Par Vladimir Poutine – Le 24 octobre 2017 – Source Kremlin.ru via Club Orlov
Je ne suis pas sûr que le ton de mon discours sera très optimiste, mais je sais que vous avez eu des discussions très animées au cours de ces trois derniers jours. Je vais essayer, comme c’est maintenant devenu habituel, de partager avec vous ce que je pense de certaines questions. S’il vous plaît, ne le prenez pas mal si je dis quelque chose qui a déjà été dit car je n’ai pas suivi toutes les discussions.
Pour commencer, je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Karzaï, M. Ma, M. Toje, à nos collègues et à tous nos amis. Je peux voir beaucoup de visages familiers dans le public. Bienvenue à tous à la réunion du Club Valdaï.
Par tradition, ce forum se concentre sur les questions politiques et économiques mondiales les plus urgentes. Cette fois-ci, les organisateurs, comme on vient de le mentionner, ont relevé un défi assez difficile en demandant aux participants d’essayer de regarder au-delà de l’horizon, de réfléchir aux prochaines décennies pour la Russie et la communauté internationale.
Bien sûr, il est impossible de tout prévoir et de prendre en compte toutes les chances et tous les risques auxquels nous serons confrontés. Cependant, nous devons comprendre et ressentir les principales tendances, chercher des réponses en dehors du cadre aux questions que le futur nous pose pour le moment et il en posera sûrement d’autres plus tard. Le rythme des développements est tel que nous devons y réagir constamment et rapidement.
Le monde est entré dans une ère de changement rapide. Des choses que l’on a qualifiées de fantastiques ou qui étaient inaccessibles sont devenues une réalité et une partie de notre vie quotidienne.
Des processus qualitativement nouveaux se déroulent simultanément dans toutes les sphères. La vie publique trépidante dans divers pays et la révolution technologique sont étroitement liées aux changements sur la scène internationale. La concurrence pour une place dans la hiérarchie mondiale est exacerbée. Cependant, de nombreuses recettes du passé pour la gouvernance mondiale, pour le dépassement des conflits ainsi que pour résoudre les contradictions naturelles ne sont plus applicables. Elles échouent trop souvent, et de nouvelles n’ont pas encore été élaborées.
Naturellement, les intérêts des États ne coïncident pas toujours, loin de là. C’est normal et naturel. Cela a toujours été le cas. Les puissances dirigeantes ont différentes stratégies géopolitiques et perceptions du monde. C’est l’essence immuable des relations internationales, qui reposent sur l’équilibre entre la coopération et la compétition.
Certes, lorsque cet équilibre est rompu, lorsque l’observance et même l’existence de règles de conduite universelles sont mises en question, lorsque les intérêts sont bousculés à n’importe quel prix, les disputes deviennent imprévisibles et dangereuses et conduisent à des conflits violents.
Pas un seul problème international réel ne peut être résolu dans de telles circonstances et dans un tel cadre, et donc les relations entre les pays se dégradent, simplement. Le monde devient moins sûr. Au lieu du progrès et de la démocratie, carte blanche est donnée aux éléments radicaux et aux groupes extrémistes qui rejettent la civilisation elle-même et cherchent à la plonger dans un passé ancien, dans le chaos et la barbarie.
L’histoire de ces dernières années illustre graphiquement tout cela. Il suffit de voir ce qui s’est passé au Moyen-Orient, que certains acteurs ont tenté de remodeler et de reformater à leur goût et de lui imposer un modèle de développement étranger par des coups d’État orchestrés extérieurement ou simplement par la force des armes.
Au lieu de travailler ensemble pour redresser la situation et porter un véritable coup au terrorisme plutôt que de simuler une lutte contre celui-ci, certains de nos collègues font tout leur possible pour que le chaos dans cette région soit permanent. Certains pensent encore qu’il est possible de gérer ce chaos.
En attendant, il y a quelques exemples positifs dans l’expérience récente. Comme vous l’avez probablement deviné, je fais référence à l’expérience de la Syrie. Cela montre qu’il existe une alternative à ce genre de politique arrogante et destructrice. La Russie s’oppose aux terroristes avec le gouvernement syrien légitime et les autres États de la région et agit sur la base du droit international. Je dois dire que ces actions et ce progrès n’ont pas été faciles. Il y a beaucoup de dissensions dans la région. Mais nous nous sommes fortifiés avec patience et, pesant nos moindres gestes et paroles, nous travaillons avec tous les participants à ce processus avec le respect dû à leurs intérêts.
Nos efforts, dont les résultats n’ont pas été remis en question jusqu’à récemment par nos collègues, nous laissent maintenant – laissez-moi le dire avec prudence – entrevoir un peu d’espoir. Ils se sont révélés très importants, corrects, professionnels et opportuns.
Ou, prenez un autre exemple : le bras de fer autour de la péninsule coréenne. Je suis sûr que vous avez également traité de cette question de façon approfondie aujourd’hui. Oui, nous condamnons sans équivoque les essais nucléaires menés par la RPDC et nous nous conformons pleinement aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant la Corée du Nord. Chers collègues, je tiens à le souligner pour qu’il n’y ait pas d’interprétation discrétionnaire. Nous respectons toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
Cependant, ce problème ne peut, bien sûr, être résolu que par le dialogue. Nous ne devrions pas bloquer la Corée du Nord dans un coin, la menacer de représailles musclées, nous abaisser à la grossièreté ou à l’invective. Que quelqu’un aime ou n’aime pas le régime nord-coréen, nous ne devons pas oublier que la République populaire démocratique de Corée est un État souverain.
Tous les différends doivent être résolus de manière civilisée. La Russie a toujours favorisé une telle approche. Nous sommes fermement convaincus que même les nœuds les plus complexes – que ce soit la crise en Syrie ou en Libye, dans la péninsule coréenne ou, disons, en Ukraine – doivent être démêlés plutôt que coupés.
La situation en Espagne montre clairement à quel point la stabilité peut être fragile même dans un État prospère et établi. Qui aurait pu s’attendre, même tout récemment, à ce que la discussion sur le statut de la Catalogne, qui a une longue histoire, aboutisse à une crise politique aiguë ?
La position de la Russie est connue ici. Tout ce qui se passe est une affaire interne à l’Espagne et doit être réglé sur la base de la loi espagnole conformément aux traditions démocratiques. Nous sommes conscients que le leadership du pays prend des mesures à cette fin.
Dans le cas de la Catalogne, nous avons vu l’Union européenne et un certain nombre d’autres États condamner à l’unanimité les partisans de l’indépendance.
Vous savez, à cet égard, je ne peux pas m’empêcher de noter que plus de réflexion aurait dû avoir lieu plus tôt. Quoi, personne n’était au courant de ces désaccords séculaires en Europe ? Ils l’étaient, n’est-ce pas ? Bien sûr, qu’ils l’étaient. Cependant, à un moment donné, ils se sont félicités de la désintégration d’un certain nombre d’États en Europe sans cacher leur joie.
Pourquoi étaient-ils si irréfléchis, motivés par des considérations politiques éphémères et leur désir de plaire – je le dis sans détour – à leur grand frère à Washington, en apportant leur soutien inconditionnel à la sécession du Kosovo, provoquant ainsi des processus similaires dans d’autres régions d’Europe et dans le monde ?
Vous vous souvenez peut-être que lorsque la Crimée a également déclaré son indépendance, puis – suite au référendum – sa décision de faire partie de la Russie, cela n’a pas été bien accueilli pour différentes raisons. Nous avons maintenant la Catalogne. Il y a un problème similaire dans une autre région, le Kurdistan. Peut-être que cette liste est loin d’être exhaustive. Mais nous devons nous demander : qu’allons-nous faire ? Que devrions-nous penser à ce sujet ?
Il se trouve que certains de nos collègues pensent qu’il y a de « bons » combattants pour l’indépendance et la liberté et qu’il y a des « séparatistes » qui n’ont pas le droit de défendre leurs droits, même avec l’utilisation de mécanismes démocratiques.
Comme nous le disons toujours dans des cas similaires, de tels doubles standards – et c’est un exemple flagrant de double standard – constituent un grave danger pour le développement stable de l’Europe et des autres continents et pour l’avancement des processus d’intégration à travers le monde.
À un moment donné, les défenseurs de la mondialisation essayaient de nous convaincre que l’interdépendance économique universelle était une garantie contre les conflits et la rivalité géopolitique. Hélas, cela ne s’est pas produit. De plus, la nature des contradictions s’est complexifiée, devenant multicouche et non linéaire.
En effet, alors que l’interdépendance est un facteur restrictif et stabilisateur, nous assistons également à un nombre croissant d’exemples de politiques qui interfèrent grossièrement avec les relations économiques et le marché. Tout récemment, il y a eu des avertissements que c’était inacceptable, contre-productif et qu’il fallait l’éviter. Maintenant, ceux qui ont fait de telles déclarations font aussi cela eux-mêmes. Certains ne cachent même pas qu’ils utilisent des prétextes politiques pour promouvoir leurs intérêts strictement commerciaux. Par exemple, le récent paquet de sanctions adopté par le Congrès américain vise ouvertement à évincer la Russie des marchés européens de l’énergie et à obliger l’Europe à acheter du GNL américain plus coûteux, bien que l’ampleur de sa production soit encore trop faible.
Des tentatives sont faites pour créer des obstacles à nos efforts pour forger de nouvelles voies énergétiques – South Stream et Nord Stream – même si la diversification de la logistique est économiquement efficace, bénéfique pour l’Europe et favorise sa sécurité.
Je le répète : il est naturel que chaque État ait ses propres intérêts politiques, économiques et autres. La question est le moyen par lequel ils sont protégés et promus.
Dans le monde moderne, il est impossible d’obtenir un gain stratégique au détriment des autres. Une telle politique fondée sur l’auto-suffisance, l’égoïsme et les prétentions à l’exceptionnalisme n’apportera aucun respect ou véritable grandeur. Cela suscitera un rejet et des résistances naturelles et justifiées. En conséquence, nous verrons la croissance continue des tensions et de la discorde au lieu d’essayer d’établir ensemble un ordre international sérieux et stable, et de relever les défis technologiques, environnementaux, climatiques et humanitaires auxquels est confrontée toute l’espèce humaine aujourd’hui.
Collègues, le progrès scientifique et technologique, l’automatisation robotisée et la numérisation entraînent déjà de profonds changements économiques, sociaux et culturels ainsi que des changements de valeurs. Nous sommes maintenant devant des perspectives et des chances jusqu’alors inconcevables. Mais en même temps, nous devrons trouver des réponses à beaucoup de questions. Quelle place occuperont les gens dans le triangle « humains-machines-nature » ? Quelles mesures seront prises par les États qui ne parviennent pas à offrir des conditions de vie normales en raison des changements climatiques et environnementaux ? Comment l’emploi sera-t-il maintenu à l’ère de l’automatisation ? Comment le serment d’Hippocrate sera-t-il interprété une fois que les médecins auront des capacités semblables à celles de sorciers tout-puissants ? Et l’intelligence humaine va-t-elle finalement perdre la capacité de contrôler l’intelligence artificielle ? L’intelligence artificielle deviendra-t-elle une entité séparée, indépendante de nous ?
Auparavant, en évaluant le rôle et l’influence des pays, nous parlions de l’importance du facteur géopolitique, de la taille du territoire d’un pays, de sa puissance militaire et de ses ressources naturelles. Bien sûr, ces facteurs sont toujours d’une importance majeure aujourd’hui. Mais il y a maintenant un autre facteur : le facteur scientifique et technologique qui, sans aucun doute, a aussi une grande importance, et celle-ci ne fera qu’augmenter avec le temps.
En fait, ce facteur a toujours été important, mais maintenant il aura le potentiel de transformer le jeu, et très bientôt, il aura un impact majeur dans les domaines de la politique et de la sécurité. Ainsi, le facteur scientifique et technologique deviendra un facteur d’importance universelle et politique.
Il est également évident que même les toutes dernières technologies ne seront pas en mesure d’assurer un développement durable par elles-mêmes. Un avenir harmonieux est impossible sans responsabilité sociale, sans liberté et sans justice, sans respect des valeurs éthiques traditionnelles et de la dignité humaine. Autrement, au lieu de devenir un monde de prospérité et de nouvelles opportunités, ce « meilleur des mondes » se transformera en un monde de totalitarisme, de castes, de conflits et de plus grandes divisions.
Aujourd’hui, les inégalités croissantes se traduisent déjà par des sentiments d’injustice et de privation chez des millions de personnes et des nations entières avec pour résultat la radicalisation, le désir de changer les choses de toutes les façons possibles, jusqu’à inclure la violence.
En passant, cela s’est déjà produit dans de nombreux pays, et également en Russie, notre pays. Les percées technologiques et industrielles réussies ont été suivies de bouleversements dramatiques et de perturbations révolutionnaires. Tout cela est arrivé parce que le pays n’a pas réussi à résoudre les discordes sociales et à surmonter à temps les anachronismes clairs dans la société.
La révolution est toujours le résultat d’un déficit de responsabilité à la fois pour ceux qui souhaitent conserver, geler sur place un ordre des choses désuet, et ceux qui aspirent à accélérer les changements, en recourant à des conflits civils et à une résistance destructive.
Aujourd’hui, alors que nous nous tournons vers les leçons du siècle dernier, à savoir la Révolution russe de 1917, nous voyons combien ses résultats ont été ambigus, à quel point les conséquences négatives et, nous devons aussi le reconnaître, positives de ces événements sont entrelacées. Demandons-nous : n’était-il pas possible de suivre un chemin évolutif plutôt que de passer par une révolution ? Ne pourrions-nous pas avoir évolué par un mouvement progressif et cohérent plutôt que de détruire notre État et de briser impitoyablement des millions de vies humaines ?
Cependant, le modèle social et l’idéologie, en grande partie utopique, que l’État nouvellement formé a essayé de mettre en œuvre à la suite de la révolution de 1917, a été un puissant moteur de transformations à travers le monde (ceci est clair et doit être reconnu), provoquant une réévaluation majeure des modèles de développement. Mais cela a donné lieu à la rivalité et la concurrence, dont les avantages, je dirais, ont été engrangés la plupart du temps par l’Occident.
Je ne parle pas seulement des victoires géopolitiques qui ont suivi la guerre froide. Beaucoup de réalisations occidentales du XXe siècle l’ont été en réponse au défi posé par l’Union Soviétique. Je parle d’élever le niveau de vie, de former une classe moyenne forte, de réformer le marché du travail et la sphère sociale, de promouvoir l’enseignement, de garantir les droits des femmes et des minorités, de surmonter la ségrégation raciale qui, vous vous en souvenez sûrement, était une pratique honteuse dans de nombreux pays, y compris aux États-Unis, il y a encore quelques décennies.
À la suite des changements radicaux qui ont eu lieu dans notre pays et dans le monde au tournant des années 1990, une occasion vraiment unique s’est présentée d’ouvrir un chapitre vraiment nouveau dans l’histoire. Je veux dire la période après que l’Union Soviétique a cessé d’exister.
Malheureusement, après s’être partagé l’héritage géopolitique de l’Union soviétique, nos partenaires occidentaux se sont convaincus de la justesse de leur cause et se sont déclarés vainqueurs de la guerre froide, comme je viens de le dire, ont ouvertement interféré dans les affaires des États souverains et ont exporté la démocratie tout comme les dirigeants soviétiques avaient essayé d’exporter la révolution socialiste vers le reste du monde à leur époque.
Nous avons été confrontés à la redistribution des sphères d’influence et à l’expansion de l’OTAN. L’excès de confiance conduit invariablement à des erreurs. Le résultat est malheureux. Deux décennies et demi ont été perdues, beaucoup d’occasions manquées et un lourd fardeau de méfiance réciproque. Le déséquilibre mondial n’a fait que s’intensifier.
Nous entendons des déclarations sur l’engagement à résoudre des problèmes mondiaux, mais en fait, ce que nous voyons, c’est de plus en plus d’exemples d’égoïsme. Toutes les institutions internationales destinées à harmoniser les intérêts et à formuler un programme commun s’érodent. Les traités de base internationaux multilatéraux et les accords bilatéraux d’une importance cruciale sont dévalués.
On m’a répété, il y a quelques heures à peine, que le président américain avait dit quelque chose sur les médias sociaux au sujet de la coopération russo-américaine dans le domaine important de la coopération nucléaire. Il est vrai que c’est la sphère d’interaction la plus importante entre la Russie et les États-Unis, sachant que la Russie et les États-Unis ont une responsabilité particulière envers le monde en tant que les deux plus grandes puissances nucléaires.
Cependant, j’aimerais profiter de cette occasion pour parler plus en détail de ce qui s’est passé au cours des dernières décennies dans ce domaine crucial, pour donner une image plus complète. Cela prendra au maximum deux minutes.
Plusieurs accords bilatéraux historiques ont été signés dans les années 1990. Le premier, le programme Nunn-Lugar, a été signé le 17 juin 1992. Le second, le programme HEU-LEU, a été signé le 18 février 1993. L’uranium hautement enrichi a été transformé en uranium faiblement enrichi, d’où HEU-LEU.
Les projets relevant du premier accord ont porté sur l’amélioration des systèmes de contrôle, la comptabilité et la protection physique des matières nucléaires, le démantèlement et la mise au rebut des sous-marins et des générateurs thermoélectriques de radio-isotopes. Les Américains ont procédé – et s’il vous plaît prêtez bien attention ici, ce n’est pas une information secrète, simplement peu de gens sont au courant – à 620 visites de contrôle en Russie pour vérifier notre conformité avec les accords. Ils ont visité les lieux saints les plus saints du complexe nucléaire russe, à savoir les entreprises engagées dans le développement d’ogives nucléaires et de munitions, ainsi que du plutonium et de l’uranium de qualité militaire. Les États-Unis ont eu accès à toutes les installations top-secrètes en Russie. En outre, l’accord était de nature presque unilatérale.
Dans le cadre du deuxième accord, les Américains ont effectué 170 visites supplémentaires dans nos usines d’enrichissement, entrant dans leurs zones les plus restreintes, telles que les unités de mélange et les installations de stockage. L’usine d’enrichissement nucléaire la plus puissante du monde – le Complexe électrochimique de l’Oural – disposait même d’un poste d’observation américain permanent. Des emplois permanents ont été créés directement dans les ateliers de ce complexe où les spécialistes américains allaient travailler tous les jours. Les pièces où ils étaient assis dans ces installations russes top-secrètes avaient des drapeaux américains, comme c’est toujours le cas.
En outre, une liste de 100 spécialistes américains provenant de 10 organisations américaines différentes a été dressée et autorisée à effectuer des inspections supplémentaires à tout moment et sans avertissement. Tout cela a duré 10 ans. En vertu de cet accord, 500 tonnes d’uranium de qualité militaire ont été retirées de la circulation militaire en Russie, ce qui équivaut à environ 20 000 têtes nucléaires.
Le programme HEU-LEU est devenu l’une des mesures les plus efficaces de véritable désarmement dans l’histoire de l’humanité – je le dis en toute confiance. Chaque étape du côté russe a été suivie de près par des spécialistes américains, à une époque où les États-Unis se limitaient à des réductions beaucoup plus modestes de leur arsenal nucléaire, et ce, sur une base purement commerciale.
Nos spécialistes ont également visité des entreprises du complexe nucléaire américain, mais seulement à leur invitation et dans des conditions définies par la partie américaine.
Comme vous le voyez, la partie russe a fait preuve d’une ouverture et d’une confiance absolument sans précédent. Incidemment – et nous en reparlerons probablement plus tard – nous savons aussi ce que nous en avons reçu en retour : négligence totale de nos intérêts nationaux, soutien au séparatisme dans le Caucase, opérations militaires qui ont contourné le Conseil de sécurité de l’ONU, comme le bombardement de la Yougoslavie et de Belgrade, introduction de troupes en Irak et ainsi de suite. Eh bien, c’est facile à comprendre : une fois que l’état du complexe nucléaire, des forces armées et de l’économie a été inspecté, le droit international ne semblait plus nécessaire.
Dans les années 2000, notre coopération avec les États-Unis est entrée dans une nouvelle phase de partenariat véritablement équitable. Elle a été marquée par la signature d’un certain nombre de traités et d’accords stratégiques sur les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, connu aux États-Unis sous le nom d’Accord 123. Mais à toutes fins utiles, la partie américaine a unilatéralement interrompu le travail dans ce cadre en 2014.
La situation entourant l’Accord sur la gestion et l’élimination du plutonium (PMDA) du 20 août 2000 (signé à Moscou) et du 1er septembre suivant (à Washington) nous laisse perplexes et alarmés. Conformément au protocole de cet accord, les parties devaient prendre des mesures réciproques pour convertir irréversiblement le plutonium de qualité militaire en combustible à oxyde mixte (MOX) et le brûler dans des centrales nucléaires, afin qu’il ne puisse plus être utilisé à des fins militaires. Tout changement dans cette méthode n’était autorisé qu’avec le consentement des deux parties. Ceci est écrit dans l’accord et les protocoles.
Qu’a fait la Russie ? Nous avons développé ce combustible, construit une usine pour la production de masse et, comme nous l’avions promis dans l’accord, construit une usine BN-800 qui nous a permis de brûler ce carburant en toute sécurité. Je voudrais souligner que la Russie a rempli tous ses engagements.
Qu’ont fait nos partenaires américains ? Ils ont commencé à construire une usine sur le site de Savannah River. Son coût initial était de 4,86 milliards de dollars, mais ils ont dépensé près de 8 milliards de dollars, ont avancé la construction à 70% et ont ensuite gelé le projet. Mais, à notre connaissance, la demande de budget pour 2018 comprend 270 millions de dollars pour la fermeture et la mise sous cocon de cette installation. Comme d’habitude, une question se pose : où est l’argent ? Probablement volé. Ou ils ont mal calculé quelque chose lors de la planification de sa construction. De telles choses arrivent. Elles arrivent ici trop souvent. Mais cela ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire. Nous sommes intéressés par ce qui se passe avec l’uranium et le plutonium. Qu’en est-il de l’élimination du plutonium ? La dilution et le stockage géologique du plutonium sont suggérés. Mais cela contredit totalement l’esprit et la lettre de l’accord et, surtout, ne garantit pas que la dilution ne soit pas reconvertie plus tard en plutonium de qualité militaire. Tout cela est très regrettable et déroutant.
Ensuite, la Russie a ratifié le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires il y a plus de 17 ans. Les États-Unis ne l’ont pas encore fait.
Une masse critique de problèmes finissent pas s’accumuler et affecter la sécurité globale. Comme on le sait, en 2002, les États-Unis se sont retirés du Traité sur les missiles anti-balistiques. Et bien qu’ils aient été les initiateurs de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et sur la sécurité internationale, ils ont eux-mêmes pris l’initiative de cet accord, ils ne respectent pas leurs engagements. Ils restent à ce jour le seul et le plus grand détenteur de cette forme d’arme de destruction massive. De plus, les États-Unis ont repoussé la date butoir pour l’élimination de leurs armes chimiques de 2007 à 2023. Cela ne semble pas approprié pour une nation qui prétend être une championne de la non-prolifération et du contrôle.
En Russie, au contraire, le processus s’est achevé le 27 septembre de cette année. Ce faisant, notre pays a contribué de manière significative au renforcement de la sécurité internationale. À ce propos, les médias occidentaux ont préféré garder le silence, ne pas le faire remarquer, bien qu’il y ait eu une brève mention quelque part au Canada, mais c’est tout, et depuis c’est le silence. Pendant ce temps, l’arsenal d’armes chimiques stocké par l’Union soviétique aurait suffi à détruire la vie sur la planète plusieurs fois.
Je crois qu’il est temps d’abandonner cet agenda obsolète. Je parle de ce qui a été. Sans aucun doute, nous devrions regarder vers l’avenir. Nous devons arrêter de regarder en arrière. Je parle de cela pour comprendre les origines de la situation actuelle qui se dessine.
Il est grand temps d’engager une discussion franche au sein de la communauté mondiale plutôt que de se limiter à un groupe de personnes choisies, prétendument les plus dignes et les plus avancées. Je veux parler des représentants de différents continents, traditions culturelles et historiques, de différents systèmes politiques et économiques. Dans un monde en évolution, nous ne pouvons pas nous permettre d’être inflexibles, fermés ou incapables de réagir clairement et rapidement. C’est notre responsabilité pour l’avenir – c’est ce qui devrait nous unir, surtout dans les moments actuels où tout change rapidement.
Jamais auparavant l’humanité n’a possédé un tel pouvoir comme elle l’a maintenant. Le pouvoir sur la nature, l’espace, les communications et sa propre existence. Cependant, ce pouvoir est diffus : ses éléments sont entre les mains d’États, d’entreprises, d’associations publiques et religieuses, et même de particuliers. Clairement, exploiter tous ces éléments dans une architecture unique, efficace et gérable n’est pas une tâche facile. Il faudra un travail dur et laborieux pour y parvenir. Et la Russie, je le ferai remarquer, est prête à y participer avec tous les partenaires intéressés.
Chers collègues, comment voyons-nous l’avenir de l’ordre international et du système de gouvernance mondiale ? Par exemple, en 2045, quand l’ONU marquera son centenaire ? Sa création est devenue un symbole du fait que l’humanité, malgré tout, est capable de développer des règles communes de conduite et de les suivre. Chaque fois que ces règles n’ont pas été respectées, cela a entraîné inévitablement des crises et d’autres conséquences négatives.
Cependant, au cours des dernières décennies, plusieurs tentatives ont été faites pour minimiser le rôle de cette organisation, la discréditer ou simplement en prendre le contrôle. Toutes ces tentatives ont échoué, ou ont atteint une impasse. À notre avis, l’ONU, avec sa légitimité universelle, doit rester le centre du système international. Notre objectif commun est d’accroître son autorité et son efficacité. Il n’y a pas d’alternative à l’ONU aujourd’hui.
En ce qui concerne le droit de veto au Conseil de sécurité, qui est parfois contesté, vous pouvez vous rappeler que ce mécanisme a été conçu et créé pour éviter la confrontation directe des États les plus puissants, en tant que garantie contre l’arbitraire et l’insouciance. Aucun pays, même le plus influent, ne pouvait plus donner une apparence de légitimité à ses actions agressives.
Des réformes sont nécessaires, le système des Nations Unies doit être amélioré, mais les réformes ne peuvent être que progressives et évolutives et, bien sûr, elles doivent être soutenues par l’écrasante majorité des participants au processus international au sein même de l’organisation, par un large consensus.
La garantie de l’efficacité de l’ONU réside dans sa nature représentative. La majorité absolue des États souverains du monde y est représentée. Les principes fondamentaux de l’ONU devraient être préservés pendant des années et même des décennies, car il n’existe aucune autre entité capable de refléter toute la palette de la politique internationale.
Aujourd’hui, de nouveaux centres d’influence et de nouveaux modèles de croissance émergent, des alliances civilisationnelles et des associations politiques et économiques prennent forme. Cette diversité ne se prête pas à l’unification. Nous devons donc nous efforcer d’harmoniser la coopération. Les organisations régionales d’Eurasie, d’Amérique, d’Afrique et de la région Asie-Pacifique devraient agir sous les auspices des Nations Unies et coordonner leurs travaux.
Cependant, chaque association a le droit de fonctionner selon ses propres idées et principes qui correspondent à ses spécificités culturelles, historiques et géographiques. Il est important de combiner l’interdépendance mondiale et l’ouverture avec la préservation de l’identité unique de chaque nation et de chaque région. Nous devons respecter la souveraineté comme base de tout le système des relations internationales.
Chers collègues, peu importe les hauteurs extraordinaires que la technologie peut atteindre, l’histoire est, bien sûr, faite par les humains. L’histoire est faite par les gens, avec toutes leurs forces et leurs faiblesses, leurs grandes réalisations et leurs erreurs. Nous ne pouvons qu’avoir un avenir partagé. Il ne peut pas y avoir d’avenir séparé pour nous, au moins, pas dans le monde moderne. Ainsi, la responsabilité de faire en sorte que ce monde soit libre de conflits et prospère incombe à l’ensemble de la communauté internationale.
Comme vous le savez peut-être, le 19e Festival mondial de la jeunesse et des étudiants a lieu à Sotchi. Des jeunes de dizaines de pays interagissent avec leurs pairs et discutent de sujets qui les concernent. Ils ne sont pas entravés par des différences culturelles, nationales ou politiques, et ils rêvent tous de l’avenir. Ils croient que leur vie, la vie des jeunes générations, sera meilleure, plus juste et plus sûre. Notre responsabilité aujourd’hui est de faire de notre mieux pour nous assurer que ces espoirs se réalisent.
Merci beaucoup pour votre attention.
Vladimir Poutine
Note du Saker Francophone La fin du discours sur l'ONU est particulièrement intéressante. Vladimir Poutine parle explicitement des tentatives de prises de contrôle de cet organisme par les USA. Il parle aussi de refondre le nouvel ordre mondial, un ordre discuté par les « représentants de différents continents, traditions culturelles et historiques, systèmes politiques et économiques ». C'est l'assemblée des peuples à laquelle beaucoup aspirent et qui est tant combattue par les élites transnationales. Mais il passe aussi sous silence les tentatives de prise de contrôle plus discrètes des mondialistes comme Soros, du rôle du FMI et de ces DTS comme nouvelle monnaie de réserve mondiale. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la Russie a, dans une certaine mesure, réussi à reprendre le contrôle d'une bonne partie de sa souveraineté et reste un exemple pour montrer que c'est possible et qu'il n'y a jamais rien d'acquis mais que c'est en même temps un processus difficile et dangereux. Dans le cadre du recouvrement de leur souveraineté par les populations occidentales et notamment européennes, la Russie et la Chine pourraient avoir leur mot à dire en refusant de collaborer avec nos élites-traîtres, les obligeant à faire monter dans l’infrastructure de décisions des leaders issus du peuple réel.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone
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