Non, il n’y aura pas de base russe en Iran


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 8 août 2019

Un rapport quelque peu bizarre publié sur Oilprice.com affirme que la Russie va stationner des troupes, des navires et des avions de combat en Iran. L’article intitulé La Russie s’impose dans le golfe Persique, a été repris par Yahoo.com et Zerohedge alors qu’il est évident qu’il est farfelu.

Dans une escalade potentiellement catastrophique des tensions dans le golfe Persique, la Russie prévoit d'utiliser les ports iraniens de Bandar-e-Bushehr et de Chabahar comme bases militaires avancées pour des navires de guerre et des sous-marins nucléaires, gardés par des centaines de troupes des forces spéciales - Spetsnaz - se faisant passer pour des "conseillers militaires", et une base aérienne près de Bandar-e-Bushehr où seraient basés 35 avions de combat Sukhoi Su-57, selon des renseignements donnés par des sources importantes proches du régime iranien, en exclusivité à OilPrice.com. La prochaine série d'exercices militaires conjoints dans l'océan Indien et le détroit d'Ormuz marquera le début de cette expansion militaire in situ en Iran, puisque les navires russes concernés seront autorisés par l'Iran à utiliser les installations de Bandar-e-Bushehr et Chabahar. En fonction de la force des réactions nationales et internationales, ces navires et Spetsnaz resteront en place et seront augmentés en nombre au cours des 50 prochaines années.

Par où commencer ?

1. Le golfe Persique est un lac dont la profondeur moyenne est inférieure à 50 mètres. C’est un endroit où l’on peut utiliser de petits sous-marins très maniables. Mais personne n’y fera naviguer de sous-marins nucléaires.

2. Les avions de combat Sukhoi Su-57 n’ont pas encore été construits en série. Ceux qui volent actuellement sont des avions d’essai qui n’ont toujours pas les nouveaux moteurs nécessaires. La Russie a récemment commandé le premier lot de Su-57, mais les premières livraisons n’auront lieu qu’en 2022-24. 35 de ces avions pourraient être disponibles dans une dizaine d’années. Quand ils le seront, ils protégeront la mère Patrie russe de l’OTAN et non quelques puits de pétrole iraniens.

3. Les Spetsnaz sont des forces spéciales formées à grands frais. Elles ne servent pas à garder des bases.

4. La constitution iranienne (pdf) n’autorise pas le stationnement de troupes étrangères. L’article 146 est assez clair à ce sujet :

L'installation de tout type de base militaire étrangère en Iran, même à des fins pacifiques, est interdite.

En août 2016, les militaires russes et iraniens ont convenu d’établir une base logistique à Hamedan, en Iran, pour les bombardiers Su-22M3 utilisés au-dessus de la Syrie. Quelques jours après que le déploiement a été rendu public, l’accord a été rejeté :

Le 22 août, Téhéran a mis fin à la coopération militaire et interdit aux Russes d'utiliser ses bases. L'une des raisons de cette tournure surprenante des événements est la lutte politique domestique en Iran, où le ministre de la Défense, le général de brigade Hossein Dehghan, a été accusé de "manque de respect envers le Parlement" et de violation de la constitution du pays.

5. La “prochaine série d’exercices militaires conjoints” entre l’Iran et la Russie dans l’océan Indien et le détroit d’Ormuz sera la toute première. Il a fallu une entente spéciale. C’est pour cela qu’elle fait les manchettes :

MOSCOU, 5 août. /TASS/. Téhéran prévoit de tenir des exercices navals conjoints avec la Russie cette année et les préparatifs pour les manœuvres commenceront bientôt, a déclaré lundi le contre-amiral Hossein Khanzadi, commandant de la marine iranienne.

"Tout à l’heure, nous avons signé un accord [sur des exercices conjoints] avec les forces armées russes et le commandement de la flotte russe. Bientôt, les préparatifs et la planification des manœuvres vont commencer et celles-ci se dérouleront cette année", a déclaré Khanzadi, cité par l'agence de presse Fars. ...
Fin juillet, le commandant de la marine iranienne s'est rendu en Russie. Il a déclaré à l'agence de presse IRNA que des exercices russo-iraniens pourraient bientôt avoir lieu dans le nord de l'océan Indien, y compris dans le détroit d'Ormuz.

Un “expert des relations Iran-Russie” a fait remarquer :

Ariane Tabatabai @ArianeTabatabai - 21:34 UTC - 5 août 2019

Les médias iraniens rapportent que l'Iran et la Russie ont signé un accord de coopération militaire.

Les détails de l'accord ne sont pas publics, mais c'est la première fois qu'un tel accord est conclu entre les deux pays.

Dire que c’est la “première fois qu’un tel accord” est signé, c’est ignorer l’accord de coopération militaire conjoint entre la Russie et l’Iran signé en janvier 2015 ainsi que celui conclu en août 2017. Le nouvel accord n’est que le premier en ce qu’il envisage des exercices conjoints.

Il semble que les “experts” travaillant pour des think tanks occidentaux et d’obscurs journalistes ayant de mystérieuses “sources proches du régime iranien” ne sont pas les mieux informés lorsqu’il s’agit de l’Iran.

Chacun des cinq points ci-dessus démontre que le rapport est absurde et que son auteur n’est pas très familier avec les questions militaires et stratégiques. Il n’est donc pas étonnant que le reste de l’article sur le prix du pétrole soit d’aussi piètre qualité que son premier paragraphe. Des sources mystérieuses donnant de fausses informations sur l’Iran, une méconnaissance des faits, et des interprétations spéculatives ne font pas une histoire fiable.

L’Iran et la Russie ont parfois eu des relations difficiles. En 2010, le président Medvedev a signé les sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU contre l’Iran. Les relations se sont refroidies après ça. L’intense coopération militaire entre les deux pays pendant la guerre contre la Syrie les a ravivées. Mais les relations ne sont certainement pas assez profondes pour permettre la présence d’une base russe en Iran.

L’Iran a besoin d’armes et la Russie cherche à en vendre. C’est à peu près tout. Il peut y avoir des manœuvres communes, mais elles sont symboliques et ne constituent pas une alliance. L’Iran est très fier de son indépendance et son parlement n’en accepterait pas une. De plus, la Russie n’est pas intéressée à trop s’étendre militairement. Seule une attaque américaine contre l’Iran pourrait changer la donne.

Il est facile d’envisager correctement les choses. Il suffit de se poser la question : une base russe dans le golfe Persique ? Pour quoi faire ?

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

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