Par The Saker – Le 13 juillet 2018 – Source The Saker
[Cette analyse a été écrite pour Unz Review]
Il ne serait pas exagéré de dire que le discours du président Poutine à l’Assemblée fédérale russe, le 1er mars 2018, a eu un effet tectonique sur l’opinion publique mondiale. Initialement, certains ont tenté de le disqualifier comme « propagande russe » ou « mauvaise blague », mais la réalité a très vite frappé en retour, et fortement : les Russes avaient déjà déployé ou s’apprêtaient à déployer des systèmes d’armes qui avaient des décennies d’avance sur l’Occident et contre lequel l’Occident n’avait pas de mesures défensives.
Pour ceux qui sont intéressés par un bon résumé sur ces armes, vous pouvez consulter cette vidéo de Russia Today plutôt bien faite – en anglais mais les images parlent d’elles-mêmes (activez les sous-titres) :
Témoignant devant le Comité des forces armées du Sénat US, le général John Hyten, de la Force aérienne, parlant franchement des armes hypersoniques a déclaré sous serment :
« Notre défense est notre capacité de dissuasion. Nous n’avons aucune défense qui pourrait contrer une telle arme, alors notre réponse serait notre force de dissuasion, c’est à dire la triade [terre, mer, air] des capacités nucléaires que nous avons pour répondre à une telle menace. »
En clair, cela signifie ce qui suit : il n’y a que deux moyens de dissuader une attaque, le déni ou la punition. Le déni est quand vous empêchez votre adversaire de vous frapper ; la punition, c’est quand vous lui faites payer cher le prix de cette attaque. La punition est une situation très délicate et indésirable, non seulement parce qu’elle entraîne une escalade pour la domination de la part de l’adversaire, mais aussi parce que l’utilisation de capacités nucléaires contre un ennemi à parité de forces, ou même plus, comme la Russie équivaut pratiquement à un suicide collectif.
Pensez-y en termes simples et pratiques. Supposons que la Russie rende inoffensif, ou même coule, un porte-avions de la marine américaine avec un couple de missiles hypersoniques. Que feriez-vous en tant que président des États-Unis ? La marine russe n’a tout simplement pas de cible aussi onéreuse (et hautement symbolique) qu’un porte-avions américain, mais même si vous décidiez de frapper l’amiral Kouznetsov [porte-avions russe] ou le croiseur lourd équipé de missiles nucléaires Petr Velikii, risqueriez-vous d’utiliser des bombes nucléaires alors que les Russes pourraient répondre de la même manière ? Il n’y a actuellement aucun missile de croisière américain capable de frapper, ou de couler le Kouznetsov ou le Petr Velikii , qui ont tous deux des défenses aériennes avancées pouvant facilement contrer un essaim de missiles antinavires américains subsoniques, surtout s’ils sont escortés, et ils le seront.
Le résultat est le suivant : les récentes avancées russes dans la technologie des missiles ont, en pratique, rendu la flotte de surface américaine quasiment inutile dans un conflit contre la Russie – et probablement aussi contre la Chine. Dans le même temps, les avancées russes dans les défenses antiaériennes ont non seulement rendu l’ensemble du système antimissiles balistiques des États-Unis fondamentalement inutile, mais elles ont également dénié aux États-Unis la pierre angulaire de toutes leurs tactiques : la supériorité aérienne. Cette réalité s’installe lentement mais sûrement. Cela signifie que des milliards de dollars d’impôts américains ont été gaspillés. Non seulement cela, mais toute la stratégie militaire américaine est maintenant obsolète.
Mais il y a encore plus de mauvaises nouvelles pour l’Empire anglo-sioniste : dans une récente interview, le général russe Iouri Borisov, vice-premier ministre de la Défense et de l’Industrie spatiale, a nommé six systèmes d’armes qui, à son avis, n’ont aucun équivalent dans les arsenaux occidentaux. Ceux-ci en comprennent deux presque jamais (ou très rarement) mentionnés auparavant :
- Le Sarmat lourd MIRVed ICBM [missile balistique intercontinental à ogives multiples] ;
- Le Sukhoi Su-57 alias « PAKFA », le chasseur à réaction de 5e génération en cours de développement pour la supériorité aérienne et les opérations d’attaque ;
- Le char de combat révolutionnaire T-14 Armata ;
- Le système de défense anti-aérienne à longue portée S-500 ;
- Le système antisatellite (ASAT) mobile Nudol ;
- Le système de brouillage mobile au sol pour les communications par satellite Triada-2S.
Alors que les quatre premiers systèmes répertoriés sont connus depuis un certain temps, on en sait très peu sur les systèmes antisatellite Nudol et Triada-2S. Il y a quelques années, en 2015, le journal The Washington Free Beacon a écrit un article sur le système Nudol intitulé « Russia Flight Tests Anti-Satellite Missile Moscow joins China in space warfare buildup » (« Russie Essais en vol d’un missile antisatellite Moscou se joint à la Chine dans l’intensification de la guerre spatiale »), mais je n’ai rien trouvé du tout en anglais sur le Triada-2S. Il y a quelques articles publiés en russe sur ces deux systèmes, et je vais les résumer ici en commençant par le système Nudol.
Le système d’armes Nudol
Un blogueur russe a posté ce qu’il dit être un dessin du système Nudol tiré d’un calendrier interne de la Almaz-Antey Corporation (entreprise d’État russe pour l’armement). C’est ce à quoi Nudol est censé ressembler (voir image). Bien que toujours intéressante, cette image révèle très peu de choses sur Nudol. Un lanceur érecteur de transporteur (TEL) et deux conteneurs de missiles, tout comme dans le S-300V, pas grand chose à se mettre sous la dent. Une source russe identifie Nudol comme faisant partie d’un système beaucoup plus vaste nommé « A-235 / RTTs-181M / OKR Samolet-M » qui est formé par l’intégration de trois systèmes séparés, une longue portée, une portée intermédiaire et une courte portée. Si c’est vrai, cela indiquerait que si le lanceur de missiles Nudol est mobile, il doit disposer d’un réseau d’acquisition de données de ciblage à partir des radars de la défense aérienne russes, mobiles et fixes.
En fait, la même source confirme que ces systèmes seront pleinement intégrés dans le vaste réseau de radars d’alerte avancée Don-2M (et, probablement, Voronezh et Darial). Il semble que les Russes aient travaillé sur les concepts initiaux d’un tel système d’armes depuis les années 1990 et que trente ans plus tard, ce système est encore en développement. Cependant, certaines parties de celui-ci, comme le Nudol lui-même, semblent être presque terminées. Il est également intéressant de noter ici que le système S-500 Prométhée, également mentionné par le général Borisov, et qui est censé remplacer à la fois les S-300 et les S-400 dans les forces armées russes, aurait également des capacités antisatellites (en orbite basse) et des capacités antimissiles balistiques (ABM) et antiaériennes).
Bien que les détails ne soient toujours pas clairs, il semble que les Russes aient décidé de construire un système de défense antiaérien, antimissiles balistiques et antisatellite à plusieurs niveaux mais totalement intégré et maintenant que les USA se sont complètement retirés du traité ABM, les Russes se préparent à le déployer dans les domaines ABM et ASAT au cours des deux prochaines années.
Le système Triada-2S
Il semble que, encore une fois, nous ne traitions pas ici d’un système, mais de deux : le complexe mobile anti-satellite Rudolf et le complexe mobile de destruction radio électronique des satellites de communication, Triada-2S. Des sources russes considèrent Rudolf comme un système de frappe mobile impliquant la destruction physique du satellite ciblé alors que les Triada-2S semblent détruire les communications électroniques du satellite – action nommée « suppression électronique » dans la terminologie russe.
Tout comme dans le cas du Nudol, ces systèmes semblent encore en phase de développement et n’ont pas encore été déployés. Il convient de mentionner ici que l’ex-Union soviétique avait déjà développé des capacités antisatellites, notamment la fusée ASAT 796 (tirée d’un intercepteur MiG-21D) et le système de missiles terrestres Rokot/Nariad-V. Ce sont des choses hautement classifiées et les détails restent flous, mais le fait que le travail se poursuive sur ces systèmes et que le général Borisov ait décidé de mentionner publiquement ces systèmes indique que les Russes font un effort résolu pour développer une capacité anti-satellite robuste.
Porubshchik-2 – la révélation d’une nouvelle arme antisatellite (ASAT)
Un article récent publié par l’agence RIA Novosti décrit encore un autre système ASAT : le Porubshchik-2. Russia Today a repris cet article et l’a posté en anglais. Alors que l’article de Russia Today se concentre principalement sur les nouvelles capacités de guerre électronique de cet avion, le texte russe met davantage l’accent sur le fait que cet avion d’EW [Guerre électronique] aura des capacités antisatellites (ASAT). Ce système est encore en développement, mais à tout le moins cela montre que les Russes développent maintenant une gamme complète de systèmes antisatellites.
Additionnez tout cela
Le plan russe pour contrer la menace militaire américaine devient de plus en plus clair chaque jour qui passe. Je résumerais cela ainsi :
Capacité US | Réponse russe |
Sytème ABM | Missiles : hypersoniques manœuvrables et de croisière à très longue portée |
Porte-avions et flotte de surface | Missiles : hypersoniques manœuvrables et de croisière à très longue portée |
Flotte aérienne et missiles de croisière | Défenses aériennes avancées et intégrées + 5e génération de chasseurs multirôles |
Sous-marins d’attaque | Sous-marins avancés diesel-électriques et AIP dans les eaux littorales et côtières |
Commandement, contrôle, communications, réseaux et satellites | Systèmes de guerre électronique et antisatellite |
Déploiements US/OTAN près de la Russie | Tank Armata T-14s, doublement des moyens aéroportés, missiles Iskander (voir ici) |
Forces nucléaires | Déploiement d’un SNLE de nouvelle génération, ICBM mobile route et rail, PAK-DA (bombardier de nouvelle génération) et systèmes ABM |
En ciblant les capacités spatiales américaines, la Russie vise un segment extrêmement important et actuellement extrêmement fragile des forces armées américaines et l’impact ne peut être surestimé. Il est déjà bien connu que l’armée américaine n’a pratiquement aucune pratique des opérations menées dans un environnement de guerre électronique hautement conflictuel et que, en fait, les capacités militaires américaines ont stagné au fil des ans.
À l’ère de la communication de pointe et de la guerre centrée sur les réseaux, la perturbation ou l’élimination de tout segment significatif des capacités spatiales américaines aurait un impact dramatique sur les capacités de guerre américaines. Tout comme l’aviation tactique américaine est pratiquement entièrement dépendante du soutien des AWAC, toutes les branches de l’armée américaine se sont habituées aux capacités avancées de commandement, de contrôle, de communication, d’informatique, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (C4ISR) et c’est cela que les Russes veulent déjouer – et vous pouvez parier que les chinois travaillent exactement dans le même sens.
Cela ne veut pas dire que la Russie a atteint une position de domination tous azimuts sur les États-Unis, mais cela signifie que les États-Unis ont totalement failli dans leurs efforts, pour même approcher la possibilité d’une domination complète sur la Russie et, par conséquent, sur le reste de la planète. Il est important de comprendre que si, pour les États-Unis, il est crucial de parvenir à la supériorité, pour la Russie, il suffit de nier cette supériorité.
La Russie n’a donc pas besoin de réaliser quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à une domination totale sur les États-Unis et l’OTAN. Tout ce qu’elle doit faire, c’est empêcher l’Empire de la soumettre par la force ou la menace de la force.
Le gros problème de la concurrence interne
Comme je l’avais prédit dans mon article « Comprendre le rôle des avions de 5e génération en Syrie », il y a maintenant des déclarations officielles de haut niveau indiquant que la Russie pourrait ne produire qu’une quantité limitée de chasseurs Su-57. Pourquoi ? La génération 4++ du Su-35S est déjà très bonne et bien moins chère que le Su-57 et que l’argent russe devrait aller vers le développement d’un chasseur multirôle de 6e génération.
En d’autres termes, la principale menace pour le programme Su-57 n’est pas la concurrence étrangère – les Russes veulent proposer le Su-57 à l’exportation ! – mais la concurrence interne. La même chose est arrivée au programme MiG-35 (et avant cela au projet MiG 1.44) : ils ont été battus par Sukhoi. Le MiG-35 semble finalement avoir été sélectionné comme avion de combat frontal, mais le schéma général est clair : contrairement à l’URSS, la Russie ne peut pas se permettre de développer, en même temps, plusieurs systèmes d’armes similaires ou se chevauchant.
Certains systèmes d’armes seront produits en quantité limitée tandis que d’autres pourraient être annulés. Quelque chose de similaire se produira probablement dans les programmes ASAT russes : les projets seront en compétition et tous ne seront pas déployés. Cependant, ce qui est clair, c’est que les Russes travaillent avec beaucoup d’intensité sur un certain nombre de technologies différentes dont le but sera de supprimer les capacités spatiales américaines dans les premières phases de tout conflit.
En revanche, les USA ont dépensé tellement d’argent pour des systèmes d’armes très profitables [aux entreprises privées de la défense] mais inutiles, que redémarrer un programme ASAT à grande échelle prendra beaucoup de temps – même si Trump a déjà déclaré vouloir construire des « forces spatiales », consultez cet excellent commentaire de Philip Giraldi sur ce sujet – probablement des décennies.
Les développements de systèmes d’armes modernes ont une énorme inertie : ils sont difficiles à démarrer, difficiles à développer et difficiles à arrêter une fois démarrés. Cela est particulièrement vrai pour un complexe militaro-industriel (MIC) profondément corrompu et délirant comme celui des États-Unis (voir mon compte-rendu de l’excellent ouvrage d’Andrei Martyanov sur ce sujet ici).
Considérant la crise actuelle de l’Empire anglo-sioniste et la guerre commerciale de sanctions que Trump mène actuellement sur la majeure partie de la planète, les chances pour les planificateurs des forces américaines de corriger leurs erreurs passées et de réagir adéquatement à la nouvelle réalité sont probablement très proches de zéro. La tentative de Trump de développer les forces spatiales est donc encore un autre cas de trop petit, trop tard. L’écart entre les capacités militaires américaines annoncées et réelles ne fera qu’augmenter dans un avenir prévisible.
The Saker
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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