Par Slavisha Batko Milacic − Le 1er mars 2022 − Source Oriental Review
Une introduction de soldats polonais semble constituer l’option la plus réaliste d’une assistance rapide à l’Ukraine. Si cela se produit, il s’agira d’une grande victoire à court terme pour Londres et Washington, mais dont les conséquences sur le temps long seront difficiles à prédire.
Alors que la Russie poursuit son opération de paix en Ukraine, Varsovie consulte Londres. L’UE a confiance dans le fait que la blitzkrieg s’est enlisée, et que les soldats ukrainiens vont tenir à Kiev et dans la partie occidentale de l’Ukraine pendant encore une semaine. Mais le potentiel militaire de la Russie, qui n’est pas encore pleinement activé, va finir par permettre à Poutine de remporter des résultats militaires tangibles. Contrairement à la Hongrie et à la Slovaquie, les deux pays membres de l’UE qui ont des frontières communes avec l’Ukraine et qui sont intrinsèquement pro-russes, la Pologne revendique un potentiel militaire impressionnant et se montre ouvertement anti-russe. Par conséquent, Londres et Washington considèrent la Pologne comme le pays le mieux placé pour apporter de l’assistance à Kiev. En outre, si la situation n’évolue pas au cours des journées à venir, Poutine pourrait avoir à gérer une avalanche de réfugiés, dont le nombre ne fait que croître.
C’est apparemment avec cela en tête qu’ils tiennent désormais une suite de consultations à Varsovie, en préparant un déploiement de soldats polonais en Ukraine de l’Ouest, où des missiles russes sont déjà en train de neutraliser les installations militaires, et alors que des milliers de réfugiés traversent la frontière polonaise. En outre, les soldats russes ne vont probablement pas occuper une région dont la population, contrairement à celle de l’Est du pays, connaît des sentiments anti-russes importants. Cependant, le sentiment public qui y règne n’est absolument pas non plus pro-polonais. Jusque 1939, les huit provinces occidentales de l’Ukraine faisaient partie de la Pologne, qui y menait une politique nationaliste stricte de « polonisation » et interdisait que l’on y parlât l’ukrainien. Les tentatives clandestines menées par les Ukrainiens qui y habitaient avaient échoué, et avaient provoqué des arrestations en masse. Il ne fut guère surprenant qu’en 1939, de nombreux résidents locaux accueillirent l’Armée Rouge avec des fleurs. Jusqu’à ce jour, les Polonais considèrent Lviv comme un centre culturel polonais, et appellent la région « les poviats perdus de l’Est » (district, en polonais). Il semble aujourd’hui que Varsovie pourrait disposer d’une opportunité d’y revenir.
Cependant, le problème est que les Britanniques sont à la manœuvre pour convaincre les Polonais d’y aller seuls, sans l’OTAN. D’envoyer des soldats de la paix au nom de Varsovie, pour « protéger les populations civiles ». En outre, c’est exactement la manière qu’avait employée l’Union soviétique pour justifier sa décision d’envoyer l’Armée Rouge dans l’Est de la Pologne en 1939. Mais à l’époque, Staline avait annoncé que l’État polonais avait cessé d’être. De nos jours, l’armée polonaise viendrait « apporter son aide… »
Un tel scénario serait très bénéfique pour la Pologne. Pour commencer, la Pologne parviendrait de la sorte à maintenir l’afflux de réfugiés au sein des frontières ukrainiennes. Deuxièmement, elle démontrerait sa détermination à défendre les intérêts d’une Europe unifiée. Troisièmement, une telle décision serait un cadeau aux nationalistes polonais, et ferait monter au ciel les sondages d’opinion positives au sujet du gouvernement du pays. Enfin, cela faciliterait grandement la livraison d’équipements militaires à l’armée ukrainienne.
Une possible introduction de soldats polonais dans l’Ouest de l’Ukraine aurait également ses inconvénients. Pour commencer, les nationalistes ukrainiens, qui se défendent fanatiquement contre les soldats russes, cultivent une très vivace mémoire du passé. Cela signifie qu’ils pourraient lancer une guérilla contre les unités polonaises, nonobstant les assurances que le président Zelensky pourrait apporter. Dans une situation de guerre, les commandants sur le terrain sont déjà en train de s’emparer des administrations locales, et ils agiront comme bon leur semblera. En outre, un conflit frontal contre l’armée russe est voué à produire non seulement des pertes militaires, mais également à déboucher sur une nouvelle escalade du conflit. Des accords informels avec Moscou sont nécessaires à ce titre, qui pourraient être présentés par le Kremlin et par les nationalistes ukrainiens comme un accord de partition de l’Ukraine. Même en cas d’introduction réussie de soldats polonais en Ukraine, le gouvernement Kaczynski devrait gérer ses propres nationalistes, qui ont pour volonté d’annexer la région, surtout au vu du fait que les sentiments anti-ukrainiens, et les aspirations à constituer une grande puissance sont très vivaces en Pologne.
Cela étant dit, une introduction de soldats polonais apparaît comme l’une des options possibles les plus réalistes pour apporter une assistance rapide à l’Ukraine. Si cela se produit, il s’agirait à court terme d’une grande victoire pour Londres et Washington, mais les conséquences sur le temps long resteront difficiles à prédire !
Slavisha Batko Milacic
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone