Ouf ! Il était temps…


… Poutine a révélé les nouvelles armes de la Russie pour dissuader une attaque américaine imminente


« ...Un terrible crescendo de menaces avait rendu la Russie très vulnérable, Poutine a exceptionnellement annoncé au monde l'existence de ses nouvelles armes parce que le Kremlin était convaincu que les menaces étaient réelles. » Israel Shamir

2015-09-18_18h01_29-122x150Par Israel Shamir – Le 12 mars 2018 – Source Russia Insider

La présentation par Poutine, le 1er mars, de nouvelles armes russes a été largement mal comprise comme une déclaration de parité stratégique ou de triomphalisme. Il y avait un besoin beaucoup plus urgent, à savoir empêcher une frappe imminente. Ce danger n’a pas encore disparu, car une semaine plus tard, le 7 mars, le président Poutine a souligné qu’il était prêt à utiliser les armes nucléaires à des fins de représailles, même si cela devait mettre fin au monde.


« Certainement, ce serait un désastre pour l’humanité, a dit Poutine , mais, en tant que citoyen de la Russie et chef de l’État russe, je dois me demander : pourquoi voudrions-nous un monde sans la Russie ? »

C’était une réponse fière. Un homme plus médiocre que lui répondrait probablement hypocritement, en esquivant le brutal « oui, je détruirais le monde ». Cela signifie que le danger est toujours imminent, et que par la franchise de ces mots, le président Poutine veut dissuader quiconque a l’intention de le pousser trop loin.

Pourquoi, en effet, tout à coup et maintenant, le président russe a-t-il décidé, pour la première fois, de parler au monde de ces nouvelles armes ? Ce n’est pas que les Russes – ou les Américains, d’ailleurs – soient habitués à livrer des mises à jour de leur arsenal militaire orbi et urbi. Et 2002, l’année où les États-Unis se sont retirés du traité ABM, est un fait historique depuis des années. Alors, quelle était la raison, ou au moins le déclencheur ?

Certains observateurs ont imaginé que c’était une astuce pré-électorale rusée destinée à un public national. Cela pourrait être une hypothèse, mais mineure. Le principal opposant à M. Poutine, le candidat communiste M. Groudinine, n’a pas contesté la politique étrangère ou les dépenses de défense de Poutine ; les électeurs approuvent de toute façon la politique étrangère du président. La révélation de ce dernier a rendu les Russes fiers, mais ils voteraient de toute façon pour lui.

La raison du discours de Poutine était différente et plus urgente : un terrible crescendo de menaces avait rendu la Russie très vulnérable. On peut supposer que ses agences d’espionnage ont convaincu le leader russe que les menaces étaient réelles.

L’establishment américain a cherché un moyen d’humilier et de punir la Russie depuis l’inculpation de 13 Russes par Mueller. L’acte d’accusation alléguait que « les conspirateurs russes voulaient promouvoir la discorde aux États-Unis et saper la confiance du public dans la démocratie » selon Rod Rosenstein, le vice-procureur général chargé de superviser l’enquête Mueller. Peu importe que les Russes inculpés n’étaient pas des fonctionnaires de l’État russe ; que leurs efforts (si, pour commencer, ceux-ci existaient) étaient chétifs : quelques annonces de pub au coût d’environ 100 000 dollars, une goutte dans l’océan des immenses sommes d’argent dépensées par les deux campagnes Clinton et Trump. Cependant, l’establishment américain a qualifié ces actions mineures de citoyens russes privés d’« acte de guerre ».

Le 19 février, Glenn Greenwald a résumé les réactions américaines dans un article intitulé « Un consensus se dégage : la Russie a commis un ‘acte de guerre’ comparable à Pearl Harbor et au 11 septembre ». Il a rappelé que les sénateurs des deux partis, comme le républicain John McCain et la démocrate Jeanne Shaheen, ont longtemps qualifié l’ingérence russe en 2016 d’« acte de guerre ». Hillary Clinton a décrit le piratage présumé des boîtes aux lettres du DNC et de John Podesta comme un « cyber 11 septembre ». Tom Friedman, du New York Times a déclaré dans l’émission TV Morning Joe que le piratage russe « était un événement à l’échelle du 11 septembre. Ils ont attaqué le noyau de notre démocratie. C’était un événement à l’échelle de Pearl Harbor ».

Après l’acte d’accusation, cette comparaison est devenue une banalité. Karen Tumulty du Washington Post, se plaignant de l’inaction du président Donald Trump, a demandé aux lecteurs « d’imaginer comment l’histoire aurait jugé Franklin D. Roosevelt à la suite de Pearl Harbor, s’il avait déclaré sur les ondes radio que ‘Tokyo pissait de rire’, ou si George W. Bush s’était tenu debout dans les décombres du World Trade Center avec un porte-voix pour lancer une tirade d’insultes contre les démocrates ».

Greenwald a conclu : « Si l’ingérence électorale russe est à égalité avec Pearl Harbor et les attentats du 11 septembre, alors la réponse américaine devrait-elle être à la hauteur de sa réponse à ces attaques ? ». En d’autres termes, les politiciens et les médias américains ont appelé, contre la Russie, au même traitement que les États-Unis ont infligé au Japon – atomisation de Hiroshima et Nagasaki – et à l’Afghanistan – invasion suivie de seize ans d’occupation… à ce jour.

Dans la recherche de l’escalade du discours enflammé vers l’incendie réel, l’establishment anglo-américain s’est tourné vers le dispositif familier des soi-disant attaques syriennes au gaz. Les gens ont été formatés pour répondre à de telles accusations – et alternativement, pour rester silencieux pendant que les États-Unis bombardent Mossoul et Raqqa, ou se préparent à bombarder la Corée du Nord. Assad et la Russie ont été accusés de gazer le bastion rebelle de la Ghouta orientale, c’est la dernière chance de l’Occident pour imposer le changement de régime en Syrie en vertu de la proximité du lieu avec la capitale Damas.

L’attaque présumée au chlore gazeux a été signalée le 25 février et elle a été immédiatement démentie par les Russes et les Syriens. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que ce « faux rapport anonyme » provenait des États-Unis afin de dénigrer le gouvernement syrien et ses troupes, de les accuser de crimes de guerre et de provoquer ainsi la dissolution définitive de la Syrie. Les États-Unis et leurs alliés vont simplement exploiter des allégations sans fondement d’utilisation d’armes toxiques par Damas comme outil d’ingénierie politique anti-syrienne ».

Les rebelles ont déclaré avoir été attaqués par du gaz de chlore, contrairement aux  fois précédentes où le gaz sarin aurait été utilisé. Le chlore gazeux est une substance délicate, il n’est pas mortel mais dangereux à inhaler. Il est également assez difficile à prévenir et à vérifier, car le chlore est largement utilisé à des fins domestiques, du nettoyage des salles de bains à l’épuration de l’eau et n’est pas une substance interdite – bien que le chlore gazeux soit interdit. Cette difficulté à vérifier l’avait rendu facile à revendiquer.

La situation dans la Ghouta Est était une reprise d’Alep ; rapports d’enfants blessés, films produits par les Casques blancs et tentatives tenaces des rebelles pour empêcher l’exode des civils de la région. À chaque fois que les rebelles sont durement repoussés, ils produisent une histoire de civils souffrants et d’attaques au gaz, espérant que les États-Unis forceront le gouvernement syrien et leurs alliés russes à céder.

Sans aucun doute les civils ont souffert dans la guerre syrienne. Cependant, il existe un moyen de mettre fin à leurs souffrances. Les rebelles pourraient déposer les armes et rejoindre le processus politique, comme tout le monde. Il y a beaucoup d’Américains mécontents du régime de Trump, mais ils ne bombardent pas Washington DC. Ils espèrent un résultat meilleur et différent lors des prochaines élections. Leur exemple peut être imité par les rebelles syriens, et alors, les civils ne souffriront pas.

Si c’est trop demander, ils peuvent laisser partir les civils, et se battre jusqu’à leur triste fin. Mais non, ils ne laissent pas sortir les civils. Au lieu de cela, ils produisent des rapports sur les souffrances de ceux-ci et attendent que le septième de cavalerie arrive à la rescousse.

Il y avait un élément supplémentaire. Les rebelles de Ghouta-Est sont entraînés et dirigés par des officiers de renseignement britanniques et américains, et ils sont tombés sous le feu des Russes. Peut-être était-ce des représailles russes pour le bombardement d’installations pétrolières près de Deir-ez-Zor où la compagnie militaire privée russe (appelée Wagner, par le surnom de leur chef) a subi de nombreuses victimes. Thierry Meyssan, le célèbre journaliste français résidant à Damas, a affirmé que des troupes terrestres russes participaient également à l’assaut sur la Ghouta orientale. Il est possible que les Russes et les Américains se battent déjà directement, même si les deux parties sont peu enclines à reconnaître leurs pertes.

Le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson a été le premier à « envisager sérieusement » des frappes aériennes en Syrie. Le plaisir des actions en Libye doit lui manquer : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » et maintenant le rouquin est impatient de bombarder n’importe qui. Cependant, son Parlement ne lui permet pas de le faire.

La balle a été reprise par les Américains. Bloomberg a éditorialisé : « Il est temps pour une autre ligne rouge, une sur laquelle les États-Unis ne reculeront pas. Trump devrait dire à Assad et à ses soutiens russes que toute utilisation prouvée d’arme chimique, y compris le chlore, fera l’objet de représailles encore plus importantes qu’en avril. »

[Ceci est une référence à la frappe de missiles ordonnée par Trump sur la base aérienne de Chayrat en Syrie, prétendûment pour se venger de l’attaque syrienne au gaz sarin à Khan Sheikhoun. Des doutes sur cette attaque au gaz sarin sont apparus immédiatement, et Unz.com l’a publié rapidement. En juin 2017, Seymour Hersh a exposé toute l’histoire derrière Chayrat : il n’y avait pas d’attaque au gaz sarin, et le président Trump a été conseillé, par ses propres agents de renseignement, pour laisser tomber l’affaire. Il a encore insisté et attaqué mais a prévenu les Russes, et il n’y a eu aucune victime russe ou syrienne, très peu de dégâts, mais un coût de 100 millions de dollars pour le contribuable américain. Les médias US grand public étaient exubérants, et ont félicité Trump pour cet exemple de comportement présidentiel].

