Biden voulait avoir la possibilité d’entrer – et de sortir – de l’Accord à volonté.
Par Alastair Crooke – Le 31 octobre 2021 – Source Al Mayadeen
Trita Parsi, commentatrice de premier plan sur l’Iran, jette un nouvel éclairage sur les raisons pour lesquelles les pourparlers de Vienne sur un retour à l’accord nucléaire (le JCPOA) traînent en longueur : les grands médias occidentaux se sont empressés de suggérer que la lenteur de la reprise des pourparlers s’explique par le scepticisme de la nouvelle administration iranienne à l’égard de la sincérité de Washington quant à l’obtention d’un résultat permettant une levée significative des sanctions. Deuxièmement, il a été largement allégué que l’équipe de Raïssi a traîné les pieds, afin d’accumuler plus de leviers de négociation avant le prochain cycle de tractations à Vienne. Il semble que tout cela soit faux.
Les sources de Parsi suggèrent que le nœud du problème est tout autre : les projecteurs ne sont pas tant braqués sur les prétendues tactiques dilatoires iraniennes que sur le refus de Biden de s’engager à respecter le JCPOA jusqu’à la fin de son mandat, même si l’Iran se conformait pleinement à l’accord.
Ce tournant crucial dans les négociations s’est produit en mai, écrit Parsi, c’est-à-dire bien avant l’investiture de Raïssi comme président. Les Iraniens, comme on le savait, avaient insisté sur un engagement juridiquement contraignant selon lequel les États-Unis ne se retireraient pas à nouveau du JCPOA, comme Trump l’avait fait unilatéralement.
L’équipe américaine a insisté sur le fait qu’elle ne pouvait pas lier les mains de la prochaine administration (comme toujours). Selon des diplomates occidentaux et iraniens impliqués dans les négociations, écrit Parsi, les Iraniens ont alors revu leurs exigences à la baisse (on peut supposer que cela fait référence à l’ancien président Rouhani), et ont demandé une simple assurance que Biden s’engage à rester dans le cadre de l’accord pour le reste de son mandat – au moins.
Des sources ont indiqué à Parsi que l’équipe américaine avait dûment consulté Washington, mais que la Maison Blanche avait refusé de prendre un tel engagement, invoquant des « obstacles juridiques ». Au lieu de cela, Washington a proposé des modifications du texte de négociation qui n’allaient pas jusqu’à un engagement juridique. C’est cette réponse qui a effectivement plombé les négociations.
L’équipe Biden a été très explicite et n’a pas cherché à cacher le fait qu’elle cherche à obtenir des points de pression supplémentaires sur l’Iran. C’est là le cœur du dilemme des États-Unis : ils reconnaissent la nécessité de lever au moins la plupart des sanctions si l’on veut que l’Iran se conforme à nouveau au JCPOA. Cependant, plus ils lèvent de sanctions, moins les États-Unis ont de moyens de pression pour poursuivre ce qui a toujours été leur objectif final : enfermer l’Iran dans un carcan plus pérenne et plus fort (à propos de son programme nucléaire), et limiter la marge de manœuvre stratégique de l’Iran par le biais de ses alliés régionaux – plus longtemps. Enfin, et ce n’est pas le moins important, bloquer le système de défense antimissile de l’Iran – pour de bon (il s’agit là de tous les sujets de discussion d’« Israël » à Washington, bien sûr).
À l’origine, il semblait que l’équipe Biden cherchait à lever les deux tiers des sanctions, mais à en garder un tiers comme épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’Iran. L’article de Parsi explique toutefois que cette dernière menace était considérée comme insuffisante. Biden voulait avoir la possibilité d’entrer et de sortir de l’accord à volonté, et donc d’imposer d’« autres options ».
Vue sous cet angle, l’approche de Biden ne fait pas que reproduire celle de Trump – elle est plus extrême.
Bien entendu, cette approche vide de sa substance le JCPOA. L’une des principales demandes iraniennes depuis la première formulation de l’accord (en 2015), était l’insistance sur la normalisation des échanges et du commerce. Cela ne s’est jamais produit. Et la vérification de cet aspect dans tout nouvel accord a figuré en tête de la liste des conditions, telles que fixées par le Guide suprême.
Mais avec l’insistance des Américains sur leur droit de sortir du JCPOA à tout moment pendant le mandat de Biden, cela signifie effectivement qu’aucun investisseur, aucune banque, aucune compagnie d’assurance n’acceptera de traiter avec l’Iran. Un rétablissement des sanctions à tout moment ? Non merci !
Et que penseraient les Iraniens de leur gouvernement si, après une exubérante levée momentanée des sanctions, Biden choisissait de « sortir » et d’imposer une austérité économique extrême – tout cela dans le but d’imposer une nouvelle version « plus forte et plus longue » du JCPOA ? Et s’agira-t-il d’une seule prolongation, ou de nombreuses autres, plaçant la normalisation iranienne très loin, au-delà de tout horizon ?
Alors, pourquoi l’Iran accepterait-il une promesse à court terme aussi précaire (même si toutes les sanctions étaient entièrement levées, ce qui semble improbable) ? Ne serait-il pas préférable d’opter pour une prévisibilité économique, certes plus lente, mais plus sûre, via l’initiative Belt and Road et la Communauté économique eurasienne, et de laisser Washington faire échouer l’accord ?
Il est fort probable que Washington se rende compte que l’idée d’un JCPOA bis « plus fort et plus long » n’est tout simplement pas envisageable et, reprenant l’analyse iranienne, se résigne tranquillement à l’effondrement de l’accord. Cela vaut mieux maintenant qu’après une résurrection transitoire, lorsque le coût politique d’une telle action, pour Biden, sera plus élevé. L’équipe Biden et les Occidentaux espèrent faire en sorte que l’Iran soit d’une manière ou d’une autre blâmé – bien sûr.
Le statut de bouc émissaire de l’Iran change-t-il quelque chose ? Probablement pas. La Chine et la Russie connaissaient les « chances » du JCPOA avant d’inviter l’Iran à rejoindre l’OCS en tant que membre à part entière. L’état des pourparlers de Vienne n’a manifestement pas dissuadé la Chine et la Russie d’aller de l’avant.
Et maintenant ? Biden « parle » du plan « B » pour l’Iran, faisant clairement allusion à une option militaire. Et dernièrement, le secrétaire américain à la défense a fait allusion à un plan « B » pour l’Ukraine. La semaine dernière, Biden a également fait allusion à un plan « B » pour Taïwan lors d’un débat public sur CNN. Mais la réponse de la Chine indique que Pékin pense que Biden bluffe. Il est possible qu’ils pensent la même chose des plans « B » pour l’Iran et l’Ukraine, même s’il ne fait aucun doute que l’instabilité politique aiguë à Washington les incitera à rester sur leurs gardes, juste au cas où.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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