…alors même que de nouveaux problèmes prolongent la mise au sol de l’avion
Par Moon of Alabama − Le 3 septembre 2019
United Airline et American Airlines ont prolongé l’immobilisation de leurs Boeing 737 MAX. Le retour de l’avion sur leur programme de vol est maintenant prévu pour décembre. Mais il est probable que cette situation se prolongera encore une bonne partie de l’année prochaine.
Après qu’une mauvaise conception de l’avion et l’absence d’analyse de sécurité de son système d’augmentation des caractéristiques de manœuvre (MCAS) ait entraîné la mort de 347 personnes, l’immobilisation de tous les avions du même type et des milliards de dollars de pertes économiques, on pourrait s’attendre à ce que la compagnie fasse preuve de décence et d’humilité. Malheureusement, le comportement de Boeing ne montre ni l’un ni l’autre.
Il y a encore peu d’informations détaillées sur la façon dont Boeing va réparer le MCAS. Rien n’a été dit par Boeing sur le système de compensation manuelle du 737 MAX qui ne fonctionne pas quand on en a besoin. Les câbles de gouvernail de direction non protégés de l’avion ne répondent pas aux normes de sécurité, mais ils étaient quand même certifiés. Les ordinateurs de commandes de vol des avions peuvent être submergés par de mauvaises données et il sera difficile de corriger cela. Boeing continue de ne répondre à aucune de ces préoccupations.
Les organismes internationaux de réglementation de la sécurité aérienne ne font plus confiance à la Federal Aviation Administration (FAA) qui n’a pas réussi à déceler ces problèmes lorsqu’elle a initialement certifié ce nouveau modèle. La FAA a également été le dernier organisme de réglementation à immobiliser l’avion après le crash de deux 737 MAX. L’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) a demandé à Boeing d’expliquer et de corriger cinq problèmes majeurs qu’elle avait identifiés. D’autres organismes de réglementation ont posé des questions supplémentaires.
Boeing doit regagner la confiance des compagnies aériennes, des pilotes et des passagers pour pouvoir à nouveau vendre ces avions. Seule une information complète et détaillée peut y parvenir. Mais l’entreprise n’en fournit pas.
Comme Boeing vend environ 80% de ses avions à l’étranger, il a besoin de la bonne volonté des régulateurs internationaux pour remettre le 737 MAX en vol. Cela rend inexplicable l’arrogance dont la compagnie a fait preuve lors d’une réunion avec ces organismes de réglementation :
Les frictions entre Boeing Co. et les autorités internationales de sécurité aérienne risquent d’entrainer un nouveau retard dans la remise en service de la flotte de 737 MAX immobilisée au sol, selon les responsables du gouvernement et des syndicats de pilotes informés sur le sujet. Le dernier problème de cette longue saga, selon ces responsables, découle d'une séance d'information organisée par Boeing en août, qui a été interrompue par des organismes de réglementation des États-Unis, d'Europe, du Brésil et d'ailleurs, qui se sont plaints que le constructeur d'avions n'ait pas fourni de détails techniques ni répondu aux questions précises sur les modifications apportées au fonctionnement des ordinateurs de contrôle en vol des MAX.
Le sort de l’activité aéronautique civile de Boeing repose sur la re-certification du 737 MAX. Les régulateurs se sont rendus à cette réunion pour obtenir des réponses à leurs questions et Boeing s’est présenté avec arrogance sans avoir fait son devoir. Les régulateurs ont considéré cela comme une insulte. Boeing a été renvoyé dans ses pénates pour faire ce qu’il était censé faire en premier lieu : fournir des détails et des analyses qui prouvent la sécurité de ses avions.
Que pensent les gestionnaires de Boeing de ces organismes de réglementation ? Que se sont des chiens sans dents comme ces gestionnaires de la FAA qui ont approuvé les caractéristiques de Boeing même après que leurs ingénieurs les aient informé qu’elles n’étaient pas sures ?
Une autre info choquante est enterrée dans l’article du Wall Street Journal cité ci-dessus :
Au cours des dernières semaines, Boeing et la FAA ont identifié un autre risque potentiel pour les ordinateurs de commande de vol qui, selon deux représentants, un du gouvernement et un des pilotes, nécessiterait des modifications et des essais supplémentaires du logiciel.
Le nouveau problème doit aller au-delà des problèmes de calculateur de commandes de vol (FCC) identifiés par la FAA en juin.
À l’origine, le plan de Boeing pour corriger l’activation incontrôlée du MCAS consistait à faire fonctionner les deux FCC en même temps et à éteindre le MCAS lorsque les deux ordinateurs ne sont pas d’accord. C’était déjà un énorme changement dans l’architecture générale qui consistait jusqu’à présent en un système FCC actif et un système FCC passif qui pouvait être commuté en cas de défaillance.
Toute modification logicielle supplémentaire rendra le problème encore plus complexe. Les processeurs Intel 80286 sur lesquels le logiciel FCC fonctionne sont limités en capacité [et très anciens, abandonnés au début des années 90, NdT] . Toutes les procédures supplémentaires que Boeing va maintenant ajouter à ces procédures pourraient bien dépasser les capacités des systèmes.
Changer de logiciel dans un environnement aussi délicat qu’un ordinateur de commandes de vol est extrêmement difficile. Il y aura toujours des effets secondaires surprenants ou des régressions où des erreurs déjà corrigées réapparaissent de façon inattendue.
L’ancienne architecture était possible parce que l’avion pouvait encore être piloté sans ordinateur. On s’attendait à ce que les pilotes détectent une erreur informatique et soient en mesure d’intervenir. La FAA n’exigeait pas un niveau élevé d’assurance de conception (DAL) pour le système. Les accidents du MCAS ont montré qu’un problème de logiciel ou de matériel peut maintenant faire planter un avion 737 MAX. Cela change le niveau d’examen auquel le système devra se soumettre.
Toutes les procédures et fonctions du logiciel devront être testées dans toutes les combinaisons possibles pour s’assurer qu’elles ne se bloquent pas ou ne s’influencent pas mutuellement. Cela prendra des mois et il y a de fortes chances que de nouveaux problèmes apparaissent pendant ces tests. Ils nécessiteront encore plus de modifications logicielles et encore plus de tests.
Les organismes de réglementation de la sécurité des vols sont conscients de ces complexités. C’est pourquoi ils doivent se pencher en profondeur sur ces systèmes. Le fait que la direction de Boeing n’était pas prête à répondre à leurs questions montre que l’entreprise n’a pas tiré de leçons de son échec. Sa culture est toujours celle de l’arrogance induite par la finance.
Construire des avions sûrs exige des ingénieurs qui savent qu’ils peuvent faire des erreurs et qui ont l’humilité de permettre aux autres de vérifier et de corriger leur travail. Elle exige une communication ouverte sur ces questions. La stratégie de Boeing consistant à ne rien dire prolongera l’immobilisation au sol de ses avions. Cela aura juste pour effet d’accroître les dommages causés à la situation financière et à la réputation de Boeing.
Moon of alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone