Une Europe des Nations ? Le retour


Par Aurelien – Le 24 Septembre 2025 – Source Blog de l’auteur

Après la discussion de la semaine dernière sur la coopération politique à petite échelle et basée sur les intérêts au niveau national, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de passer au niveau international, où règne beaucoup de confusion sur les activités politiques multilatérales et transnationales et ce qu’elles signifient. Je vais me concentrer en particulier sur l’Europe aujourd’hui, et je dirai que nous assisterons probablement à une dérive de l’influence et du pouvoir politiques des institutions vers les États-nations. J’essaierai d’expliquer cela en me référant à d’autres arrangements et institutions du passé et du présent. Certains considéreront cela comme dangereux et même effrayant : j’aurais tendance à le considérer comme nécessaire et de toute façon inévitable.

L’année dernière, j’ai écrit un essai substantiel sur le fonctionnement (ou non) des institutions internationales, et je ne répéterai pas tout cela ici. Mais la réflexion derrière cet essai, bien que je ne l’aie pas poursuivi en détails, était basée sur le principe de ce que j’appelle l’intégrité institutionnelle. Cette phrase à consonance prétentieuse signifie simplement que les institutions qui réussissent, à tous les niveaux, ont plusieurs caractéristiques : elles doivent servir un objectif et être structurées pour atteindre cet objectif et répondre aux aspirations de ceux qui ont créé l’organisation et de ceux qui devraient théoriquement bénéficier de son travail. Si cela semble élémentaire, eh bien, c’est le cas, mais comme beaucoup de choses élémentaires, elles sont négligées dans la précipitation. Commençons par quelques brefs exemples historiques de la façon dont les choses ont bien et mal tourné, pour nous aider à comprendre où nous en sommes maintenant.

C’est généralement une bonne règle que tout type de coopération découle naturellement d’un besoin et d’un avantage mutuels : en effet, c’est ainsi que des types assez sophistiqués de coopération internationale informelle ont commencé dans un passé lointain. Par exemple, il s’avère qu’il y avait des relations commerciales sophistiquées tout autour de la Méditerranée des milliers d’années avant que Romulus n’assassine Remus. Les descendants de Romulus eux-mêmes faisaient beaucoup de commerce avec d’autres parties du monde, y compris la côte Est de l’Afrique et même l’Inde. Cela nécessitait d’établir des contacts diplomatiques avec les royaumes d’Afrique, du golfe Persique et de certaines régions de l’Inde. (Un rappel utile que le pouvoir et l’influence romaines n’étaient pas seulement une simple conquête par extermination.)

Ces réseaux commerciaux, parmi tant d’autres, ont été établis puis ont prospéré tout simplement parce qu’ils servaient un but utile. Ce n’était pas du “commerce” dans son sens idéologique moderne débile, où les nations échangent des biens identiques en essayant de se battre les unes contre les autres sur les prix. C’était du commerce au sens originel, où j’échange ce que j’ai et ce que vous voulez contre ce que vous avez et que je veux. En revanche, de nombreuses structures et institutions modernes concernées par le commerce (l’OMC en est l’exemple évident) voient clairement l’expansion du commerce comme un bien absolu et incontestable en soi, que quelque chose d’utile et pratique soit accompli ou non. L’augmentation des échanges commerciaux entre deux pays est inévitablement présentée comme une bonne chose intrinsèque, que les biens échangés répondent ou non à un besoin défini que, dans chaque cas, l’autre ne peut pas satisfaire au niveau national. Là, vous avez un exemple simple d’une organisation qui s’est égarée.

Passant du commerce, historiquement, les nations individuelles puis les empires se sont développés par expansion territoriale. Une fois qu’un centre de pouvoir était établi, ses dirigeants cherchaient à placer les zones adjacentes sous leur contrôle. Cela générait de nouvelles ressources qui rendaient l’entité d’origine plus riche et plus puissante, et à son tour permettait plus d’expansion. Vous pouvez voir cet effet non seulement dans la croissance des nations (la France en est un bon exemple) mais dans la croissance des empires, qui étaient de loin la forme historique dominante de la politique, jusqu’à très récemment. Un traitement en accéléré de l’expansion et du déclin des empires persan, romain, des Habsbourg ou ottoman le démontre très clairement. Et bien sûr, les Empires se sont finalement battus entre eux, comme les Ottomans et les Habsbourg, ou ont simplement rencontré des adversaires particulièrement forts, comme les Perses l’ont fait avec les Grecs, avec toutes sortes de conséquences politiques.

