De fausses informations sur des transferts de missiles à la Russie sont utilisées pour sanctionner l’Iran


Par Moon of Alabama – Le 14 octobre 2024

De fausses informations, basées sur des sources anonymes, affirment que l’Iran a livré des missiles balistiques à la Russie pour qu’elle les utilise dans sa guerre contre l’Ukraine.

L’Iran nie catégoriquement avoir envoyé de tels missiles. L’Ukraine n’a pas signalé l’impact d’un tel missile sur son territoire. Il n’y a aucune preuve qu’un transfert de missiles ait eu lieu.

En septembre, les États-Unis et le Royaume-Uni ont imposé de nouvelles sanctions à l’Iran, qui touchent principalement son trafic aérien civil. L’Union européenne leur emboîte maintenant le pas avec des sanctions similaires. Ces sanctions sont censées punir des transferts de missiles qui n’ont pas eu lieu.

En dehors des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, toutes les sanctions économiques, comme les entraves aux déplacements, sont contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et ne reposent sur aucune base juridique.

Suivons la piste :

La première fausse alerte au sujet d’un transfert de missiles iraniens vers la Russie est apparue le 21 février. Reuters titrait :

Exclusif : l’Iran envoie des centaines de missiles balistiques à la Russie

DUBAI, 21 février (Reuters) – L’Iran a fourni à la Russie un grand nombre de puissants missiles balistiques surface-surface, ont déclaré six sources à Reuters, renforçant ainsi la coopération militaire entre les deux pays sanctionnés par les États-Unis.

La fourniture par l’Iran d’environ 400 missiles comprend un grand nombre d’armes balistiques à courte portée de la famille Fateh-110, comme le Zolfaghar, ont déclaré trois sources iraniennes. Ce missile mobile sur route est capable de frapper des cibles à une distance comprise entre 300 et 700 km (186 et 435 miles), selon les experts.

Les livraisons ont commencé début janvier après qu’un accord a été finalisé lors de réunions qui ont eu lieu à la fin de l’année dernière entre des responsables militaires et de sécurité iraniens et russes, à Téhéran et à Moscou, a déclaré l’une des sources iraniennes.

Un responsable militaire iranien – qui, comme les autres sources, a demandé à ne pas être identifié en raison du caractère sensible de l’information – a déclaré qu’il y avait eu au moins quatre livraisons de missiles et qu’il y en aurait d’autres dans les semaines à venir. Il a refusé de donner plus de détails. Un autre haut fonctionnaire iranien a déclaré que certains des missiles avaient été envoyés en Russie par bateau via la mer Caspienne, tandis que d’autres avaient été transportés par avion.

« Il y aura d’autres expéditions », a déclaré le second responsable iranien. « Il n’y a aucune raison de le cacher. Nous sommes autorisés à exporter des armes vers tous les pays que nous souhaitons ». … Une quatrième source, au fait du dossier, a confirmé que la Russie avait reçu récemment un grand nombre de missiles de la part de l’Iran, sans donner plus de détails.

Le 15 mars, les dirigeants du G-7, groupe de pays occidentaux contrôlé par les États-Unis, ont réagi à l’article de Reuters :

Nous sommes extrêmement préoccupés par les informations selon lesquelles l’Iran envisage de transférer des missiles balistiques et des technologies connexes à la Russie, après avoir fourni au régime russe des drones, qui sont utilisés dans des attaques incessantes contre la population civile en Ukraine.

Si l’Iran décidait de fournir des missiles balistiques ou des technologies connexes à la Russie, nous sommes prêts à réagir rapidement et de manière coordonnée, notamment en prenant de nouvelles mesures importantes à l’encontre de l’Iran.

Il n’en a rien été. Aucun missile iranien n’est apparu en Russie ou en Ukraine et aucune autre déclaration n’a été faite.

Toutefois, un article de Reuters datant d’août 2024 notait en aparté :

En février, Reuters a fait état du renforcement de la coopération militaire entre l’Iran et la Russie et de l’intérêt de Moscou pour les missiles surface-surface iraniens.

Des sources avaient alors déclaré à l’agence de presse qu’environ 400 missiles balistiques surface-surface à plus longue portée Fateh-110 avaient été livrés. Mais les services de renseignement européens ont déclaré à Reuters que, d’après leurs informations, aucun transfert n’avait encore eu lieu.

Les autorités ukrainiennes n’ont pas déclaré publiquement avoir trouvé de restes ou de débris de missiles iraniens pendant la guerre.

L’article « exclusif » de Reuters du 21 février, basée sur six sources anonymes, s’est révélée être une fausse nouvelle. On peut se demander si les « trois sources iraniennes » avec lesquelles Reuters prétendait s’être entretenu parlaient hébreu.

La honte d’avoir publié un faux rapport n’a pas empêché Reuters de publier un faux rapport similaire, portant sur un autre type de missiles, six mois seulement après le premier.

Exclusif : L’Iran va bientôt livrer des centaines de missiles balistiques à la Russie, selon des sources de renseignement

9 août (Reuters) – Des dizaines de militaires russes sont formés en Iran à l’utilisation du système de missiles balistiques à courte portée Fath-360, ont déclaré deux sources de renseignement européennes à Reuters, ajoutant qu’elles s’attendaient à la livraison imminente de centaines de ces armes guidées par satellite à la Russie dans le cadre de sa guerre en Ukraine.

Des représentants du ministère russe de la défense auraient signé un contrat, le 13 décembre à Téhéran, avec des responsables iraniens pour le Fath-360 et un autre système de missiles balistiques construit par l’Organisation des industries aérospatiales (AIO), propriété du gouvernement iranien, appelé Ababil, selon les responsables des services de renseignement, qui ont demandé l’anonymat afin de pouvoir discuter de sujets sensibles.

Citant de multiples sources confidentielles des services de renseignement, les responsables ont déclaré que du personnel russe s’était rendu en Iran pour apprendre à utiliser le système de défense Fath-360, qui lance des missiles d’une portée maximale de 120 km et dont l’ogive pèse 150 kg. L’une des sources a déclaré que « la seule étape possible » après la formation serait la livraison effective des missiles à la Russie.

Le va-et-vient habituel a suivi, les États-Unis menaçant de sanctions et l’Iran niant tout transfert :

Un porte-parole du Conseil national de sécurité des États-Unis a déclaré que les États-Unis, leurs alliés de l’OTAN et leurs partenaires du G7 « sont prêts à apporter une réponse rapide et sévère si l’Iran devait procéder à de tels transferts ».

La mission permanente de l’Iran auprès des Nations Unies à New York a déclaré dans un communiqué que la République islamique avait forgé un partenariat stratégique à long terme avec la Russie dans divers domaines, y compris la coopération militaire.

« Néanmoins, d’un point de vue éthique, l’Iran s’abstient de transférer toute arme, y compris des missiles, qui pourrait potentiellement être utilisée dans le conflit avec l’Ukraine jusqu’à ce qu’il soit terminé », indique le communiqué.

Un mois après le deuxième rapport de Reuters sur le fantasme des missiles, les États-Unis ont décidé de s’emparer du sujet. Un article « exclusif » du Wall Street Journal indiquait :

Les États-Unis disent à leurs alliés que l’Iran a envoyé des missiles balistiques à la Russie

Des responsables européens affirment que l’Europe et les États-Unis travaillent à l’élaboration de sanctions en réponse à l’initiative de l’Iran.

Mis à jour le 6 septembre 2024 à 17h05 ET

L’Iran a envoyé des missiles balistiques de courte portée à la Russie, selon des responsables américains et européens, ce qui donne à Moscou un nouvel outil militaire puissant dans sa guerre contre l’Ukraine et fait suite aux avertissements sévères de l’Occident de ne pas fournir ces armes à Moscou.

Le lendemain, Natasha Bertrand, porte-parole de CNN, « confirmait » ces affirmations :

L’Iran a récemment transféré des missiles balistiques à courte portée à la Russie pour les utiliser dans sa guerre contre l’Ukraine, selon deux sources familières avec le renseignement, complétant ainsi une livraison dont les responsables américains et occidentaux avaient prévenu qu’elle était en préparation depuis près d’un an.

L’affirmation selon laquelle un accord de transfert de missiles était « en préparation depuis près d’un an » est étrange. Le premier rapport de Reuters en février concernait des missiles Fateh 110 de moyenne portée, tandis que le rapport du mois d’août concernait des Fateh 360 de courte portée. Il s’agit de deux systèmes complètement différents. Comment peuvent-ils constituer un seul et même accord ?

Les vagues déclarations des services de renseignement ont été suivies de nouvelles menaces de sanctions :

Sean Savett, porte-parole du Conseil national de sécurité, a déclaré à CNN que « tout transfert de missiles balistiques iraniens à la Russie représenterait une escalade dramatique du soutien de l’Iran » au Kremlin dans son invasion de l’Ukraine.

« Nous avons mis en garde contre le renforcement du partenariat sécuritaire entre la Russie et l’Iran depuis le début de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie et nous sommes alarmés par ces informations. Nos partenaires et nous-mêmes avons clairement indiqué, lors des sommets du G7 et de l’OTAN cet été, que nous sommes prêts à assumer ensemble des conséquences significatives », a déclaré M. Savett.

La mission permanente de l’Iran auprès des Nations unies a nié que le transfert ait été effectué, dans une déclaration à CNN.

« La position de l’Iran vis-à-vis du conflit ukrainien reste inchangée. L’Iran considère comme inhumaine la fourniture d’une assistance militaire aux parties engagées dans le conflit, qui entraîne une augmentation des pertes humaines, la destruction des infrastructures et une distanciation par rapport aux négociations de cessez-le-feu. Par conséquent, non seulement l’Iran s’abstient de s’engager lui-même dans de telles actions, mais il appelle également les autres pays à cesser de fournir des armes aux parties impliquées dans le conflit », précise la déclaration.

Le démenti officiel de l’Iran n’a pas aidé. Trois jours plus tard, les États-Unis et le Royaume-Uni ont imposé de nouvelles sanctions à l’Iran :

Le gouvernement britannique annonce aujourd’hui de nouvelles mesures significatives contre l’Iran et la Russie, suite au transfert par le régime iranien de missiles balistiques à la Russie en vue de leur utilisation sur le champ de bataille en Ukraine.

En coordination avec ses partenaires internationaux, le Royaume-Uni annulera ses accords bilatéraux de services aériens avec l’Iran, ce qui limitera la capacité d’Iran Air à desservir le Royaume-Uni.

Le NY Times a sténographié la version américaine :

Le secrétaire d’État Antony J. Blinken a accusé mardi l’Iran d’avoir expédié des missiles balistiques de courte portée à la Russie en vue de leur utilisation en Ukraine et a déclaré que l’administration Biden imposait de nouvelles sanctions contre Téhéran. Ces sanctions comprennent des mesures contre Iran Air, la principale compagnie aérienne du pays.

La Russie utilisera probablement ces missiles « dans les semaines à venir en Ukraine contre les Ukrainiens », a déclaré M. Blinken lors d’une conférence de presse à Londres avec le ministre britannique des affaires étrangères, David Lammy. Il a ajouté que des dizaines de soldats russes s’entraînaient en Iran à l’utilisation de ces missiles, le modèle Fath-360 d’une portée de 75 miles, et que les États-Unis avaient partagé ces derniers jours avec leurs alliés des renseignements sur l’aide apportée par l’Iran.

Cinq semaines plus tard, aucun missile iranien n’est apparu dans le ciel ukrainien.

Pourtant, les caniches européens font également du bruit pour imposer leurs propres sanctions contre l’Iran en matière de missiles.

L’Iran fut consterné :

L’Iran a condamné les sanctions prévues par l’UE en réponse à sa livraison présumée de missiles balistiques à la Russie, dans un message publié sur les médias sociaux par le ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi.

« J’ai dit clairement, et je le répète une fois de plus, que nous n’avons PAS fourni de missiles balistiques à la Russie », a posté M. Araghchi sur X. “Si l’Europe a besoin d’une affaire pour apaiser le chantage d’Israël, elle ferait mieux de trouver une autre histoire”.

Les États membres de l’UE prévoient d’imposer les nouvelles sanctions lundi.

Seyed Abbas Araghchi @araghchi – 22:58 UTC – Sep 10, 2024

Une fois de plus, les Etats-Unis et l’Union européenne agissent sur la base de renseignements erronés et d’une logique défaillante.

– L’Iran n’a PAS livré de missiles balistiques à la Russie. Période

– Les accros aux sanctions devraient se demander : comment l’Iran peut-il fabriquer et soi-disant vendre des armes sophistiquées ?

Les sanctions ne sont PAS une solution, mais une partie du problème.

Seyed Abbas Araghchi @araghchi – 6:11 UTC – 13 oct. 2024

Lors d’une rencontre avec @JosepBorrellF et @enriquemora à NY, j’ai dit ce qui suit :

1- La coopération militaire Iran-Russie n’est pas nouvelle ; a une histoire qui date de bien avant le début de la crise ukrainienne.

2- Certains Européens ont fourni au régime israélien toutes sortes d’armes sophistiquées et se sont engagés avec anxiété dans une opération militaire contre l’Iran.

3- La politique américaine de pression maximale est toujours en vigueur et les milieux d’affaires européens suivent scrupuleusement les instructions de l’OFAC.

J’ai dit clairement, et je le répète une fois de plus, que nous n’avons PAS fourni de missiles balistiques à la Russie. Si l’Europe a besoin d’une affaire pour apaiser le chantage d’Israël, elle ferait mieux de trouver une autre histoire.

Aujourd’hui, malgré les dénégations véhémentes de l’Iran, les caniches européens ont imposé des sanctions supplémentaires à l’Iran :

L’UE inclut Iran Air dans les sanctions pour le transfert de missiles à la Russie

14 octobre (Reuters) – L’Union européenne a décidé lundi d’imposer des sanctions à sept personnes et sept organisations, dont la compagnie aérienne Iran Air, pour leurs liens avec les transferts iraniens de missiles balistiques vers la Russie.

Les listes comprennent également Saha Airlines et Mahan Air, ainsi que le vice-ministre iranien de la Défense, Seyed Hamzeh Ghalandari.

Le mois dernier, les États-Unis ont déclaré que la Russie avait reçu des missiles balistiques de l’Iran pour sa guerre en Ukraine, en s’appuyant sur des informations qui, selon eux, avaient été communiquées à leurs alliés.

Washington a immédiatement imposé des sanctions à des navires et à des entreprises qui, selon elle, étaient impliqués dans des transferts d’armes. À la suite des allégations américaines, le président iranien Masoud Pezeshkian a déclaré que son gouvernement n’avait transféré aucune arme à la Russie depuis son entrée en fonction en août.

La Russie produit en masse ses propres missiles de longue et de courte portée et aucun des systèmes iraniens, le Fateh 110 ou le Fateh 360, ne leur est supérieur.

Hier encore, l’ancien président ukrainien Vladimir Zelensky affirmait que la Russie avait lancé plus de 900 bombes planantes sur l’Ukraine en l’espace d’une semaine :

Au cours de la semaine écoulée, la Russie a tiré des centaines de bombes et des dizaines de missiles sur l’Ukraine. Les envahisseurs russes ont également attaqué l’Ukraine avec 400 drones, selon le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy.

Rien que cette semaine, les Russes ont utilisé environ 900 bombes aériennes guidées, plus de 40 missiles et 400 drones d’attaque de différents types contre l’Ukraine.

Les versions les plus récentes des bombes planantes russes (l’équivalent du JDAM américain) peuvent atteindre des cibles à une distance d’environ 80 kilomètres de leur point de lancement. Elles ont donc à peu près la même portée que les missiles Fateh 360 que l’Iran aurait transférés à la Russie. Les bombes planantes russes transportent environ une tonne d’explosifs, tandis qu’un Fateh 360 en transporte environ 150 kilogrammes.

Pourquoi la Russie aurait-elle besoin de missiles Fateh 110 (portée de 300 km, ogive de 500 kg) alors qu’elle produit et utilise en masse des missiles Iskander (portée de 500 kg, ogive de 750 kg) de capacité supérieure ?

L’article de Reuters de février 2024 sur le transfert de missiles Fateh 110 s’est avéré faux.

Le rapport Reuters d’août 2024 sur le transfert de missiles Fateh 360 était très probablement faux lui aussi. L’Iran a fermement nié tout transfert de ce type au plus haut niveau et aucun missile de ce type n’a été retrouvé en Russie ou en Ukraine. En fait, la Russie n’a pas besoin d’acquérir de tels missiles puisque les siens ont au moins les mêmes capacités.

En septembre, les États-Unis ont repris les fausses informations de Reuters et ont affirmé disposer de leurs propres renseignements sur un prétendu transfert de missiles. Ils n’ont fourni aucune preuve à l’appui de ces affirmations.

Les États-Unis et le Royaume-Uni ont immédiatement imposé des sanctions à l’Iran. L’UE a suivi un mois plus tard. Les sanctions imposées interdiront (à nouveau) les vols des compagnies aériennes iraniennes en provenance et à destination de l’Europe.

Les voyageurs iraniens et européens subiront des désagréments considérables.

Ces nouvelles sanctions ne sont évidemment pas liées à des transferts de missiles entre l’Iran et la Russie, car aucun transfert de ce type n’a eu lieu, contrairement à ce que prétendent les opposants.

Le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, a probablement raison lorsqu’il affirme que ces sanctions sont prises uniquement « pour apaiser le chantage d’Israël ».

Il est toutefois erroné de parler uniquement de « chantage israélien ». Ce chantage à l’égard de l’Europe est en fait exercé par les États-Unis en collaboration avec Israël, tout comme les « crimes israéliens » sont en fait des « crimes américano-israéliens ».

« Lorsque nous parlons de « crimes israéliens », la formulation est trompeuse, car il s’agit de crimes américano-israéliens. Tout ce que fait Israël est implicitement ou explicitement autorisé par les États-Unis, qui lui apportent un soutien économique, diplomatique, militaire et idéologique, alors que les présidents américains peuvent modifier la politique israélienne et limiter la violence d’Israël lorsqu’ils le souhaitent.

Lorsque nous parlons d’Israël, nous devons nous rappeler que, dans un sens important, nous parlons de nous-mêmes ».

– Noam Chomsky

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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