Par Dmitry Orlov – Le 21 juillet 2021 – Source Club Orlov
Les missiles sont importants. Ils sont symboliquement importants, en tant que manifestation la plus virile, masculine et phallique du concours entre superpuissances. Pour reprendre l’hymne national américain : « L’éclat rouge des missiles… a prouvé dans la nuit… que notre drapeau était toujours là. » Pas de missiles – pas de drapeau – pas de « patrie des braves ». Les missiles sont importants d’un point de vue stratégique : si les missiles de l’autre camp lui donnent la possibilité de détruire votre camp en toute impunité, votre stratégie consiste à négocier les conditions de votre reddition.
Ils sont également importants sur le plan tactique. Votre marine répugnerait à naviguer dans des eaux étrangères en sachant que ses navires pourrait être coulés sans même avoir la possibilité de riposter. Il est terrible pour le moral d’avoir des missiles tombant du ciel et explosant sporadiquement parmi votre population civile tandis que vos militaires assistent impuissants à la situation.
Tout cela fait que les missiles valent la peine d’être observés, comme je l’ai fait, et je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer certains développements assez particuliers qui laissent présager des changements majeurs dans la façon dont les superpuissances doivent interagir. Tout à coup – ou pas si soudainement si vous avez été attentif – nous semblons vivre dans un monde légèrement différent.
Je pourrais me lancer dans une longue discussion historique sur les raisons pour lesquelles les États-Unis ont utilisé l’arme nucléaire au Japon, pourquoi les plans américains visant à détruire l’URSS en utilisant une première frappe nucléaire n’ont jamais abouti, pourquoi la Guerre des étoiles de Reagan a échoué et bien d’autres choses encore. Au lieu de cela, je vais simplement faire une mise à jour.
Tout d’abord, qu’en est-il de la dissuasion nucléaire des États-Unis : en ont-ils encore une ? Ses ICBM Minuteman sont toujours dans leurs silos, mais ils sont très vieux et les tentatives récentes de les tester ont échoué. Les missiles Trident qui équipent les sous-marins nucléaires américains fonctionnent probablement encore, mais tous les sous-marins sont assez vieux et approchent de la fin de leur vie utile, et aucun remplacement n’est prévu. Les Minuteman et les Tridents sont de toute façon obsolètes, car ils sont balistiques – ils suivent une trajectoire balistique, comme un boulet de canon ou comme l’eau projetée par un tuyau d’arrosage. Ils suivent à peu près une trajectoire parabolique plate, ce qui les rend faciles à repérer, à cibler et à abattre pour les Russes grâce à leur nouvelle génération d’armes défensives.
Le dernier élément de la triade nucléaire – les bombardiers stratégiques – se divise en deux catégories : les anciens B-52 qui ont bombardé le Viet Nam, le Laos et le Cambodge, et les bombardiers furtifs. La technologie de la furtivité a été inventée par l’ingénieur russe Peter Ufimtsev, un véritable patriote russe qui s’est installé en Californie et a fait profiter Lockheed de son savoir-faire, jouant ainsi une farce incroyablement cruelle aux Américains sans méfiance. Son savoir-faire consistait à calculer les réflexions radar de divers objets, ce qui permettait de concevoir des cellules et des coques qui ne volaient pas ou ne naviguaient pas particulièrement bien, mais qui n’apparaissaient pratiquement pas sur les radars que l’on trouve dans les cônes de nez des missiles et des avions de chasse, ce qui les rendait difficiles à cibler.
En réponse à cette situation, les Russes ont décidé d’utiliser des systèmes radar terrestres beaucoup plus grands qui peuvent très bien voir ces objets furtifs, communiquer des informations de ciblage aux avions et aux missiles par satellite et leur permettre de s’approcher suffisamment pour les suivre optiquement. Cette situation est assez similaire à l’exemple classique de l’écriture dans l’espace : les Américains ont dépensé des millions pour inventer et fabriquer des stylos de haute technologie fonctionnant en apesanteur et dans le vide, tandis que les Russes se sont contentés de quelques crayons à mine.
En cours de route, les Américains ont perdu la capacité de fabriquer de nouvelles bombes nucléaires. Les usines qu’ils utilisaient pour produire du plutonium de qualité militaire ont été démantelées. Ils sont encore capables d’entretenir les armes existantes en fondant, refondant et réusinant les pièces de plutonium, ce qui donne des armes de moins en moins nombreuses à chaque itération. Il est important de noter qu’ils semblent avoir perdu la recette de fabrication de l’explosif puissant nécessaire à la détonation de leurs bombes nucléaires. L’électronique résistante aux radiations semble également leur poser problème. Le dernier essai nucléaire américain a eu lieu il y a 30 ans ; depuis lors, les États-Unis pratiquent ce qu’ils appellent la « gestion des stocks », c’est-à-dire qu’ils font tourner les stocks, en quelque sorte, en gardant les bombes exemptes de poussière et en les lustrant avant les visites officielles.