Parfois, comme chez les Romains et les Perses, la méthode de domination était une gestion centralisée avec des gouverneurs impériaux et des garnisons militaires. Parfois, comme avec les Habsbourg, l’Empire était un produit d’alliances matrimoniales à la place de conquêtes militaires. Et en Afrique, où la densité de population était faible, un État plus fort rassemblerait des États tributaires plus faibles autour de lui, et parfois les attaquait pour obtenir des esclaves et autres marchandises. Mais dans tous ces cas, on peut raisonnablement dire que le principe d’intégrité institutionnelle a été respecté, et qu’il y avait une certaine relation entre l’expansion des empires, la capacité de générer de la force et les objectifs des dirigeants. (Il y a toujours des exceptions bien sûr : Alexandre le Grand a été diagnostiqué à titre posthume avec un Trouble de la personnalité narcissique, et il est frappant de constater que son Empire, qui semblait n’avoir aucune justification sous-jacente sauf son désir de conquête, s’est effondré après sa mort.)

Étendre les empires à l’étranger était une évidence différente, notamment parce que leur création nécessitait beaucoup d’argent et de ressources, ainsi que d’importantes capacités logistiques et de transport. Heureusement, peut-être, les Romains n’ont pas pu transporter une armée en Inde. Naturellement, les premiers pays à établir des possessions d’outre-mer furent des puissances maritimes : d’abord l’Espagne et le Portugal, puis les Pays-Bas. Les objectifs étaient multiples et beaucoup trop complexes pour être abordés ici, mais impliquaient certainement le commerce, l’accès aux richesses minérales et, dans certains cas, la propagation du catholicisme. Il est peut-être intéressant de noter que les deux empires renversés par les Espagnols, les Aztèques et les Incas, étaient à la fois des systèmes basés sur le tribut et eux-mêmes en déclin à l’époque.

Si nous regardons une carte Wikipedia du monde en 1700, nous voyons bien les modèles traditionnels d’expansion organique. Le monde se composait principalement d’empires traditionnels (Safavides, Moghols, Qing, Ottomans, Russes et de plus petits empires en Afrique) bien que les empires d’outre-mer firent une apparition minuscule et timide. Mais dans la plupart des cas, tout ce que nous pouvons observer est une “présence” européenne minimale, largement liée au commerce et limitée à la côte. Ce n’est que dans les Amériques qu’il existait des zones non-négligeables “revendiquées” par les puissances occidentales, et même alors c’était seulement des parties proches de la mer. La situation coloniale ne s’était que marginalement développée en 1800. Cela avait du sens compte tenu des technologies et des objectifs politiques de l’époque, et était exactement parallèle à la propagation de l’Islam et à l’influence des États du Golfe le long de la côte Est de l’Afrique, qui concernait autant la domination politique et la propagation de la loi commerciale islamique que la conquête géographique.

Même au milieu du XIXe siècle, avec l’Empire ottoman en retraite et les États nouvellement indépendants d’Amérique latine établissant leurs frontières, l’accent était toujours mis sur le commerce et le placement stratégique. La colonie du Cap, établie à l’origine par les Hollandais pour soutenir leur commerce avec l’Est, a été reprise par les Britanniques comme base navale pendant la guerre napoléonienne, et les Afrikaners se sont déplacés vers le Nord et l’Est pour échapper aux Britanniques et à leurs idées politiques libérales. En dehors de cela, la seule présence extérieure en Afrique furent les Ottomans au Nord et quelques minuscules enclaves côtières européennes ailleurs. Ce n’est pas pour rien que l’Afrique de la seconde moitié du XIXe siècle était considérée en Europe comme aussi mystérieuse que la Lune. Dans le même temps, pendant près d’un siècle, l’Australie ne fut qu’une colonie pénitentiaire. Les Français ont pris aux Ottomans le territoire que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’Algérie en 1830, mettant ainsi fin à la piraterie et aux raids pour attraper des esclaves en Europe qui posaient problème en Méditerranée depuis des siècles. Mais la logistique n’était pas compliquée.

Le contraste entre la situation en Afrique en 1880 et celle à la veille de la Première Guerre mondiale est si extrême qu’à première vue elle semble incompréhensible. Mais il y a des raisons à cela, même si certaines d’entre elles semblent bizarres, et elles ont conduit les principales puissances européennes à s’éloigner progressivement du modèle de routes commerciales et de présence stratégique qui duraient depuis des milliers d’années, vers une mythologie impériale à part entière et une compétition pour un statut qu’en fin de compte aucune d’entre elles ne pouvait se permettre. C’est un autre exemple du truisme selon lequel rien ne réussit autant en politique internationale qu’une très mauvaise idée reprise par une grande puissance.

Puisque cet essai porte sur les institutions, je n’entrerai pas dans les détails sur les pressions qui ont conduit à l’expansion massive des empires au cours des dernières décennies du XIXe siècle. (Vous pouvez lire sur les Britanniques ici et les Français ici dans leur contexte historique plus large.) Dans les deux pays, il y avait un “Parti colonial” et dans les deux cas, il contenait des éléments différents et contradictoires : idéaliste, religieux, nationaliste, stratégique, militariste, compétition entre grandes puissances, espoirs de gains économiques et une classe moyenne nouvellement alphabétisée et intensément patriotique. (Pas étonnant que les historiens populaires n’aient pas réussi à imposer un récit global.)

En Grande-Bretagne, l’impérialisme représentait une rupture significative et controversée avec la tradition libérale, qui préférait le commerce à la guerre, et qui soutenait (à juste titre, il s’est avéré) que si vous vous préoccupiez des matières premières, alors être en bons termes avec les producteurs était plus utile que d’essayer d’occuper leur pays. En effet, jusqu’à la fin du XIXe siècle, “Empire” dans la politique britannique signifiait l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada et peut-être la colonie du Cap. (L’Inde était britannique depuis si longtemps qu’elle n’était même pas vraiment considérée comme une colonie.) Mais d’un autre côté, les libéraux eux-mêmes ont été fortement influencés par le mouvement évangélique politiquement puissant, pour qui la colonisation était un devoir sacré, d’abolir l’esclavage, de répandre la Parole de Dieu et d’établir ce que nous appellerions maintenant la Bonne Gouvernance. (En France, l’équivalent était l’idéologie républicaine universaliste.) Il y avait aussi des arguments stratégiques, pour le contrôle des routes commerciales et, en France, pour l’acquisition de territoires et de populations pouvant aider les 40 millions de Français à faire face d’une manière ou d’une autre aux 70 millions de Prussiens. Certains espéraient même des avantages économiques et, tandis que certains individus devenaient riches, des colonies comme celles fondées par Cecil Rhodes ont rapidement fait faillite et ont dû être sauvées par l’État. Pour la Prusse, il s’agissait sans ambiguïté de prestige et “d’une place au soleil”. Pour la Belgique, il s’agissait sans ambiguïté de pillage.

L’effet, à la différence des empires antérieurs, était de transformer les possessions impériales en un gage de statut de Grande Puissance, auquel bien sûr seules les nations riches pouvaient aspirer. Mais même les Grandes Puissances ont découvert que maintenir des empires coûte cher. En 1918, la Grande-Bretagne avait un Empire qu’elle ne pouvait plus se permettre. La base navale de Singapour a été construite dans les années 1920 au coût alors stupéfiant de 60 millions de livres sterling (des milliards, aujourd’hui), mais la Marine ne pouvait pas se permettre d’y installer des navires en permanence, et il n’y avait pas assez de troupes ou d’avions pour la défendre correctement. Ainsi, alors que les Romains et les Ottomans, par exemple, ont pu organiser des retraites mesurées et même stabiliser la situation de temps en temps, les empires occidentaux ont rapidement disparu : de nombreux pays d’Afrique sont désormais indépendants depuis presque aussi longtemps qu’ils ont été des colonies. En 1918, l’Empire britannique semblait dominer le monde : cinquante ans plus tard, il avait disparu.

En effet, c’est une règle générale de la politique que les institutions et les arrangements développés à la suite de pressions différentes et souvent contradictoires, fonctionnent mal et ne durent souvent pas très longtemps. Il en va de même pour les institutions dont la raison d’être disparaît, mais qui pour une raison ou une autre essayent d’en trouver une nouvelle. Il y a, par exemple, peu de logique dans le déploiement des forces américaines en différents points du monde. Leur nature, et même le fait de leur présence, doit plus au hasard et à la rivalité interservices qu’à toute logique stratégique. Certes, si quelqu’un avait suggéré en 1945 que des décennies plus tard, des dizaines de milliers de soldats américains seraient stationnés en Corée du Sud, ils auraient été considérés comme fous. Mais ensuite, je n’ai jamais été en mesure de comprendre l’intérêt de garder un seul régiment de cavalerie blindée américain en Allemagne et une division blindée aux États-Unis, et je n’ai encore rencontré personne qui puisse l’expliquer.

Ce qui nous amène à nos jours, où les institutions internationales, autrefois rares, sont désormais omniprésentes : il me semble en découvrir une nouvelle par mois. Certaines institutions ont une fonction si manifestement utile qu’il n’est pas surprenant de constater qu’elles ont été créées il y a longtemps : l’Union postale internationale a été fondée en 1874, pour des raisons qui étaient évidentes même à l’époque, et est toujours utile. La vie d’aujourd’hui serait considérablement plus difficile sans l’Organisation de l’Aviation civile internationale. Le fait que vous entendiez rarement parler de telles organisations indique peut-être qu’elles servent un objectif utile et non controversé.

Par contre, il existe de nombreux contre-exemples, mais je n’en discuterai brièvement que deux. L’une est la Cour pénale internationale créée par le Statut de Rome de 1998. Dès le début, la Cour a souffert d’un problème structurel et conceptuel fondamental. Son objectif était de juger des criminels présumés dans des circonstances très spécifiques lorsque les tribunaux nationaux n’étaient pas en mesure ou ne voulaient pas le faire. Cela était généralement considéré le cas lorsqu’un pays avait été détruit par un conflit ou lorsque l’accusé n’avait aucune chance d’être jugé équitablement chez lui. La Cour fonctionne par exception : sa compétence est complémentaire de celle des juridictions nationales. Elle procède également selon les règles normales des tribunaux pénaux, c’est-à-dire que la culpabilité doit être démontrée au-delà de tout doute raisonnable. Mais ces procédures détaillées et techniques se déroulent dans une atmosphère accrue d’agitation politique et morale, où les défenseurs des droits de l’homme et les médias supposent simplement que quiconque ne leur plaît pas peut être traîné devant les tribunaux, condamné et envoyé en prison. Ce conflit interne probable a été signalé à l’époque (j’y étais) mais a été foulé aux pieds dans la précipitation pour créer une organisation qui apporterait pour la première fois la paix et la justice au monde entier. Je me souviens avoir pensé (et dit) à l’époque que le Tribunal dégénérerait rapidement en un football politique. Je ne pensais pas que ça arriverait aussi vite.

Le deuxième exemple est l’Union africaine. Ici, les problèmes structurels résultaient de deux croyances erronées. Premièrement, qu’il était possible de créer une organisation internationale du haut vers le bas, comme s’il était possible de commencer à construire une maison en construisant d’abord le toit, et deuxièmement qu’il était possible de créer une organisation forte à partir d’États faibles, eux-mêmes des créations du haut vers le bas. On supposait en outre qu’un continent énorme et extrêmement disparate avec un quart des nations du monde, plus de deux fois plus de gouvernements que l’Europe mais seulement une fraction de la richesse, pourrait créer quelque chose de comparable à l’Union européenne, et le faire très rapidement. En l’occurrence, la structure ne pouvait pas absorber les pressions et les tensions causées par des dirigeants comme Kadhafi et Mugabe, et fut dysfonctionnelle pendant une grande partie de ses débuts. De plus, 95% de son budget provient toujours de donateurs étrangers. Elle a une architecture de paix et de sécurité ambitieuse, qui existe sous la forme de documents et de comités mais pas vraiment en termes opérationnels. La Force africaine en attente (FAA) devait être pleinement opérationnelle en 2010, et a été déclarée ainsi en 2015, mais en fait, elle est largement incapable de mener des opérations, en raison de différends politiques et de problèmes de logistique et de formation. De plus, le type de crises auxquelles qu’elle était destiné à régler (essentiellement l’interprétation occidentale de ce qui s’est passé au Rwanda et ailleurs) a cédé la place à la nécessité de combattre des organisations telles qu’État islamique, pour lesquelles la FAA n’a jamais été conçue.

La caractéristique commune de ces deux organisations est qu’elles ont fait du bien, et il serait grossier de le nier, mais qu’il n’y avait aucune chance qu’elles puissent répondre aux attentes gonflées de leurs adeptes, dont beaucoup n’ont même pas pris la peine de lire les documents fondateurs, mais ont construit des organisations fantastiques avec des attributs et des capacités qu’ils ne pourraient jamais espérer avoir. Ces mêmes personnes sont maintenant parmi les critiques les plus acerbes. L’Union africaine était, pour ceux qui l’ont conçue, une expression de la dignité et de l’autonomie africaines, et une organisation qui établirait la place de l’Afrique dans le monde en tant que continent, pas seulement un kit Lego à partir duquel les donateurs pourraient imaginer des visions agréables. Pour leur part, les nations occidentales ont déployé beaucoup d’efforts derrière l’Architecture de paix et de sécurité, dans l’espoir que les Africains pourraient désormais régler leurs propres problèmes sans avoir besoin de l’implication occidentale, ou du déploiement d’opérations onusiennes coûteuses et dysfonctionnelles que l’Occident a fini par payer en grande partie. Mais ces deux conceptions, pas forcément opposées, se sont heurtées pour des raisons pratiques et, lorsqu’une véritable crise est apparue en 2013 au Mali, l’UA n’a pratiquement joué aucun rôle, l’ASF n’était nulle part visible, et les combats réels ont été menés principalement par les Français, pendant que les Algériens géraient les tentatives de règlement politique. Les amis de l’Afrique, parmi lesquels je me compte depuis des décennies, pensaient qu’il s’agissait d’essayer d’en faire trop et trop tôt. Mais lorsque j’ai demandé à certains de ceux qui ont participé à la rédaction des premières ébauches de l’Acte constitutif pourquoi une clause de défense mutuelle avait été incluse alors que peu d’États africains pouvaient prétendre défendre même leur propre territoire, la réponse a été un haussement d’épaules regrettable : pour des raisons politiques, nous avons dû l’inclure.

Il existe de nombreux autres exemples d’organisations conçues à des fins contradictoires, ou qui font le contraire de ce qu’elles sont censées faire. Un exemple est le Conseil de coopération du Golfe, qui est dominé par l’Arabie saoudite, dont la population dépasse le reste des membres du CCG réunis, et dont l’influence au sein de l’organisation est fortement ressentie. (Il m’a été suggéré que le CCG n’est en fait rien de plus qu’un moyen pour l’Arabie Saoudite de garder ses voisins en ligne, mais cela va peut-être un peu trop loin.)

Et l’important ici, qui est le thème de la seconde moitié de cet essai, est que les organisations qui ne fonctionnent pas, ou qui ne répondent pas aux besoins de leurs membres, commencent à se décomposer avec le temps et, si elles survivent, perdent de leur importance. Lorsque ces organisations nécessitent un engagement politique de la part d’un gouvernement et lorsque les gouvernements ne peuvent plus persuader leur public de soutenir de telles organisations, alors de graves problèmes arrivent. Je dirais que les principales institutions qui structurent la vie politique collective en Europe, y compris, mais sans s’y limiter, l’OTAN et l’UE, sont dans cette situation maintenant. Elles ne font plus ce qu’elles étaient censées faire, ni ce que leurs fondateurs avaient l’intention de faire, et leur existence est maintenant comme une sorte de zombie, avançant sans vraiment savoir où elles vont.

J’ai discuté des débuts de l’histoire de l’OTAN à plusieurs reprises, et je ne répéterai pas tout cela ici. Mais une chose sur laquelle on ne met pas suffisamment l’accent est la nature hautement contingente de son développement. Le sentiment de peur et de faiblesse qui prévalait en Europe à la fin des années 1940 se serait probablement dissipé avec le temps. Alors que le Traité de Washington ne donnait pas la garantie d’un soutien militaire dans une crise, tant espérée par les Européens, il signalait au moins à l’Union soviétique que les États-Unis s’y intéresseraient en cas de crise et permettait aux Européens d’utiliser les États-Unis comme facteur d’équilibre politique. Il est raisonnable de supposer que, à mesure que l’Europe se remettait de la guerre, et en l’absence de provocations et d’exigences soviétiques, que Staline était probablement trop prudent pour formuler, la situation se serait calmée. Ce qui a changé tout cela, bien sûr, et a conduit à ce que les historiens appellent la “militarisation de l’OTAN”, c’est la guerre de Corée et l’implication des forces chinoises. À l’époque, cela était supposé être à la demande de Staline (qui gardait en effet une emprise rigide sur les activités des partis et gouvernements communistes étrangers) et il était supposé qu’un mouvement similaire de conquête vers l’ouest ne tarderait pas à venir. Pourtant, alors que Staline semble avoir parrainé la guerre et aussi l’implication chinoise, nous savons maintenant qu’il était très soucieux d’éviter un affrontement direct avec les États-Unis, qui avaient également des forces sur la péninsule.

À l’époque, ces nuances étaient soit inconnues, soit non comprises, et il semblait logique de supposer que le prochain coup viendrait à l’Ouest. Le résultat fut une tentative effrénée de déployer des forces et de mettre en place une structure de commandement pour la guerre, qui était attendue pour dans quelques années tout au plus. La guerre n’est pas venue – parmi les rares vertus de Staline, il était naturellement prudent – et donc pendant des décennies, il y a eu la vision bizarre d’un système de commandement international pour temps de guerre existant en temps de paix, avec des quartiers généraux internationaux, des domaines de responsabilité, une formation régulière, des procédures standards et bien d’autres choses jamais vues auparavant. Tout ce qui manquait c’était la guerre et toute théorie convaincante de ce dont il pourrait s’agir de manière plausible. Paradoxalement, la peur injustifiée de l’Union soviétique a conduit à des pressions pour la remilitarisation de l’Allemagne, ce qui a conduit à des changements substantiels au sein de l’OTAN (et à l’opposition de la France et d’autres pays occidentaux) mais aussi à l’opposition de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, ce qui a finalement conduit à la formation de l’Organisation du Traité de Varsovie en 1955, ce qui a conduit à des craintes accrues parmi les États occidentaux que l’Union soviétique se prépare à une guerre immédiate, ce qui a conduit à la cascade de malentendus et d’erreurs dont nous avons eu la chance de sortir en un seul morceau.

Au fil des décennies, un élément curieusement rituel s’est développé dans les activités de l’OTAN. L’organisation a engendré une bureaucratie massive à Bruxelles et à Mons, ainsi que dans ses organisations subordonnées et ses QG dans toute la zone de l’OTAN. Elle a exercé et élaboré des plans détaillés pour mener une guerre défensive, mais il ne semblait jamais y avoir de raison convaincante pour que l’une ou l’autre des parties déclare réellement une guerre. Les deux camps savaient quelles forces seraient théoriquement engagées et comment, si jamais cela se produisait (le match entre le 1er Corps (britannique) et la 3e Armée de choc soviétique était anticipé par les deux camps mais heureusement ne s’est jamais produit.) Même l’avantage idéologique auquel on aurait pu s’attendre a commencé à s’estomper après l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. Dans les années 1980, l’OTAN était dirigée et dotée en personnel par une génération qui avait simplement grandi avec la Guerre froide comme un fait accompli. Il était largement axé sur l’interne, discutant des budgets de défense du « partage du fardeau« , des objectifs de la Force, du financement de l’infrastructure, des communiqués sans fin, de qui obtiendrait quel emploi, et ainsi de suite.

Au fur et à mesure que les choses évoluaient, les nations ont commencé à voir des avantages à continuer avec l’OTAN, qui n’avaient rien à voir avec sa fonction principale revendiquée. Le principal d’entre eux était de contraindre les États-Unis. Depuis la fin des années 1940, la crainte européenne était d’un accord entre les États-Unis et l’Union soviétique sur l’Europe où les Européens n’étaient pas consultés. Le personnel américain déployé en Europe, même en nombre relativement restreint, et la nécessité bureaucratique pour les États-Unis de consulter leurs partenaires européens n’avait pas entièrement éliminé ce risque, mais l’avait limité. Une autre avantage était que l’OTAN était un parapluie acceptable pour réarmer l’Allemagne, sous un contrôle international efficace, et rassurait ainsi les voisins de l’Allemagne, ainsi qu’un moyen de rétablir la respectabilité internationale de l’Allemagne elle-même. (En réalité, la Bundeswehr pendant la Guerre froide était l’armée la plus antimilitariste de l’histoire, à l’exception peut-être des Canadiens.) Les petits pays considéraient l’OTAN comme un contrepoids à la domination potentielle allemande et française de l’Europe, et une chance d’influencer les États-Unis et leurs partenaires européens plus qu’ils ne l’auraient fait autrement. Les grandes nations (notamment le Royaume-Uni) y ont vu une structure au sein de laquelle elles pouvaient déployer beaucoup d’efforts pour essayer discrètement d’influencer les États-Unis. Au-delà de cela, il y avait des postes de commandement prestigieux et des institutions internationales à accueillir. Et il y avait aussi beaucoup d’autres facteurs, ce qui signifiait qu’à la fin de la guerre froide, lorsque l’avenir de l’OTAN était en question, il y avait un consensus pour la maintenir, mais pour des raisons qui ne pouvaient en grande partie pas être articulées, et qui étaient souvent en opposition les unes avec les autres.

Dans le chaos multiforme de la fin de la guerre froide, une organisation créée pour mener une guerre apocalyptique imminente dans les années 1950 s’est retrouvée essentiellement sans emploi. Elle a survécu en partie pour les raisons tacites évoquées ci-dessus, en partie par pure inertie, car personne ne pouvait même commencer à imaginer comment la remplacer. Et puis les gens ont commencé à regarder des cartes et se sont rendu compte qu’une nouvelle Allemagne plus puissante était dans l’OTAN et que la Pologne ne l’était pas, de sorte qu’en cas de différend frontalier qui pourrait tourner au vinaigre, le Portugal et la Grèce devraient soutenir l’Allemagne, peut-être même militairement. Attendez une minute. Ce n’était qu’une des nombreuses raisons du processus désordonné d’élargissement de l’OTAN (et au moins aussi grave était la crainte des États d’Europe centrale de se retrouver coincés dans un vide stratégique entre une Allemagne unifiée et la Russie), mais tout ce processus était conforme au modèle général de prise de décision ad hoc à court terme où les décisions sont prises principalement parce qu’elles satisfont les exigences contradictoires des différents États, plutôt que pour des vertus intrinsèques. À ceux d’entre nous qui ont exprimé des inquiétudes quant aux conséquences, la réponse a été : “Nous nous inquiéterons de cela plus tard.”

Plus tard, la question s’est posé de savoir si une organisation qui a été fondée dans la panique, poursuivie par inertie et qui a lutté pour être pertinente pendant trente ans va survivre beaucoup plus longtemps. Personnellement, je doute que ce soit le cas, du moins dans sa forme actuelle. Cela ne veut pas dire qu’elle disparaîtra comme l’a fait le Pacte de Varsovie, mais plutôt qu’elle deviendra lentement insignifiante et redeviendra un simple mécanisme de consultation politique, alors que la véritable action se fera entre les nations. Pourquoi ? Eh bien, je dirais qu’il y a deux conditions fondamentales pour que l’OTAN soit utile, et chacune d’elles est en train de disparaître.

La première est qu’elle fournit à l’Europe un contrepoids à la puissance soviétique et plus tard russe, sous la forme des États-Unis. Ce n’était pas, comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises, principalement une question militaire, ce n’était pas les États-Unis qui “protégeaient” l’Europe. L’idée était que l’Europe était clairement une zone d’une grande importance stratégique pour les deux pays, mais pas nécessairement une zone pour laquelle ils étaient prêts à entrer en guerre. Il y avait donc le risque qu’un gouvernement américain isolationniste parvienne à un accord tacite avec Moscou que l’Europe regretterait. Empêcher cela était la principale raison tacite pour laquelle les États européens soutenaient l’adhésion à l’OTAN et pour laquelle les troupes américaines étaient suffisamment avancées pour qu’elles soient impliquées dans tous les combats et que les États-Unis ne puissent pas se soustraire à leurs obligations.

Cet argument ne s’applique plus. Premièrement, il est clair que les craintes et les attentes de la classe politique américaine se concentrent désormais ailleurs. C’est en partie une question de génération : jusqu’à récemment, la réticence culturelle de Washington à l’égard de l’Europe était encore exploitable, et de nombreuses personnalités de Washington avaient de bons souvenirs d’une année à Oxford ou à la Sorbonne, du temps passé dans les institutions européennes, ou simplement de la nourriture, de la culture et de l’histoire. Les Britanniques, qui parlaient en outre la même langue que les Américains, mais mieux, ont particulièrement bien exploité cela, comme je le sais par expérience personnelle. Mais c’est du passé. M. Trump est peut-être un cas caricatural, mais plus généralement, la politique américaine est entre les mains d’une classe post-culturelle qui ne mange que des hamburgers et ne connaît aucune histoire. Cela risque de durer. En tout état de cause, la capacité pratique des États-Unis d’influencer les événements en Europe est maintenant presque réduite à néant, et ses forces militaires ne constitueraient pas un obstacle à ce que la Russie fasse essentiellement ce qu’elle veut.

Deuxièmement, l’OTAN elle-même n’est plus une organisation militaire sérieuse et ne peut pas le redevenir. L’argent n’est pas le moindre des problèmes : les décideurs européens découvrent maintenant que le monde n’est pas un gigantesque magasin Amazon dans lequel vous pouvez commander tout ce que vous voulez. On ne peut s’attendre qu’à des améliorations marginales des capacités européennes, et les États-Unis ne seront plus jamais en mesure de déployer plus qu’une capacité militaire symbolique en Europe même. Une alliance militaire sans capacité militaire sérieuse (telle que l’alliance de facto au sein de l’Union africaine) n’est réalisable que lorsqu’il n’y a pas de concurrence. Mais la domination militaire que la Russie exerce déjà en Europe rend l’OTAN effectivement inutile. Cela ne veut pas dire que tout est perdu (et j’aborderai la question de ce que l’Europe pourrait faire la semaine prochaine), mais plutôt qu’une alliance militaire sans capacité militaire sérieuse est, au mieux, une anomalie et l’OTAN risque de revenir lentement à rien de plus que le mécanisme de consultation politique qu’elle était au début, perdant éventuellement des membres en cours de route.

J’ai également discuté des origines et des problèmes de l’UE à plusieurs reprises auparavant. Ici, je pense que le point clé est qu’il y a deux Europe, et la confusion entre elles est au cœur de la désillusion et de l’aliénation qui sont si répandues aujourd’hui parmi les gens ordinaires. La première Europe est l’Europe physique, l’Europe de l’histoire et de la géographie, de l’identité et de la culture. C’est à cette Europe que les pères de l’unité européenne pensaient, dès les années 1930, mais surtout dans la décennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. La guerre avait montré ce que les Européens étaient capables de se faire les uns aux autres et à leur continent. Le sentiment de désespoir qui en résultait était probablement aussi grave que la destruction physique, et c’était assez impressionnant : pensez à Gaza à l’échelle continentale. Il y avait une réalisation sobre que si les démons étaient autorisés à s’échapper à nouveau, il n’y aurait plus d’Europe.

Si vous prenez la peine de lire les discours et les mémoires de l’époque, il est immédiatement évident que le véritable objectif des pères de l’Europe était la recréation symbolique du Saint Empire romain germanique, c’était-à-dire un espace politique avec des rivalités, certes, mais fondamentalement unis en termes de culture et de présupposés historiques. D’une certaine manière, c’était aussi une tentative de surmonter enfin les divisions de la Réforme : les connotations chrétiennes des discours de gens comme Monnet et Schuman sont indéniables. Au-delà de l’idéalisme de surface, il y avait aussi un choix brutal : accepter une certaine supranationalité, ou accepter le grave risque de destruction de l’Europe elle-même. Mais à ce stade, « l’Europe » était petite et homogène, composée uniquement de six nations dont les histoires étaient entremêlées depuis des siècles et dont les cultures étaient profondément interdépendantes. Même l’ajout du Royaume-Uni et de l’Irlande n’a pas fondamentalement changé les choses au début. Ce qui était essentiel, c’était d’avoir la France et l’Allemagne, dont la compétition pour le pouvoir avait divisé l’Europe sous des formes différentes pendant des centaines d’années, sous la même tente. Tout le reste était secondaire.

C’est le type d’Europe, même élargie, dont presque tous les Européens seraient satisfaits aujourd’hui ; l’idée que le chauvinisme et le sectarisme sont répandus est un pur non-sens. Les cultures nationales ne sont en tout cas pas uniformes : la France de Strasbourg, la France de Nice et la France de Toulouse pourraient tout aussi bien être dans des pays étrangers, notamment parce que les frontières se sont fréquemment déplacées et que les langues s’interpénètrent. Une Europe qui reprendrait son immense héritage culturel et historique et le célébrerait serait une Europe dans laquelle presque tout le monde serait heureux de vivre.

Mais l’Europe que nous avons aujourd’hui n’est pas un lieu réel, avec une histoire et une culture, mais une idée normative. C’est une création artificielle, une tentative d’une part de lier de force différents pays tout en interdisant la discussion sur les différences historiques réelles, et d’autre part d’encourager la croissance d’une élite européenne déracinée, servie par une population immigrée jetable et remplaçable dont la présence dilue également utilement le sens de la communauté et de l’histoire qui, aux yeux de Bruxelles, ne peut que provoquer des conflits. En parallèle, il est nécessaire de transformer les nombreuses cultures différentes de l’Europe en une seule soupe grise distribuée par Bruxelles, et bloquer fermement tout sentiment d’engagement, et encore moins de fierté, envers le passé.

De plus, un peu comme l’OTAN, l’UE a constaté qu’elle ne savait pas quand s’arrêter. J’ai mentionné à plusieurs reprises l’argument de Iain MacGilchrist selon lequel le cerveau gauche a échappé au contrôle et domine maintenant notre culture. Vous pouvez certainement voir le concept original d’une Europe unie comme une idée de cerveau droit : la révulsion face à l’histoire sanglante du continent et l’espoir de construire quelque chose de mieux. Mais l’Europe est maintenant dominée par le cerveau gauche : toujours plus de membres, une intégration toujours plus “profonde”. Classiquement, le cerveau gauche ne sait jamais s’arrêter.

Il est difficile de voir comment cela peut durer, et la plus grande contribution de Mme von der Leyen pourrait bien être de précipiter toute la camionnette supranationale de soupe grise dans le mur. Le fait est que, débarrassées de la rhétorique, les nations européennes commencent à reconnaître que leurs intérêts sont souvent très différents et, dans de nombreux cas, opposés. C’est une erreur que l’appartenance à la même organisation encourage l’unité et l’accord. En fait, cela provoque le contraire, parce que des pays ayant des intérêts différents, ou même des pays qui normalement ne s’intéresseraient à rien du tout, sont obligés de se battre pour des mots et des politiques dans une lutte pour trouver un terrain d’entente qui autrement ne serait pas nécessaire. Cela s’appliquera probablement à peu près à l’ensemble de l’Europe, que les pays portent une casquette de l’OTAN ou de l’UE.

En bref – et il y aurait beaucoup plus à en dire – les institutions ne durent pas éternellement. Même des empires vieux de centaines d’années disparaissent. Les institutions disparaissent, avec plus ou moins d’agitation, lorsqu’elles ne peuvent plus fonctionner, lorsqu’elles ne correspondent plus à un besoin ressenti, et lorsqu’elles se sont trop éloignées de leurs objectifs initiaux et sont en roue libre. Le résultat ne peut être qu’un mouvement de renationalisation de nombreuses fonctions politiques et économiques. Bruxelles n’a pas beaucoup de divisions blindées (mais beaucoup de divisions rhétoriques) et au final ne pourra pas empêcher les pays de travailler collectivement sur des questions qui les intéressent. L’astuce sera de le faire sans tout casser.

Aurelien

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

Note du Saker Francophone

Pour rebondir sur la fin de cette analyse, je rajouterai que le problème est que les nations européennes ont une incapacité culturelle à travailler collectivement car la méfiance instaurée par des générations et des générations de guerre entre elles est profondément installée dans leur psyché collective. Cet article de RFI est en un exemple caractéristique.

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