Ne pourriez-vous pas trouver d’autres moyens de dépenser 716 milliards de dollars ?


Par Matt Taibbi – Le 21 juin 2018 – Source Rolling Stone

Tandis que le monde continue d’être renversé par les images macabres provenant de la frontière [cette phrase est un fleuron d’ethnocentrisme étasunien, NdT], les affaires continuent comme d’habitude à Washington. Plus tôt dans la semaine, le Sénat a discrètement adopté la Loi sur l’autorisation de la défense nationale pour l’exercice 2019, présentée par John McCain.

Le projet de loi, qui a été adopté à 85-10, montre un soutien massif et bipartisan. Cette loi permet une augmentation considérable des dépenses de « défense » – environ 82 milliards de dollars de plus pour l’année prochaine.

Rien que cette augmentation dépasse largement le budget total annuel de défense de la Russie (61 milliards de dollars) et l’augmentation sur deux années cumulées, de plus de 165 milliards de dollars, éclipse l’ensemble du budget de la défense chinois (150 milliards de dollars).

Ce projet de loi est une victoire majeure pour Trump, qui ne cachait pas son désir de faire adopter ces énormes augmentations des dépenses militaires. La législation permettra même aux États-Unis de réaliser l’objectif fou de l’administration Trump c’est à dire développer des armes nucléaires plus petites et plus « flexibles » (lire : utilisables), puisqu’elle inclut 65 millions de dollars pour le développement d’une nouvelle bombe nucléaire à faible rendement et lancée à partir de sous-marins.

Mais le problème avec le projet de loi sur la défense, du moins en termes de couverture médiatique, c’est que c’est aussi une grande victoire pour presque toutes les autres grandes circonscriptions politiques de Washington.

Les dépenses consacrées au lobbying pour l’armée ont en fait légèrement diminué ces dernières années, mais c’est peut-être uniquement parce que l’opposition aux dépenses de défense est devenue si anémique que les lobbyistes n’ont plus vraiment besoin de s’en préoccuper. Historiquement, les deux partis votent par réflexe pour augmenter le budget de la défense, et il n’y a pas eu beaucoup de résistance au Congrès sur cette question. Même l’opposition aux bizarreries du projet de loi était limitée, et l’opposition générale à l’énorme augmentation des dépenses était pratiquement inexistante, seules quelques voix s’y sont opposées.

Jack Reed, de Rhodes Island, a tenté d’introduire un amendement bloquant les dépenses pour les têtes nucléaires à faible rendement. Mais le Républicain de l’Oklahoma, James Inhofe, qui remplace McCain à la présidence du Comité des services armés, a mis un terme à cette situation.

Il y a 28 ans, le Congrès a adopté un projet de loi obligeant les organismes fédéraux à réaliser des audits financiers. Mais le ministère de la Défense ne s’est pas donné la peine de les faire, pas une seule fois. Avec Mike Lee de l’Utah et Chuck Grassley de l’Iowa, Bernie Sanders a présenté un amendement qui aurait forcé la Défense à effectuer un audit complet d’ici 2022.

La pénalité proposée était du simple argent de poche selon les normes du ministère de la défense – le gouvernement aurait redirigé 100 millions de dollars de dépenses de défense vers la réduction du déficit – mais l’amendement a été rejeté.

Sanders, Lee et Chris Murphy du Connecticut ont également tenté d’introduire un amendement empêchant les avions militaires américains de ravitailler les bombardiers de la coalition saoudienne pendant la campagne contre le Yémen, qui, selon certaines estimations, a tué plus de 10 000 civils et déplacé plus de 3 millions de personnes.

L’amendement, lui aussi, a été tué dans l’œuf.

La facilité avec laquelle cette augmentation massive des dépenses est passée contraste fortement avec tous les hurlements que nous entendons toujours de la part des groupes de réflexion et de la presse chaque fois qu’un programme social ambitieux est proposé. Tout est toujours trop cher, quelque soit le programme.

Demandez aux experts combien coûterait la gratuité de l’enseignement supérieur dans les collèges et universités publics, et vous obtiendrez de gros chiffres. Vous entendrez également une opposition véhémente dans les pages d’opinion sur le caractère « irréaliste » de l’idée, même si la plupart de ces propositions seraient facilement financées par une dépense de 80 milliards de dollars par an.

Pourtant, personne ne qualifie jamais d’« irréaliste » une augmentation massive des dépenses militaires. Même quand c’est Donald Trump qui la veut.

Matt Taibbi

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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