… appelle la Russie «une amie» et restaure ses liens avec Israël
Par Tyler Durden – Le 17 juin 2016 – Source ZeroHedge
On a assisté à deux superbes développements géopolitiques au cours des dernières 24 heures. La Turquie – qui se trouvait de plus en plus snobée non seulement par l’Europe mais aussi par les États-Unis – a pivoté de façon spectaculaire et en peu de temps vers la restauration de liens diplomatiques complets avec un autre pays qui a récemment reçu une douche froide de la part de l’administration Obama, à savoir Israël. Au même moment, elle s’est excusée auprès de la Russie pour l’attentat contre le jet russe qui aurait survolé son territoire dans le cadre de la campagne russe contre ISIS l’an dernier.
Comme le rapporte RT, Poutine a reçu une lettre dans laquelle le président turc Recep Tayyip Erdogan a présenté ses excuses pour la mort du pilote russe qui a été tué quand un jet russe a été abattu au-dessus de la frontière syro-turque en novembre dernier, a indiqué le Kremlin. Erdogan s’est déclaré prêt à rétablir les relations avec Moscou, a déclaré ce lundi Dmitri Peskov porte-parole du Kremlin.
«Le chef de l’État turc a exprimé sa profonde sympathie et ses condoléances aux proches du défunt pilote russe et s’est dit désolé», dit Peskov.
Dans sa lettre, M. Erdogan a appelé la Russie a être «une amie et un partenaire stratégique» d’Ankara, pays avec lequel les autorités turques ne veulent pas gâcher leurs relations.
«On n’a jamais eu le désir ou l’intention délibérée de descendre un avion appartenant à la Russie», peut-on lire dans la lettre, selon un communiqué publié sur le site Internet du Kremlin. Selon la déclaration, la lettre de M. Erdogan a souligné que «la partie turque a pris tous les risques et a fait un effort maximum pour récupérer le corps du pilote russe aux mains de l’opposition syrienne pour le rapatrier en Turquie. L’organisation des procédures de pré-inhumation a été réalisée en conformité avec toutes les procédures religieuses et militaires».
Erdogan a déclaré que la Turquie «partage avec la famille du pilote du Su-24 abattu, la douleur de sa mort» et «la voit aussi comme la douleur de la Turquie», selon Peskov. Ankara dit qu’elle a traité la famille du pilote russe mort comme si c’était une famille turque et est «prête à toutes les initiatives visant à la soulager de la douleur et de la gravité des dommages causés», a déclaré la lettre.
La lettre adressée par le dirigeant turc a également informé qu’une enquête criminelle a été lancée contre la personne soupçonnée d’avoir tué le pilote russe, Alparslan Celik, a dit le Kremlin. En outre, Erdogan s’est déclaré prêt à relever les défis de sécurité dans la région et à lutter contre le terrorisme en collaboration avec Moscou, a-t-il ajouté.
Ceci a lieu quelques heures seulement après que la Turquie et Israël ont convenu de rétablir leurs liens diplomatiques après plus de six années d’animosité, ouvrant la voie à une coopération renouvelée entre les alliés des Américains et un assouplissement du blocus israélien de la bande de Gaza tenue par le Hamas. Comme le WSJ l’a signalé durant la nuit, les responsables des deux pays ont déclaré dimanche soir que les négociateurs à Rome étaient parvenus à un accord qui sera rendu public à Jérusalem et Ankara lundi. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou était à Rome pour rencontrer le secrétaire d’État John Kerry et discuter de l’accord.
Les relations qui avaient été rompues en 2010 après que neuf citoyens turcs et un Turco-américain ont été mortellement blessés, y compris celui qui est mort des années plus tard, lors d’un raid de commando israélien sur un navire turc transportant des militants essayant de briser le blocus et d’entrer à Gaza par la mer.
Lors d’une conférence à Rome le lundi matin avec M. Kerry, le dirigeant israélien l’a considéré comme une étape importante vers la normalisation des relations qui auraient d’«immenses implications» pour l’économie d’Israël. Il n’a pas fourni de plus amples détails, mais il devait prendre la parole lors d’une conférence de presse plus tard dans la journée.
«C’est une étape positive que nous voulions, a déclaré M. Kerry. Nous espérons que c’est le début de beaucoup d’autres.»
La poussée vers le rapprochement est venue au milieu de menaces de sécurité pour les deux nations avec le conflit syrien à leurs frontières, la montée du groupe extrémiste État islamique et ce que beaucoup de gouvernements régionaux considèrent comme la posture militaire et politique affirmée de l’Iran.
L’accord ne mettra pas fin aux contrôles serrés qu’Israël a imposés sur les frontières de Gaza en 2007 pour contenir le Hamas militairement, une concession que la Turquie avait demandée. Mais, dans un compromis qui a brisé une impasse après des mois de négociations, la Turquie sera autorisée à envoyer de l’aide à Gaza via le port israélien d’Ashdod et à construire un hôpital de 200 lits, de nouvelles centrales électriques, des bâtiments résidentiels et d’autres infrastructures désespérémment attendues dans l’enclave palestinienne déchirée par la guerre.
Israël permettra également à la Turquie de lancer de grands projets de développement en Cisjordanie, un territoire palestinien dont les frontières sont également contrôlées par Israël, a dit un haut fonctionnaire turc.
«Il n’y a absolument aucune référence au Hamas dans l’accord. La Turquie continuera à soutenir l’État palestinien et le peuple de Palestine […] Nous sommes heureux d’annoncer que les représentants du gouvernement palestinien et le Hamas ont exprimé leur soutien à la Turquie dans le cadre des négociations», a déclaré le fonctionnaire turc lundi matin.
Tout aussi important, les deux pays vont reconstruire des liens militaires et de renseignement, qui s’étaient bien développé dans les années 1990 et au début des années 2000, a dit un responsable israélien. Ils renverront des ambassadeurs dans leurs capitales respectives.
En vertu de l’accord, Israël mettra en place un fonds de 20 millions de dollars pour indemniser les familles des personnes tuées et blessées dans le raid 2010, a déclaré le responsable israélien, et la Turquie fera en sorte que les responsables israéliens soient protégés contre des poursuites concernant l’incident.
Mais la vraie nouvelles ici est la formation d’un nouvel axe moyen-oriental, qui comprendra non seulement la Turquie, qui ces derniers mois a pivoté vers le rétablissement de relations avec l’Arabie saoudite et le Qatar, mais comprendra aussi Israël et surtout la Russie. Cela aura d’énormes implications géopolitiques pour les développements militaires non seulement régionaux, mais aussi pour les régimes de transit du pétrole russe, alors que le rétablissement des relations diplomatiques avec la Turquie pourrait signifier que le pipeline Turkish Stream est encore une fois de retour au premier plan.
Note du Saker Francophone On le sentait venir avec l'isolement de la Turquie mais un tel retournement est réellement surprenant. On peut se laisser aller à spéculer mais Erdogan devait sûrement jouer sa tête pour avoir capitulé en rase campagne. On imagine que les Russes ont dû négocier très durement et que les clauses cachées de l'accord doivent être savoureuses, à la russe. Patience, silence, négociation et victoire. La première remarque, c'est que la pression va très fortement diminuer dans la région et qu'un conflit désespéré entre la Turquie et la Russie semble évité, ce qui est une bonne nouvelle en soi pour les diverses populations. La vague migratoire sur l'Europe venant de Turquie pourrait aussi cesser. Le contenu de la lettre est bien sûr très au-delà de la mauvaise foi mais c'est aussi ça la géopolitique, et la mort d'un seul soldat russe aura peut-être évité une boucherie régionale. La reprise probable du Turkish Stream si elle se concrétise sonne le glas de la politique française notamment pour faire passer la gaz du Qatar. À Paris, il doit y avoir quelques gueules de bois et on peut espérer que par rebond quelques têtes vont vallser. Le blocus de l'Ukraine ne servant plus à rien, le South Stream pourrait être aussi réactivé, la Bulgarie ayant tout récemment refusé de participer à une flotte conjointe en mer Noire. Les Russes auraient non pas un mais deux tuyaux pour mâter les velléités de chantage. Un coup de maître, encore... On imagine que les récentes visites de Netanyahou en Russie ne sont pas étrangères à cet accord, ce qui pourrait indiquer une perte d'influence américaine et des Israéliens qui changent de danseuses à la volée. Quid de l'alliance à peine cachée entre Israël et l'Arabie saoudite? La guerre au Yémen? La stabilité de l'Arabie Saoudite? Le rôle de l'Iran si l'Arc chiite Syrie, Irak, Iran se verrouille? Côté ISIS et al-Nosra, sans le soutien turc, les fronts vont rapidement s'effondrer et on pourrait assister à une débandade généralisée pour des groupes armés déjà sous pression. Le réarmement pendant la trêve n'aurait servi à rien. Que va-t-on faire de ces djihadistes? Peu probable que les Russes et les Chinois les laissent repartir se refaire la cerise en Libye avec le risque de les voir resurgir en Tchétchénie ou au Xinjiang. Il reste les Kurdes qui pouvaient espérer tirer les marrons du feu avec un bout de Syrie et/ou un bout de Turquie. Ça risque d'être dur de les faire re-rentrer dans le rang et ils restent donc un facteur de guerre hybride potentielle. Les grands perdants pourraient aussi être les Américains, du moins la branche néocon et Hillary Clinton. On pourrait d'ailleurs assister à des coups de théâtre dans la campagne américaine et le retrait de sa candidature empêtrée dans ses affaires judiciaires. Une voie royale de Trump soutenu par le lobby israélien? De quoi purger l'appareil d'État US? On comprend mieux l'arrivée d'un général Flynt comme vice-président possible de Trump... Sur fond de rumeur de restructuration monétaire autour des DTS du FMI, il est possible qu'au grand jeu des chaises musicales, la musique se soit arrêtée et que pas mal de joueurs soient désormais sur la touche. L'avenir nous le dira. Jusqu'aux élections US de novembre, il devrait encore s'en passer des choses.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone
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