The American Conservative, le site républicain proche de Trump, s’est opposé aux projets de bombardement de la Syrie : « Trump n’avait aucune autorité pour ordonner l’attaque des forces syriennes l’année dernière. et il ne l’a toujours pas. Il n’y a pas de mandat international pour que les forces américaines soient en Syrie, et il n’y a aucune autorisation pour une action militaire contre les forces gouvernementales syriennes ou leurs alliés. Si Trump ordonne une autre attaque illégale, les États-Unis commettront encore plus d’actes de guerre contre un gouvernement qui ne nous menace pas, ne nous a rien fait, ni à nos alliés conventionnels, et combat toujours à l’intérieur de ses propres frontières internationalement reconnues. »

Mais les voix de ceux qui soutiennent les frappes et veulent punir les Russes et les Syriens ont semblé plus fortes. « La Maison Blanche envisage une nouvelle action militaire contre le régime syrien » a titré le Washington Post du 5 mars. Le journal a ajouté des détails qui ont poussé à l’attaque le conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster, mais qui n’ont pas convaincu le secrétaire à la Défense Jim Mattis. « D’autres responsables, en particulier à la Maison Blanche et au Département d’État, semblent plus ouverts à une action renouvelée contre Assad »,  indique le rapport.

Tout ceci est la toile de fond du discours de Poutine le 1er mars. Le président russe a parlé des nouveaux missiles russes intouchables par le système anti-balistique Aegis, et imparables par des tirs au sol, qui peuvent transformer les porte-avions américains, le symbole le plus éclatant de la puissance américaine, en cibles idéales. La Russie va les couler en cas d’attaque contre elle ou ses alliés, a déclaré Poutine.

« Alliés » est ici le mot clé du message. L’allié menacé de la Russie est la Syrie. Poutine a averti les Américains que leur attaque aérienne contre la Syrie pourrait, en réponse, entraîner une frappe contre leur groupe naval dans la région. Si vous bombardez Damas, nous enverrons vos porte-avions par le fond en Méditerranée et dans le Golfe. Nous pouvons aussi annihiler vos bases aériennes dans la région.

Les enjeux fortement élevés ont changé la donne. Qui sait quelle sera la réponse de la Russie à cette action ou à celle des alliés occidentaux ? Les néocons « pousse au crime » disent que la Russie ne sait que bavarder, que tout est du bluff. Les réalistes disent que les États-Unis pourraient subir la perte humiliante et douloureuse de leurs navires avec des milliers de vies. Le président américain s’était réjoui de la précédente frappe contre la Syrie avec des dizaines de Tomahawks [dont les deux tiers ont été interceptés, NdT] avant de revenir à son beau gâteau au chocolat. Mais si les frappes étaient retournées contre les navires qui avaient frappé la Syrie précédemment, la question serait totalement différente. Avez-vous dit Pearl Harbor ?

Même si cet échange n’entraînerait pas de frappes nucléaires massives de la partie continentale des États-Unis et de la Russie, ni une guerre mondiale destructrice, il aurait un prix très élevé. Les Russes peuvent même frapper le club privé du président Trump à Palm Beach, en Floride, comme ils l’ont présenté malicieusement sur la vidéo de simulation.

Apparemment, le président Trump en a discuté maintenant avec le Premier ministre britannique Theresa May. Les Britanniques sont, pour quelque raison, plus enclins à pousser pour la guerre avec la Russie. Maintenant, ils font de leur mieux pour empêcher le rapprochement entre les États-Unis et la Russie. L’histoire bizarre de l’empoisonnement de leur propre ex-espion avec un gaz neurotoxique ajoute du piquant à leurs efforts, et l’ambassadeur de Russie au Royaume-Uni a twitté : « Dans les journaux d’aujourd’hui : les experts en appellent à @Theresa_May pour perturber le possible dégel Russie–États-Unis. Aucune confiance dans le meilleur ami et allié de la Grande-Bretagne ? ».

Le jeu de poker nucléaire est juste devenu plus excitant. Est-ce que les Russes bluffent ou non ? Vont-ils suivre, ou vont-ils laisser tomber leurs cartes, c’est la question. Il n’y a pas encore de réponse. Seule l’histoire peut répondre.

Pendant ce temps, à en juger par le calme tendu au Moyen-Orient et ailleurs, le jeu de Poutine avait été couronné de succès. Les missiles américains reposaient sur leurs sites de lancement, tout comme les missiles russes. L’offensive russo-syrienne dans la Ghouta orientale se poursuit sans relâche, tandis que les opérations terrestres américaines en Syrie sont au point mort, les Kurdes étant trop occupés à affronter les Turcs. Peut-être survivrons-nous à cette quasi-confrontation, car nous avons survécu à la quasi-confrontation de 2011.

Israël Shamir

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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