… mais elle n’en veut pas – les États-Unis, l’Otan et la Turquie, cependant, se comportent souvent comme s’ils la voulaient. Sont-ils prêts ?
«...Depuis la mi-2014, le Pentagone a effectué toutes sortes de jeux de guerre – jusqu'à seize fois, selon différents scénarios – opposant l'Otan à la Russie. Tous les scénarios étaient favorables à l'Otan. Toutes les simulations ont donné le même vainqueur : la Russie.» Pepe Escobar
Par Pepe Escobar – Le 17 décembre 2015 – Source Russia Insider
Personne n’a besoin de lire Zbigniew-Grand-Échiquier-opus 1997-Brzezinski pour savoir que la politique étrangère des États-Unis tourne autour d’un thème antédiluvien simple : éviter − par tous les moyens − l’émergence d’un pouvoir (ou de pouvoirs), capable(s) de peser sur les fanfaronnades unilatérales de Washington, non seulement en Eurasie, mais à travers le monde.
Le Pentagone porte le même message traduit dans sa novlangue : la doctrine Full Spectrum Dominance.
La Syrie est en tête des hypothèses conduisant à l’effondrement du château de cartes. Donc, il n’est pas étonnant que dans un centre washingtonien sans aucune chaîne visible de commandement – l’administration Obama mérite à peine le qualificatif de canard boiteux – l’angoisse soit la norme.
Le Pentagone est maintenant engagé dans une escalade style Vietnam, avec des bottes sur le terrain en Syraq. Cinquante hommes de commandos sont déjà dans le nord de la Syrie pour conseiller les GPJ Kurdes syriens ainsi que quelques modérés sunnites. Traduction : en leur disant ce que Washington veut qu’ils fassent. Le baratin officiel de la Maison Blanche est que ces commandos sont là pour «soutenir les forces locales» (les mots d’Obama) afin de couper les lignes d’approvisionnement menant à la capitale du faux califat, Raqqa.
Deux cents autres forces spéciales envoyées en Irak vont bientôt suivre, soi-disant pour «s’engager dans un combat direct» contre la direction de l’ISIS / ISIL / Daesh, qui est maintenant solidement installée à Mossoul. Ces développements, présentés comme des efforts pour se réengager partiellement en Irak et en Syrie conduisent les Think-Tank US à pondre des rapports hilarants à la recherche de «l’équilibre parfait entre l’invasion à grande échelle et le désengagement complet» − quand tout le monde sait que Washington se désengagera jamais de la richesse stratégique du pétrole au Moyen-Orient.
Tous ces bottes américaines sur le terrain devraient, en théorie, se coordonner bientôt avec une nouvelle coalition islamique, spectaculaire et surréaliste de trente-quatre pays − l’Iran n’a pas été invité − mise en place pour lutter contre ISIS / ISIL / Daesh, par rien moins que la matrice idéologique de tout le djihadisme salafiste-wahhabite mondial : l’Arabie saoudite en majesté.
La Syrie est maintenant la Centrale de rassemblement des coalitions. Il en existe au moins quatre ; le «4 + 1» (Russie, Syrie, Iran, Irak, plus Hezbollah), qui est en fait la seule à combattre Daesh ; la coalition menée par les USA, une sorte de mini-Otan-CCG [pays du Golfe], mais où le CCG ne fait rien ; la collaboration militaire directe Russie-France ; et la nouvelle mascarade islamique conduite par l’Arabie saoudite. Ils sont opposés à un nombre ahurissant de coalitions et d’alliances de convenance salafistes-djhadistes qui durent de quelques mois à quelques heures.
Et puis il y a la Turquie, qui sous le Sultan Erdogan joue un double jeu vicieux.
Sarajevo 1914, on remet ça ?
Le mot tendu peine à rendre compte de la tension géopolitique entre la Russie et la Turquie actuellement, qui ne montre aucun signe de ralentissement. L’Empire du Chaos profite abondamment de cette tension comme spectateur privilégié ; aussi longtemps que celle-ci dure, les perspectives de l’intégration eurasienne sont entravées.
Les Services de renseignement russes ont certainement joué tous les scénarios possibles impliquant une armée turque de l’Otan sur la frontière turco-syrienne ainsi que la possibilité pour Ankara de fermer le Bosphore et les Dardanelles − le chemin Syrie Express pour la Russie. Erdogan peut ne pas être assez fou pour offrir à la Russie un autre casus belli. Mais Moscou ne prend aucun risque.
La Russie a placé des navires et sous-marins capables de lancer des missiles nucléaires au cas où la Turquie, sous le couvert de l’Otan, décide de frappes contre les positions russes. Le président Poutine a été clair. La Russie va éventuellement utiliser des armes nucléaires si les forces conventionnelles sont menacées.
