Tentative de coup d’État au Bénin : un expert russe avance une analyse inattendue


Par Andrew Korybko − Le 13 décembre 2025 − Source korybko.substack.com

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Il estime que les Français sont derrière ce coup d’État et qu’ils cherchaient à saper le système de sécurité régional.

De nombreux observateurs considèrent le coup d’État raté au Bénin comme une réplique de la vague de coups d’États militaires patriotes réalisés dans la région au cours des dernières années, alimentés par un sentiment anti-français et par la dégradation des conditions économiques et de sécurité. Cette interprétation a été renforcée par l’intervention militaire dirigée par le Nigeria, un autre membre de la CEDEAO, qui a inclus des frappes aériennes, après que le Nigeria a menacé le Niger d’y faire la même chose après son coup d’État réussi de l’été 2023, pour finalement se rétracter.

Cette perception explique pourquoi l’analyse produite par Alexander Ivanov, directeur de l’Union des Officiers pour la Sécurité Internationale, était tellement inattendue. Il a affirmé à l’agence TASS que « Washington est parfaitement au courant que quiconque contrôle les ports au Bénin et en Guinée-Bissau contrôle les accès au Sahel. À y regarder de plus près, il apparaît nettement que le président Talon ne constituait pas la cible principale, et que celle-ci était l’ensemble du système de sécurité régional. »

Ivanov ajoute que « le coup d’État a été si mal exécuté qu’il semble avoir suivi un manuel exposant les erreurs à ne pas commettre. Parmi toutes les structures clés, les putschistes ne se sont emparés que de la station de télévision, et ils n’ont mené aucune tentative d’investir la capitale, Porto-Novo. Cela démontre clairement que l’objectif principal était de faire la une et de servir les intérêts de parrains étrangers. Les Français ont mené des activités inhabituelles, envoyant par exemple un avion de reconnaissance surveiller Cotonou. »

Il conclut que « la France a constitué une alliance tactique avec les États-Unis pour récupérer au moins une partie de son ancienne influence dans la région. » L’objectif, selon lui, est « piloté par leur désir de couper la région du Sahel de l’océan, de s’imposer aux gouvernements qui coopèrent avec Moscou et Pékin, et de priver la Russie de tout accès aux couloirs logistiques régionaux. » Argument qui plaide en sa faveur, l’ambassade de Russie au Bénin a annoncé au cours de l’été que les deux pays prévoyaient de signer un accord de coopération militaire.

Le journal Le Monde a ensuite semé la peur le mois passé en disant que l’accord militaire récemment signé par la Russie avec le Togo, qui les autorise à utiliser leurs ports militaires respectifs, pouvait constituer un modèle pour le Bénin, afin d’approfondir les liens entretenus entre la Russie et l’Alliance sahélienne. Bien que le président sortant Patrice Talon doive quitter ses fonctions au mois d’avril, peut-être a-t-on pensé à Paris qu’on ne pourrait pas empêcher Romuald Wadagni, son protégé, de lui succéder et de poursuivre la même politique étrangère, d’où la nécessité d’un coup d’État militaire pour tout réinitialiser.

Cette analyse est pertinente, mais est remise en cause par la récente décision prise par le chef de la junte militaire nigérienne, aligné sur la Russie, de fermer ses frontières avec le Bénin, et averti de la menace posée par la supposée base militaire secrète française, évidemment réfutée par Paris. Talon et Wadagni sont également de fiers francophones, malgré le pragmatisme manifesté par le premier vis-à-vis de la Russie. Il est donc difficile d’imaginer la France mettre en risque son influence au Bénin en soutenant un coup d’État militaire, sauf à supposer qu’il s’agît d’un faux drapeau pour justifier une purge.

Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant l’analyse produite par Ivanov, mais elle n’en a pas moins servi à inspirer des idées dans les relations bénino-russes, remettant en cause le narratif dominant au sein des médias alternatifs, selon lesquels Talon ne serait qu’une marionnette française farouchement opposé à l’influence de la Russie dans la région. En réalité, la tentative de coup d’État aura sans doute été authentique, inspirée par l’exemple de l’Alliance du Sahel, mais cela ne signifie pas que l’Alliance y ait pris part, ni que son partenaire russe commun y ait joué un rôle.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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