Faux drapeaux pour les débutants


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Par Dmitry Orlov – Le 13 mars 2018 – Source Club Orlov

La Grande-Bretagne est prise d’une frénésie médiatique à cause de l’empoisonnement récent de l’ancien colonel russe Sergueï Skripal et de sa fille à Salisbury, en Angleterre. La Première ministre britannique, Theresa May, a demandé à la Russie de s’expliquer en prétendant qu’ils avaient été empoisonnés en utilisant un agent neurotoxique appelé « Novichok » (« Débutant » en russe ) qui était un produit de la recherche soviétique sur les armes biologiques. Il n’est plus produit et la destruction des stocks a été vérifiée par des observateurs internationaux. Cependant, sa formule est dans le domaine public et il peut être synthétisé par n’importe quel laboratoire chimique bien équipé, tel que celui de Porton Down, un laboratoire militaire de la Grande-Bretagne, qui, soit dit en passant, n’est qu’à 18 minutes en voiture de Salisbury.

May n’a fourni aucune preuve pour étayer ses allégations de complicité russe dans la tentative de meurtre. Le ministère russe des Affaires étrangères a demandé à la Grande-Bretagne de fournir toutes les preuves disponibles pour étayer son accusation d’utilisation d’armes chimiques (selon la Convention sur les armes chimiques, la Grande-Bretagne doit le faire dans les 10 jours). Par conséquent, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a répondu que la Russie ne répondrait pas à de telles allégations sans fondement.

Une clé importante pour repérer un attentat sous faux drapeau est que la « connaissance » de qui est à blâmer est disponible avant que la première preuve ne soit sur la table. Par exemple, dans le cas de l’avion de la Malaysian Airlines, le fameux MH-17, abattu à l’Est de l’Ukraine, tout le monde en Occident était convaincu que les « séparatistes pro-russes » étaient à blâmer avant même le début de l’enquête. À ce jour, on ne comprend toujours pas comment ils auraient pu le faire compte tenu de l’équipement dont ils disposaient. Dans ce cas, la Russie a été accusée presque immédiatement, tandis que le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson s’est porté volontaire pour que la Grande-Bretagne n’envoie pas son équipe de foot à la Coupe du monde en Russie cet été, révélant la véritable raison de cette tentative d’assassinat.

Y a-t-il quelque chose de nouveau et de différent derrière cette dernière provocation ? Pas vraiment ; cela ressemble à une reprise de l’assassinat de Litvinenko en novembre 2006. Le choix d’un poison exotique (Polonium 210) le manque de preuves (les Britanniques ont affirmé que des preuves circonstancielles convaincantes existent mais n’en ont fourni aucune) et l’accusation instantanée pour « blâmer la Russie » sont les mêmes. Les Russes ont offert de poursuivre les responsables si seulement les Britanniques leur fournissaient la preuve, mais les Britanniques ont omis de le faire.

Anna Chapman

Si on donne à l’histoire des Britanniques le bénéfice du doute, voyons ce qui contraindrait les services secrets russes à poursuivre Skripal. En Russie, il a été reconnu coupable et condamné pour trahison, puis gracié et rendu aux Britanniques dans un échange de prisonniers qui comprenait dix espions russes ayant travaillé aux États-Unis, y compris la mémorable Anna Chapman. C’est une règle très importante dans une affaire d’espionnage que les personnes libérées dans un échange ne soient jamais inquiétées ; si cette règle était violée, la mauvaise foi qui en résulterait rendrait impossible l’échange d’espions. Ainsi, si les autorités russes commanditaient la mort de Skripal, ce ne serait pas seulement immoral et illégal. Cela n’aurait aucune cohérence, puisqu’il y a des cas où la raison d’État évite la nécessité de tels scrupules. Pire que cela, un tel comportement aurait été non professionnel.

Ensuite, il y a la question du calendrier. Les élections présidentielles russes se dérouleront dans quelques jours, le 18 mars. Il s’agit d’un moment particulièrement inopportun pour provoquer un scandale international. Quelle urgence pouvait-il y avoir à tuer un ancien espion pardonné qui ne possédait plus de renseignements à jour, qui vivait tranquillement à la retraite, et qui était à ce moment-là occupé à déjeuner avec sa fille ? Si le gouvernement russe était impliqué dans l’empoisonnement, quelle raison aurait pu être donnée de ne pas attendre après les élections ?

L’attaque contre Skripal n’est en aucun cas un incident isolé ; il y a eu plusieurs meurtres suspects de Russes avec une visibilité élevée au Royaume-Uni, pour lesquels aucune explication adéquate n’a été donnée. Il y a un schéma cohérent : un meurtre étrange, une communication immédiate pour « accuser la Russie » et une tentative d’exploiter l’incident politiquement. Il serait utile de replacer cet incident dans son contexte, mais cela nécessiterait un article beaucoup plus long.

Vous auriez raison de penser que rien de tout cela n’a de sens. Compte tenu du manque de preuves, nous sommes obligés, pour donner un sens à cette histoire, de nous livrer à un peu de théorie du complot. Cependant, si une théorie du complot est ce qu’il faut pour produire l’explication la plus simple, la plus élégante, avec la plus grande cohérence interne, alors cela en soi peut être considéré comme une preuve circonstancielle de l’existence d’une conspiration. Mon explication simple et cohérente, exprimée en une seule phrase, est la suivante :

Sous la direction de leurs collègues américains, et suivant de près un scénario déjà élaboré dans l’affaire Litvinenko il y a plus de dix ans, les services secrets britanniques, en étroite coordination avec le gouvernement britannique et la presse, ont empoisonné Skripal et sa fille en utilisant un agent toxique obtenu auprès de la base de recherche militaire britannique de Porton Down afin d’avoir une excuse pour compromettre les matchs de la Coupe du monde en Russie cet été et pour créer un scandale immédiatement avant les élections présidentielles russes.

C’est déplorable, bien sûr, mais il y a une lueur d’espoir dans ce nuage en ce qui concerne la Russie : la Grande-Bretagne (et, par association, les États-Unis) auront beaucoup plus de mal à recruter des agents doubles à l’intérieur du gouvernement russe. Leurs recrues potentielles sauront maintenant qu’elles resteront vulnérables même si elles s’échappent ou sont graciées et échangées. De toute évidence, les Britanniques les considèrent comme jetables et estiment qu’il est approprié de les tuer de façon exotique, puis d’exploiter l’incident à des fins politiques.

En ce qui concerne Skripal lui-même… Eh bien, c’est une histoire vraiment triste : réputation ruinée, vie ruinée, vie en exil, femme morte d’un cancer, fils mort d’une insuffisance hépatique, et maintenant ça. Tout cela peut servir d’avertissement à d’autres candidats : ne faites pas confiance aux Anglos, car ils sont sournois et n’ont aucune vergogne.

Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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