Si Ankara opte pour une mission suicide de frapper encore un autre Su-24 ou Su-34, la Russie effacera simplement tout l’espace aérien via les S-400. Si Ankara sous le couvert de l’Otan répond en lançant l’armée turque sur les positions russes, la Russie utilisera des missiles nucléaires, entraînant l’Otan dans la guerre non seulement en Syrie mais potentiellement aussi en Europe. Et cela inclurait l’utilisation de missiles nucléaires pour maintenir ouverts les détroits stratégiques du Bosphore.
Voilà comment nous pouvons établir un parallèle entre la Syrie aujourd’hui et Sarajevo en 1914.
Depuis la mi-2014, le Pentagone a effectué toutes sortes de jeux de guerre − jusqu’à seize fois, selon différents scénarios − opposant l’Otan à la Russie. Tous les scénarios étaient, au départ, favorables à l’Otan. Toutes les simulations ont donné le même vainqueur : la Russie.
Et voilà pourquoi le comportement erratique de M. Erdogan terrifie pas mal d’acteurs réels de Washington à Bruxelles.
Laissez-moi vous inviter pour une croisière… de missiles
Le Pentagone est très conscient de l’énorme quantité de quincaillerie lourde que la Russie peut balancer en cas de provocation à la limite par quelqu’un comme Erdogan.
En voici une liste abrégée.
La Russie peut utiliser le puissant SS-18 − nom de code Otan : Satan ; chacun transporte dix ogives avec une charge de 750 à 1000 kilotonnes [50 à 70 Hiroshima ! NdT] chacune, soit assez pour détruire une zone de la taille de l’État de New York.
Le Topol M ICBM est le missile le plus rapide au monde à Mach 21 (26.000 km/h) ; contre lui, il n’y a aucun moyen de défense. Lancé de Moscou, il frappe New York City en 18 minutes, et Los Angeles en 23 minutes.
Les sous-marins russes − ainsi que les sous-marins chinois − sont en mesure de lancer des frappes sur des cibles côtières aux États-Unis en moins d’une minute. Des sous-marins chinois sont apparus à côté de porte-avions américains sans avoir été détectés, et les sous-marins russes peuvent faire la même chose.
Le système anti-missile S-500 est capable de mettre la Russie à l’abri des missiles balistiques intercontinentaux et des missiles de croisière. Moscou admet officiellement que les S-500 seront déployés en 2016, mais le fait que les S-400 soient bientôt livrés à la Chine implique que les S-500 sont peut-être déjà opérationnels.
Le S-500 ravale les missiles Patriot au rang des V-2 de la Seconde Guerre mondiale (ci-contre à gauche, un V-2)
Un ancien conseiller du chef des opérations navales des États-Unis déclare que l’ensemble du système de défense antimissile des États-Unis est sans valeur.
La Russie dispose d’une flotte de bombardiers supersoniques Tupolev Tu-160S ; ils peuvent décoller de bases aériennes profondes dans le cœur de la Russie, survoler le pôle Nord, lancer des missiles de croisière à tête nucléaire à partir de distances de sécurité sur l’Atlantique, et retourner à la maison pour regarder le tout à la télévision.
La Russie peut paralyser pratiquement toutes les bases avancées de l’Otan avec des armes nucléaires tactiques de champ de bataille à petit rendement. Ce n’est pas par hasard si la Russie, au cours des derniers mois, a testé le temps de réponse de l’Otan à de multiples occasions.
Le missile Iskander qui se déplace à sept fois la vitesse du son a une portée de 400 km. Il est mortel pour les aérodromes, les centres logistiques et autres infrastructures fixes sur tous les théâtres de guerre envisageables, par exemple dans le sud de la Turquie.
Non seulement l’Otan aurait besoin d’anéantir tous ces Iskanders, mais avant, elle devrait neutraliser les S-400 − ou pire, S-500 − que la Russie peut déployer dans ses zones de défense sur tous les théâtres d’opérations. Le positionnement des S-400 à Kaliningrad, par exemple, peut paralyser toutes les opérations aériennes de l’Otan au plus profond de l’Europe.
Et présidant aux décisions militaires, la Russie privilégie l’utilisation du Contrôle réflexif (RC). Ceci est une tactique [la guerre médiatique en fait partie, NdT] qui vise à transmettre à l’ennemi des informations sélectionnées [vraies ou fausses] qui l’obligent à prendre des décisions autodestructrices ; une sorte de virus pour influencer et contrôler son processus décisionnel. La Russie utilise cette méthode dans les domaines tactique, stratégique et géopolitique. Le jeune Vladimir Poutine a appris tout ce qu’il y a à savoir sur le Contrôle réflexif à la 401e école du KGB et ensuite dans sa carrière comme officier du KGB / FSB.
Alors ? Erdogan et l’Otan, avez-vous toujours envie d’aller en guerre ?
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
Traduit et édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone