Oui, la Chine utilise le tourisme comme arme


… mais les États-Unis d’Amérique en font autant avec l’ensemble de leur économie


Par Andrew Korybko – Le 30 août 2018 – Source orientalreview.org

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La Chine a soi-disant « utilisé le tourisme comme arme » pour punir l’état insulaire de Palaos, situé dans le Pacifique, du maintien continu de ses relations politiques avec Taïwan

Reuters a publié le week end dernier un article, relatant les effets de la décision chinoise de 2017 de faire du pays une « destination interdite » par suite de l’absence de toute relation diplomatique avec l’île, ce qui a généré l’effet domino de non seulement mettre à mal l’industrie touristique jusqu’alors dominée par les visiteurs chinois, mais aussi tous les autres domaines d’activité qui en découlaient. L’article citait un gérant d’hôtel, selon lequel « il y en a qui pensent qu’on avait autorisé l’afflux de dollars dans le pays, et qu’à présent c’est suspendu pour forcer la main du Palaos à établir des liens diplomatiques », une stratégie qu’il estime relever d’une « utilisation du tourisme comme arme par la Chine ».

Palaos sur la carte du monde. Source wikipedia

En apparence, cela semble bien être le cas, et il est bien connu que la Chine fait feu de tout bois pour ramener sans bruit les 17 alliés internationaux de Taïwan à ses positions. Mais à y regarder de plus près, la Chine avait de bonnes raisons de prendre cette décision envers le Palaos : Pékin est dans l’incapacité de venir en aide à ses citoyens – que ce soit physiquement ou pour défendre leurs intérêts économiques – sans une présence diplomatique sur l’île, présence qui n’est possible que si l’île en vient à reconnaître Pékin comme gouvernement légitime de Chine.

Les quelques 20 000 Paluans auraient dû le voir venir et n’auraient pas du laisser s’installer une telle dépendance envers l’argent chinois. Reste qu’ils ne sont pas seuls à subir ce type de revers, pas plus que la Chine n’est le seul pays à avoir jamais mis en œuvre cette stratégie ; en effet, les USA font la même chose à grande échelle, en utilisant l’accès à leurs marchés comme arme, au travers de sanctions primaires et « secondaires », après avoir rendu le monde dépendant d’eux depuis une vingtaine d’années.

Ainsi, par exemple, l’Union européenne comme l’Inde se retrouvent dans des états d’interdépendances envers les USA, certes différents, mais comparablement complexes et asymétriques, et ont constamment besoin d’un accès au marché des États-Unis pour assurer leur croissance, ce qui les a fait tous les deux reculer par rapport à leurs positions de soutien de l’Iran après que Trump a abrogé l’accord nucléaire iranien il y a quelques mois, et menacé le monde entier de « sanctions secondaires » pour ceux qui oseraient poursuivre leurs affaires avec l’Iran après le décret de sanctions primaires. Il ne fait aucun doute que ce jeu de pouvoir mondial porte à conséquence de manière bien plus large que la Chine serrant la vis à un petit pays pour lui faire abandonner Taïwan, mais cela n’empêche pas les médias traditionnels de tout faire pour déformer l’importance de ces événements auprès du public.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le 24 août 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker francophone

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