Par Moon of Alabama – Le 14 décembre 2021
Suite aux affirmations américaines infondées d’une invasion russe imminente en Ukraine, le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine ont tenu un sommet virtuel. Peu d’informations ont été publiées sur son contenu réel, mais l’attitude russe montre que les sujets abordés étaient très sérieux.
Le 10 décembre, le ministère russe des affaires étrangères a publié une déclaration qui non seulement ressemble à un ultimatum, mais qui semble être conçue comme tel :
Nous prenons note de la volonté du président américain Joseph Biden, exprimée lors des entretiens du 7 décembre 2021 avec le président Vladimir Poutine, d’établir un dialogue sérieux sur les questions liées à la garantie de la sécurité de la Fédération de Russie. Un tel dialogue est nécessaire de toute urgence aujourd’hui, alors que les relations entre la Russie et l’ensemble de l’Occident continuent de se dégrader et ont atteint un seuil critique.
Dans le même temps, de nombreuses interprétations peu rigoureuses de notre position sont apparues ces derniers jours. Dans ce contexte, nous estimons qu’il est nécessaire de clarifier une fois de plus les points suivants.
L’escalade de la confrontation avec notre pays est absolument inacceptable. L’Occident utilise comme prétexte la situation en Ukraine, où il a entrepris d’encourager la russophobie, de justifier les actions du régime de Kiev pour saper les accords de Minsk et de préparer un scénario militaire dans le Donbass.
Au lieu de maîtriser leurs protégés ukrainiens, les pays de l’OTAN poussent Kiev à prendre des mesures agressives. Il ne peut y avoir d’autre interprétation du nombre croissant d’exercices non planifiés par les États-Unis et leurs alliés en mer Noire. Les avions des membres de l’OTAN, y compris les bombardiers stratégiques, effectuent régulièrement des vols provocateurs et des manœuvres dangereuses à proximité des frontières de la Russie. La militarisation du territoire ukrainien et son armement sont en cours.
Certains ont choisi d’attirer l’Ukraine dans l’OTAN, ce qui implique le déploiement de systèmes de missiles d’attaque dans ce pays, avec un temps de vol minimal vers la Russie centrale, et d’autres armes déstabilisantes. Un tel comportement irresponsable crée de graves risques militaires pour toutes les parties concernées, pouvant aller jusqu’à un conflit à grande échelle en Europe.
Toutes les actions de l’OTAN mentionnées ci-dessus mettent directement en danger la sécurité de la Russie. Elles doivent cesser. Certaines des mesures prises doivent être inversées et la Russie devra recevoir des garanties que certaines mesures ne seront pas prises. La déclaration comprend cette liste de demandes :
- Plus d’expansion de l’OTAN vers les frontières de la Russie. Retrait de l’invitation adressée en 2008 par l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie.
- Garantie juridiquement contraignante qu’aucun système de frappe pouvant viser Moscou ne sera déployé dans les pays voisins de la Russie.
- Aucun « exercice » de l’OTAN ou d’un organisme équivalent (Royaume-Uni, États-Unis, Union européenne) à proximité des frontières russes.
- Les navires et les avions de l’OTAN doivent respecter certaines distances par rapport aux frontières russes.
- Discussions régulières entre militaires.
- Pas d’armes nucléaires à portée intermédiaire en Europe.
Plusieurs autorités russes ont depuis souligné que ce qui précède n’est pas une liste de vœux pieux :
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, a mis en garde lundi contre un risque de confrontation si les États-Unis et l’OTAN ne donnent pas à la Russie des garanties de sécurité concernant son expansion vers l’est, a rapporté l’agence de presse RIA.
Le président Vladimir Poutine a exigé des garanties de sécurité juridiquement contraignantes selon lesquelles l’OTAN ne s’étendra pas plus à l’est ou ne placera pas ses armes à proximité du territoire russe ; Washington a déclaré à plusieurs reprises qu’aucun pays ne pouvait opposer son veto aux espoirs de l’Ukraine d’intégrer l’OTAN.
La confrontation dont parle M. Ryabkov ne sera pas verbale si les lignes rouges de la Russie étaient franchies :
Nous avons ouvertement indiqué qu’il existe des lignes rouges que nous ne permettrons à personne de franchir, et nous avons également certaines exigences, qui ont été formulées de manière extrêmement claire.
La Russie peut bien sûr opposer son veto à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Elle peut détruire l’armée ukrainienne, s’emparer des régions d’Ukraine où la majorité parle russe et créer un nouvel État souverain à partir de celles-ci.
Le reste du Banderastan agricole serait laissé à la Pologne et à la Roumanie pour qu’elles s’en emparent. Cela donnerait à la Russie la profondeur stratégique dont elle a besoin et limiterait le littoral de la mer Noire favorable à l’OTAN aux parties sud-ouest.
Une attaque russe contre l’Ukraine est cependant ce que les producteurs d’armes occidentaux et leurs groupes de réflexion, « experts » et faucons politiques, principalement aux États-Unis, souhaitent profondément. Elle isolerait la Russie, renforcerait le rôle des États-Unis en Europe, justifierait l’augmentation des budgets militaires et mettrait fin au gazoduc Nord Stream 2 et aux autres voies d’exportation russes.
Et c’est la raison pour laquelle la Russie n’attaquera pas et utilisera des mesures alternatives.
Sauf, bien sûr, si …
Lors d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre britannique Boris Johnson, Poutine a réitéré ses exigences et expliqué son raisonnement :
Comme d’autres dirigeants occidentaux, Boris Johnson s’est dit préoccupé par les mouvements de troupes à grande échelle que la Russie aurait effectués près de la frontière ukrainienne. À cet égard, Vladimir Poutine a fourni des évaluations approfondies et fondées sur des principes de la situation actuelle en Ukraine.
Il a donné des exemples spécifiques de la politique destructrice de Kiev visant à faire dérailler les accords de Minsk, qui constituent la seule voie viable pour résoudre la crise interne en Ukraine. Il a également été souligné que les autorités ukrainiennes aggravent délibérément la situation sur la ligne de contact et utilisent des armes lourdes et des drones d’attaque, qui sont interdits dans la zone de conflit par les accords de Minsk. La politique de discrimination de l’Ukraine à l’égard des russophones a également été soulignée.
Il a été souligné que tout ceci se déroule dans un contexte d' »exploration » militaire active du territoire ukrainien par l’OTAN, ce qui constitue une menace directe pour la sécurité de la Russie.
Dans cette optique, Vladimir Poutine a déclaré qu’il était nécessaire d’entamer immédiatement des pourparlers afin d’élaborer des accords juridiques internationaux clairs, susceptibles d’empêcher la poursuite de l’avancée de l’OTAN vers l’est et le déploiement d’armes menaçant la Russie dans les États voisins, principalement en Ukraine. La Russie présentera des projets de documents à cette fin.
Les pays de l’OTAN qui poussent à de nouvelles actions contre la Russie, principalement les pays baltes et la Pologne, voient tous leurs rêves menacés. Ils résisteront à toute action visant à satisfaire les exigences de la Russie. Mais ce ne sont pas eux qui comptent.
C’est sur les États-Unis, l’Allemagne et la France que la Russie compte pour retrouver un peu de bon sens. L’hiver prochain, qui s’annonce plutôt rude, est une bonne occasion de mettre un peu de pression sur l’Europe et de montrer que c’est la Russie, et non les États-Unis, qui assure la sécurité énergétique de l’Europe. Le nouveau chancelier autrichien Karl Nehammer l’a bien compris :
Dans une interview publiée mardi dans le journal allemand Die Welt, on a demandé à M. Nehammer, qui a été élu chancelier au début du mois, si le gouvernement autrichien continuera à soutenir Nord Stream 2. Il a répondu : « Bien sûr », ajoutant qu’il s’attend à ce que le gazoduc commence à fonctionner bientôt.
« Je ne considère pas nécessaire de relier Nord Stream 2 au comportement de la Russie en Ukraine », a-t-il poursuivi, faisant référence à une récente impasse politique entre Moscou et Kiev. « L’UE ne peut que se faire du tort en agissant ainsi. Nord Stream 2 ne sert pas seulement les intérêts de la Russie – l’Allemagne, l’Autriche et d’autres pays de l’UE en profiteront. Nord Stream 2 est un projet européen, qui ne devrait pas être utilisé comme un outil de pression sur Moscou. »
Cet hiver, la Russie utilisera son pouvoir économique pour faire pression afin que ses demandes soient satisfaites. La Russie a cessé de fournir du gaz naturel sur les marchés spots européens. Elle continue à livrer intégralement les clients qui ont des contrats à long terme. Cela va mettre sous pression la Pologne et quelques autres pays qui dépendent du marché spot en période de pic de demande. La Russie espère que ces pays apprendront que leur hostilité excessive à son égard peut avoir de graves conséquences.
Comme la Russie ne dispose d’aucun outil direct pour presser les États-Unis, il lui faudra une stratégie différente pour pousser Biden à changer de cap. La principale préoccupation actuelle des États-Unis en matière de politique étrangère est la Chine. La Russie coordonne donc sa stratégie avec elle :
Le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping discuteront du langage « agressif » des États-Unis et de l’OTAN lors de leur rencontre virtuelle plus tard dans la semaine, selon le Kremlin.
« La situation dans les affaires internationales, notamment sur le continent européen, est très, très tendue en ce moment et nécessite une discussion entre alliés« , a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, selon un rapport de Reuters. « Nous voyons une rhétorique très, très agressive du côté de l’OTAN et des États-Unis, et cela nécessite une discussion entre nous et les Chinois. »
Notez l’utilisation par Peskov du mot « alliés ». C’est, pour autant que je sache, nouveau. Il n’existe pas de traité officiel entre la Russie et la Chine qui fasse d’elles des « alliées », l’utilisation de ce mot est donc très significative.
C’est une préoccupation pour une spécialiste de l’Asie qui craint que toute action russe en Ukraine ne s’accompagne d’une action chinoise sur Taïwan. Pour éviter cela, elle exhorte les États-Unis à mettre fin à la perpétuelle confrontation avec la Russie et à se concentrer sur l’Extrême-Orient.
Nous ne pouvons qu’espérer que Biden comprenne ce raisonnement, fasse taire les faucons russes et mette fin au conflit avec Moscou.
Sinon, nous vivrons tous des moments intéressants.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone