté à l’époque en termes théologiques peut-être plus innocents, convoquant la vision du XVIIe siècle du Commonwealth : la possibilité d’une société tissée autour du principe d’équité. Plus tard, c’était autre chose, car à la fin du XVIIe siècle, le Commonwealth, appliqué à l’Amérique, avait déjà perdu son sens, et la Révolution américaine ne faisait que réaffirmer le cadre sociétal de la propriété privée de John Locke, légitimant la dépendance des classes sociales et raciales envers – vous l’avez deviné – la caste supérieure. De là, jusqu’au milieu et vers la fin du XIXe siècle, le développement de l’idéologie de la Destinée manifeste a été seulement l’affaire d’un saut de puce, tant le terrain était bien préparé par l’essor du capitalisme entrepreneurial et industriel.
En somme, l’exceptionnalisme – une fois de plus mis en place d’honneur, depuis la justification des interventions, jusqu’à l’étaiement d’un esprit national chancelant – est un trait caractéristique de la pensée politique américaine. Son influence est partout : dans la vaporisation bien-pensante d’individus, dans les assassinats ciblés par des drones, dans le montage et la mise en œuvre des changements de régime, dans l’exigence de droits hors normes pour façonner et bénéficier du système financier mondial, dans l’établissement d’une version du Millénaire capitaliste unilatéral selon ses propres intérêts, et pour unifier les caractéristiques de ces politiques, une puissance militaire sans pareil pour forcer le respect et l’obéissance aux souhaits américains, dicter les décisions, et même les caprices.
L’exceptionnalisme fait courir un grave danger à la communauté mondiale. Mais pourquoi, dans un article apparemment abstrait sur l’histoire intellectuelle des États-Unis, soulever cette préoccupation maintenant, et pourquoi se concentrer sur l’exceptionnalisme ? La raison doit être claire : les deux candidats des grands partis, et derrière eux, les partis politiques qu’ils représentent, et encore derrière eux, la nation dans son ensemble, et, pour finir, la substance même de l’idéologie américaine, ont fait de l’exceptionnalisme la force motrice et la raison d’être de ce pays, avec toutes les conséquences que cela entraîne dans son sillage. La démocratie est, et a peut-être toujours été, une imposture, quand la supériorité est revendiquée comme une partie de sa propre identité. L’Amérique s’est elle-même délivré un sauf-conduit lors de sa création, attestant qu’elle ne peut faire de tort à personne. Aujourd’hui, Trump et Clinton parlent à l’unisson de la maximisation de la puissance globale de l’Amérique. Ils parlent à l’unisson de l’existence d’une mauvaise répartition drastique de la richesse. Ils parlent à l’unisson des dépenses gargantuesques pour la machine de guerre des États-Unis. Ils sont à l’unisson du déni – et de l’exemption – des crimes de guerre commis dans le passé et qui continuent dans le présent, sans aucun signe de revirement pour l’avenir. L’Irak, la Libye, la Syrie, ramenant à l’époque de la guerre du Vietnam, étant les incubateurs de la dernière série d’actes hostiles.
L’exceptionnalisme, à ce moment précis, est plus que jamais pertinent pour expliquer la dérive perpétuelle de l’Amérique vers l’augmentation de la violence auto-légitimée, parce que de plus en plus hors de la conformité aux aspirations de l’humanité. Woodrow Wilson voulait rendre le monde plus sûr pour la démocratie ; Trump, Clinton, Obama, la forcent – en fonction de l’intérêt national – dans la gorge des peuples, au nom de l’ordre mondial. Le commerce, les marchés, l’investissement, toutes les pièces du puzzle de l’impérialisme, tous d’une importance vitale, ne prennent place que sur la banquette arrière, derrière les impératifs militaires de maintien d’une suzeraineté internationale qui doit conduire le système, alimentée par la croyance en l’exceptionnalisme.
La soif nue pour le pouvoir, même sans aucune autre raison que la peur morbide de ne pas être la première nation, peut bien jouer à Peoria 1, mais elle détient un potentiel de destruction inimaginable, comme si la théorie et la planification du refoulement de Dulles 2 était encore opérante, non seulement vis-à-vis de la Russie et de la Chine, mais aussi d’un monde multipolaire à l’énergie réveillée. L’Amérique fait face résolument à ce qu’elle considère comme un encerclement des étrangers, des aliens, des forces obscures, dont le seul but est de remettre en question et, finalement, démolir une incarnation de l’exceptionnalisme – car il ne peut y en avoir qu’un – dans la politique mondiale, le Tabernacle des Lumières auréolé de la grâce de Dieu. Aucune meilleure formule pour l’exploitation n’a encore été mise au point, avec l’augmentation progressive des conséquences, à demeure comme à l’étranger.
Norman Pollack Ph.D. Harvard, Guggenheim Fellow, a écrit sur le populisme americain comme militant d’un mouvement radical. Il s’intéresse à la théorie sociale et à l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être joint à pollackn@msu.edu.
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
- Ville de l’Illinois. Peoria est célèbre aux États-Unis pour être la ville la plus représentative des courants dominants touchant la société américaine. Il s’agit de la ville moyenne américaine type. Un proverbe américain dit que si une action réussit à Peoria, elle réussira n’importe où ailleurs aux États-Unis. La question « Cela se jouera-t-il à Peoria ? » ( Will it play in Peoria ? ) est une métaphore traditionnellement utilisée pour demander si un produit donné, une personne, une publicité ou un événement est susceptible de séduire l’Américain moyen. Wikipédia ↩
- La politique de rollback, en français « refoulement », est une doctrine mise au point en 1952 par le président Dwight Eisenhower et son secrétaire d’État aux affaires étrangères, John Foster Dulles, qui vise à refouler le communisme, et non plus simplement à contenir sa progression. Historiquement, il y est fait auparavant référence pendant la guerre de Corée par l’administration démocrate d’Harry Truman, dont faisait partie Dulles, pour théoriser le franchissement du 38e parallèle nord. Wikipédia ↩
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