Entre-temps, la Russie s’est complètement réarmée avec de nouveaux systèmes offensifs et défensifs, notamment des missiles hypersoniques qui ne peuvent être interceptés par aucune technologie existante. Les derniers systèmes de défense aérienne et spatiale S-500 peuvent abattre des cibles situées jusqu’à 100 km d’altitude dans un rayon de 600 km, et suivre et détruire simultanément jusqu’à 10 cibles balistiques supersoniques. Les Russes ne font pas mystère de leur nouvelle technologie et la proposent à la vente dans le monde entier, y compris à des pays de l’OTAN comme la Turquie.
Qu’est-ce que cela signifie pour des concepts aussi désuets que la parité stratégique et la destruction mutuelle assurée ? Pour commencer, les États-Unis ne sont pas en mesure d’envisager une première frappe nucléaire contre la Russie ou ses alliés, à commencer par la Chine. Personne ne sait combien de Minuteman parviendraient à sortir de leurs silos. Les sous-marins nucléaires sont également vieux mais en meilleur état ; s’ils parviennent à lancer leurs Tridents sans être coulés et si les Tridents sont interceptés ou s’éloignent de leur cible et explosent quelque part dans la toundra, alors que se passera-t-il ? Personne ne peut prédire si l’un des bombardiers stratégiques parviendra à passer. Les gigantesques B-52 sont faciles à abattre, et les autres bombardiers pseudo-silencieux sont visibles depuis Moscou. Voilà pour l’attaque.
En ce qui concerne la défense, il n’y aura jamais de raison de lancer une frappe nucléaire de représailles, car personne n’attaquera jamais les États-Unis avec des armes nucléaires. Ce ne sera tout simplement pas nécessaire. En fait, il ne sera pas du tout nécessaire d’attaquer les États-Unis. Un simple exercice de jeu de guerre donne la bonne réponse. Et si les esprits fous l’emportent et qu’il devient nécessaire de neutraliser les États-Unis, cela peut être fait en utilisant une attaque très limitée de roquettes de précision non nucléaires, lancées à partir de sous-marins et de petits navires de surface positionnés à plus de mille kilomètres de distance dans les eaux internationales, détruisant des éléments clés de l’infrastructure (grands transformateurs sur les lignes électriques, stations de pompage sur les pipelines, raffineries de pétrole, installations aéroportuaires et portuaires…). Il est également possible de couler quelques porte-avions, simplement parce qu’ils sont grands et coûteux, et qu’il est désormais facile et bon marché de les couler à une distance sûre.
Tous les équipements de remplacement devraient alors être commandés à l’étranger, avec des délais de livraison s’étendant sur plusieurs mois. Quelques mois sans électricité, sans carburant ou sans produits importés, et les États-Unis ne constitueraient plus une menace pour personne, sauf pour eux-mêmes. Et si les esprits fous continuent de prévaloir et tentent de lancer une riposte nucléaire contre une attaque conventionnelle limitée à la roquette, voir ci-dessus. La folie suicidaire n’est pas une sorte de super-arme, surtout si l’autre camp dispose de nombreuses camisoles de force, de seringues de thorazine et de cellules capitonnées.
En outre, il semble que la réalité de la situation soit en train de s’imposer lentement mais sûrement. Les États-Unis se sont retirés d’Afghanistan, se retirent d’Irak, retirent du Moyen-Orient leurs systèmes de défense antimissile Patriot et THAAD, dont l’inutilité a été prouvée, et se rapprochent de plus en plus de la décision de laisser l’Europe de l’Est russophobe à la dérive, abandonnant l’Ukraine à son sort éternel de « okraina » (zone frontalière) de la Russie. Ces tendances sont parfois difficiles à discerner au milieu de tous les bavardages médiatiques insensés sur les turbulences financières, les politiques électorales inutiles, les absurdités liées à la race et au sexe, un virus respiratoire ou autre, les effets des pluies abondantes sur les pays qui ont gaspillé l’argent de leur défense pour faire venir des migrants, etc. mais il y a un signal distinctif dans tout ce bruit, et ce signal est le suivant : l’empire américain est presque terminé.
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
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